EXTRAIT

(Alibi les tours du monde de deux retraités,
journal de voyage, P. et R. Lesage, p. 92)

"Après quelques jours passés aux Cocos, en route pour traverser l'Océan Indien, traversée rapide, bien ventée, nous mettons deux semaines pour arriver à Rodriguez, la première des Mascareignes.

Cette petite île de 150 kilomètres carrés dépend de Maurice, 350 milles plus à l'ouest, 35000 habitants vivent sur cette île assez déshéritée, vivant de pêche et d'agriculture. Colonisée par les français et les anglais, la population est d'origine variée : africaine, malgache,indienne, chinoise, tout ce monde semble vivre en bonne intelligence, églises, mosquées, temples tamouls se côtoient.

Le jour où en France, les fêtes musulmanes seront chômées, les français considèreront sans doute l'Islam d'un oeil plus favorable.

La langue officielle est l'anglais, tous parlent un créole assez voisin de celui des Antilles et tous comprennent et parlent le français, c'est très reposant après 4 mois d'anglais australien. Cette survivance du français aux Mascareignes et aux Seychelles est surprenante, c'était la langue des colons, nous avons perdu ces îles depuis deux ans ans, l'anglais est la langue officielle, et l'Alliance Française ne s'est manifestée que bien tardivement.

Nous sommes accostés dès l'arrivée par un jeune retraité qui nous propose de visiter l'île en sa compagnie : "vous comprenez, j'étais dans la magistrature et je me fais un devoir d'accuillir les bateaux de passage". Le lendemain, nous partons en bus à travers l'ïle, visitant le Trou d'Argent, où le grand-père de Le Clézio chercha le trésor de La Buse (nous ne l'avons pas davantage trouvé) et les très belles plages, c'était très touchant, surtout quand nous avons appris qu'il était dans la magistrature debout : il était Planton-Chef au tribunal.

Un employé du port, tide-watcher de son état (occupation consistant, deux fois par jour à relever la hauteur d'eau, et à la transmettre en vélo au bureau de la météo) nous a emmené chez lui, nous présentant sa jeune femme, ses parents, ses beaux parents, tous gens très simples, qui se crurent obligés, à notre grande confusion, de nous faire des petits cadeaux, éternel don contre don.

Le tourisme est encore peu développé, deux hôtels confortables et quelques pensions sont très bon marché ; nous allions au restaurant et pour trois un abondant repas ne nous coûtait que 80 francs".

vendredi 10 septembre 2010

Paulette et Roger LESAGE


ALIBI LES TOURS DU MONDE DE DEUX RETRAITES























Août 2010




«I'll put a girdle about the earth in forty minutes »
Midsummer night's dream
Shakespeare


«Je passerai une ceinture autour de la terre en quarante minutes»

Le songe d'une nuit d'été



Moins rapide que Puck, nous mettrons quatre ans pour notre premier tour, et trois pour le second.





































Qu'allaient-ils faire en cette galère ?

C'est bien souvent en termes moins académiques que nous nous sommes posés cette question, dans le mauvais temps, la brume, la nuit, la pluie, trempés, gelés, perdus. Et nous avons persévéré pendant 40 ans...

Pour moi les choses avaient commencé bien avant. Mes parents, pauvres en gêne nautiques, habitaient la banlieue parisienne encore riche, dans les années 30, de champs cultivés et de ruisseaux. J'allais jeter dans ces rus, aujourd'hui des égouts, des morceaux de bois, vaguement épointés que je baptisais bateaux, j'étais sûr que ces fleurs navires atteindraient la mer que je n'avais pas encore vue.

Je ne commençais à prendre contact avec un objet flottant que bien plus tard, fréquentant un cours privé à Enghien, les temps morts étaient souvent occupés par des séances de canotage sur le lac, avec pour conséquences des ampoules aux mains, et des résultats scolaires médiocres.

Ma remarquable nullité en mathématiques m'interdisait d'envisager toute activité maritime professionnelle, je me retrouvais dans une école dentaire, occupation peu orientée vers la navigation.

Cependant dans le cadre du scoutisme je participais à un stage de voile, à Cherbourg, baleinière, avirons et voiles traditionnelle, à l'époque le Centre des Glénans n'existait pas encore, même à l'état de projet.

Diplôme en poche, le service militaire me conduisit en Tunisie, chirurgien-dentiste dans un hôpital maritime de Ferryville (aujourd'hui Menzel Bourguiba) j'eus d'ailleurs l'occasion de soigner le combattant suprême. Je portais un bel uniforme, une casquette et quelques dorures, mais la mer était toujours aussi lointaine.

Dans un tout autre domaine, je rencontrais dans cet hôpital un second-maitre sage-femme de la Marine et nous réunîmes casquette et tricorne.

Les expériences nautiques de Paulette n'étaient guère plus convaincantes que les miennes, bien qu'un père ancien sous-marinier et un oncle responsable du groupe canoë du Touring-Club l'aient incitée à pratiquer l'aviron sur la Marne et à descendre quelques rivières. Son rêve, dans les années 50 nous étions modestes, étaient de posséder un canoë.

Avant que de réaliser cette ambition, il fallait penser à l'installation du cabinet dentaire, d'autant que nous lançâmes incontinent trois petits mousses bien trop jeunes pour former un équipage.
Mais nous lisions beaucoup, nous avions dévoré Le Tournelin, Bardiaux, Bernicot, Slocum, Voss, Annie van de Viele, Gerbault, bref tous ces auteurs qui racontaient leur circumnavigation.

Nous passâmes à l'acte en 59, suivant les conseils de Jean Merrien, à l'époque, avec une abondante littérature, il prodiguait ses avis plus ou moins autorisés sur tout ce qui flottait. Forts de nos multiples lectures nous commandâmes un Estuaire de 7 mètres, joli petit sloop construit en bois de Mortagne sur Gironde. Sur le plan esthétique très réussi, mais bordé avec un acajou encore vert, je suis sûr qu'un morceau planté en terre aurait rapidement porté des feuilles. L'accastillage particulièrement succinct se bornait à des drisses et des écoutes de sisal, redoutables pour la paume des mains ; un compas était le seul instrument de navigation, l'électronique et les winchs demeuraient des rêves lointains.

La sécurité était elle aussi très relative : moteur Couach à essence, pas de balcon, pas de filière, pas de cockpit étanche...

Le confort était à l'avenant : hauteur sous barrot 1m30, pas de toilettes et un vague réchaud à alcool pour la cuisine.

Mais nous avions 30 ans...

Et nous nous sommes bien amusés avec « Choya », notre première croisière vers Douvres fut notre « Maiden voyage » ; avec une belle innocence (d'autres diraient inconscience ou ignorance, et ils auraient raison) nous avions décidé de traverser la Manche dans sa partie la plus étroite, le Pas de Calais, là où les courants sont les plus forts, et la navigation commerciale la plus dense.

Un patient cabotage nous conduisit au Touquet, d'où, un petit matin, nous quittâmes notre mouillage pour traverser le détroit de Douvres.

Les courants dans cette zone sont sévères et la brume n'arrangeait rien, notre seul instrument était un compas, pas de loch, pas de gonio, l'écho-radar était une gamelle en tête de mat, nous entendions les machines des cargos sans les voir, Paulette s'époumonait à souffler dans une corne de brume dont la portée ne devait pas dépasser 50 mètres.

Cependant nous trouvâmes à l'heure prédite la première marque du parcours, la bouée du Colbart, et nous arrivâmes frais et roses à Douvres;

Notre pavillon jaune de libre pratique était une enveloppe de duvet installée à la place de la gamelle écho-radar. Notre départ matinal ne m'avait pas laissé le loisir de me raser, et les douaniers étant en retard, je pensais avoir le temps d'entreprendre cette opération qui sur Choya se passait au dessus d'une cuvette ; ces braves fonctionnaires se pointèrent évidemment la barbification à peine terminée, précipitamment je plaçais la cuvette pleine d'eau savonneuse et de poils de barbe sou la table du carré ; très courtois les «Customs officers» se découvrirent, se cognèrent la tête au plafond du rouf, et posèrent leurs casquettes blanches sous la table sans regarder... le chef, poly galonné et doré sur tranche réussit un magnifique tir au but... instants d'hésitation entre consternation de circonstance et fou-rire, celui-ci fut le plus fort, il gagna le chef, beau joueur, pendant que le sous-fifre restait de marbre.

Ils repartirent fièrement sur leur vedette, la casquette du chef séchant dans le vent.

Le retour s'effectua sans gros incidents, à part une écoute prise dans l'hélice à l'arrivée à Calais, c'était la première fois, et au fil de nos navigations nous renouvelâmes souvent cette mésaventure, sans jamais subir d'avarie notable.

Après cette première croisière nous fûmes persuadés, comme dans la chanson «qu'à la mer pour nous n'avait plus de secrets», nous dirigeâmes l'année suivante notre étrave vers les Anglo-Normandes.

A Guernesey, nous arrivâmes un samedi en fin d'après-midi, le dimanche tous les commerces sont fermés et le lendemain lundi c'est « Bank Holiday» tout aussi clos. Nous avions de bons principes, écologistes sans le savoir, et jamais une boîte de conserve n'avait franchi la descente de « Choya », mais survivre trois jours avec 2 maquereaux n'est pas une expérience gratifiante, et à partir de ce jour la cambuse de nos bateaux fut convenablement garnie.

Nous étions pourtant restés vertueux : un pigeon avait élu domicile à bord et nous ne l'avons pas mangé, il trouvait sa provende aux alentours et revenait fidèlement se pencher dans le cockpit.

Cette croisière nous permit de prendre conscience de la petitesse et de l'insécurité de notre embarcation ; des années de promenades sur le port de Deauville nous donnaient envie d passer à la pointure au-dessus. Nous avions remarqué un très joli bateau, le « Seeadler », qui appartenait à G.H. Lévêque, photographe et journalistes de bateaux, il était construit à Marans chez Durand, également auteur du plan.

Nous sautâmes le pas, mais nous ne pouvions pas caser dans les 32 pieds du « Seeadler » nos trois enfants et le confort minimum auquel nous aspirions bourgeoisement ; après une cure de vitamines, Artaban grandit de 6 pieds d'un coup.

La construction d'une coque en bois dans un chantier compétent est une expérience passionnante, nous admirions l'habileté et la technique de ces compagnons, malheureusement cette construction a aujourd'hui pratiquement disparu.

Une de nos filles nous rapporta des Etats-Unis une sentence qui ornait le carré d'un de nos bateaux... en aluminium :

« If God meant us to have fiberglass boats
He would have planted fiberglass trees. » 1/

Nous apprîmes également une foule de termes techniques, vocabulaire incomparable pour jouer au Scrabble.

C'est aussi une épreuve de patience, pendant tout le mois de janvier 63 le thermomètre resta bloqué entre moins 15 et moins 20, ce mois entraîna un retard d'un an ; nous occupâmes notre attente avec un Vaurien baptisé Zut (il nous restait quelques vestiges de bonne éducation), et nous embarquâmes pour un mois en école de voile sur le Josuha que Bernard Moitessier venait de mettre à l'eau.
A l'époque Bernard n'était guère connu, il avait publié
«Un vagabond des mers du Sud», livre sympathique qui donnait envie de le connaître, c'était malheureusement un asocial ; la compagnie de ses stagiaires lui pesait, et après deux semaines il nous débarquait à Bandol. Nous sommes très admiratifs pour ses navigations dans des mers impossibles, mais il n'a jamais été pour nous le gourou qu'il est devenu pour beaucoup d'autres, et qu'il est encore aujourd'hui.

Artaban était un fier navire, mais avec le recul nous sommes conscients d'avoir là aussi fait des choix contestables, nous avions en effet un moteur diesel à refroidissement par air, bien agréable l'hiver pendant les quarts pour se réchauffer les pieds, mais rendant le cockpit d'une étanchéité douteuse.

Esthétiquement c'était un très beau bateau, mais à l'entretien difficile, mats en bois vernis, rouf et pavois vernis, annexe vernie, très fragile, demandant des couches répétées tous les ans ; nous aurons plus tard deux bateaux en aluminium, sans aucun vermis extérieur. Par contre le carénage s'effectuait le plus souvent entre deux marées, échoué le long du quai de Trouille, et il nous est arrivé, dans la foulée de partir en croisière immédiatement après.

Artaban fut notre fidèle compagnon pendant 12 ans, il nous permit de visiter toute la côte sud anglaise, les Scilly, l'Irlande, l'Ecosse, l'Espagne, toujours avec un équipage familial, sans mésaventure notable.



1/ « Si Dieu avait voulu que nous ayons des bateaux en plastique, il aurait planté des arbres en plastique »



C'était une époque où les marinas étaient rares, nous étions très souvent à couple des pêcheurs, entretenant avec eux des relations conviviales, ce qui n'est plus possible maintenant avec le développement de la plaisance, nous sommes devenus trop nombreux.

Sans être pléthoriques, nos moyens de navigation s'étaient améliorés compas bien sûr et aussi loch à hélice, sondeur, sextant et une radio qui nous permettait de capter les radiophares et les bip-bip du Consol.

Le temps passant, les enfants s'éloignant du nid, nous fûmes saisis par la maladie de la pierre, vendant Artaban, construisant une maison, autre expérience intéressante.

Mais pendant quatre ans, nous ne trouvâmes pas de vacances et de loisirs terrestres nous passionnant, il fallut l'occasion du Grand Pavois à la Rochelle pour nous ramener à nos premières amours, un vendeur de Trisbal agressif et persuasif (il vous aurait vendu un cercueil à deux places)
nous fit sauter le pas, dix mois plus tard, une coque d'aluminium de 37 pieds était le plus bel ornement de notre jardin.

L'aménagement d'une coque nue était une expérience nouvelle pour nous, nous avions déjà eu deux bateaux et des idées bien arrêtées sur l'accastillage, l'électronique, la navigation.

Mais nous fûmes déçus par le manque de rigueur de la construction : les soudures de bouchain anticipaient les ondulations de la houle, la structure était approximative, mais l'enthousiasme et l'astuce nous permirent d'achever notre entreprise, aidés également par une association de constructeurs amateurs : ll'U.A., très divers dans leurs motivations, les adhérents cherchaient à terminer une coque nue, d'autres partaient de rien, utilisant le bois moulé, l'acier, le béton, le « fiberglass » ; certains influencés par Moitessier réalisaient un char d'assaut, d'autres entreprenaient des bateaux de 20 mètres, les plans étaient parfois très aboutis et donnant des réalisations remarquables, d'autres surprenants utilisant des moyens très originaux : par exemple réunir 3 à 4 tonnes de capsules de bouteilles pour couler la quille...

Au début, flottait sur l'association un petit vent de mai 68, mais au fil du temps les choses se décantèrent et ne restèrent en piste que les adhérents les plus motivés.

Modus Vivendi marchait très bien aux allures portantes, mais au près ce n'était pas un foudre de guerre, et il était bien laid. Nous effectuâmes cependant deux croisières estivales à son bord,, la première en Espagne fut tout à fait tranquille, le Golfe de Gascogne calme comme un lac, pour la seconde nous adoptâmes un itinéraire moins classique, pour aller à Bergen nous traversâmes
la mer d''Irlande et le Loch Ness (sans voir le monstre), et nous redescendîmes par les détroits de la Baltique, le canal de Kiel, et les canaux hollandais.

Nous commencions à prendre goût aux longues croisières, mais après deux ans, insatisfaits de l'allure et des performances du Trisbal, nous le vendions pout commander chez Garcia, à Condé sur Noireau, une coque de Florès en aluminium ; ses dimensions correspondaient à nos besoins 13m20 x 4m20 x 2m, assez grand pour nous loger avec tout le fourniment nécessaire à un grand voyage (nous commencions à avoir une idée derrière la tête !) avec un gréement de ketch assez divisé il restait manoeuvrable en équipage réduit.

Ce plan de Guy Saillard semblait correspondre à nos souhaits, et après 18 ans et plus de 100.000 milles, nous pouvons dire que nous ne nous sommes pas trompés.

Rendons grâce également aux deux frères Garcia, Jean-Pierre et La Loute et à tous les compagnons du chantier, encore confidentiel en 82, mais aujourd'hui la référence en matière de construction aluminium.

Nous l'avions acheté coque nue, et nous travaillâmes au début des aménagements à Condé, dans une ambiance chaleureuse de compétence et de gentillesse, ce fut un intéressant défi, commandé le 15 janvier 82, la coque peinte, fermée, le moteur installé, était mise à l'eau à la mi-septembre, et partait le 1er juillet 83 pour Stavenger en Norvège. Notre année fut assez chargée, à raison de deux jours et demi par semaine, c'était un travail énorme que de finir en 9 mois un bébé de cette taille.

Mais le premier juillet, il ne nous manquait pas un bouton de guêtre, nous avons eu la chance cette année là de partir avec des équipiers compétents et sympathiques qui sont devenus nos amis. Ils étaient bien nécessaires car nous n'étions pas loin de l'épuisement. Nous emmenions aussi un ami norvégien qui rentrait chez lui avec deux fauteuils Louis XV qui trouvèrent place dans le poste avant, nous étions transformés en cargo mixte.

Cette année-là, nous faisions croisière commune avec un autre plaisancier de Deauville qui monta avec nous jusqu''aux îles Lofoten, nous naviguions en sauts de puce dans l'Indrelaia, c'est une route qui longe la côte à l'abri d'innombrables îles et récifs, s'ils laissent passer le vent, la mer n'est jamais agitée.

A Stavenger, j'eux un contact surprenant avec un douanier : depuis le quai il me dit : vous n'avez pas d'alcool à bord, j'essayais de le détromper, mais il réitéra son affirmation plusieurs fois, d'un ton de plus en plus convaincant, je me rendis à ses raisons, bien qu'un yacht français en croisière pour deux mois ait bien peu de chance d'être sec.

Par voie de mer la Norvège est un pays magnifique, la croisière y est relativement facile, allez-y. Mais quittez la Scandinavie au 15 août, c'est le début de l'automne et le temps se gâte très vite. Pour fêter notre départ nous eûmes un mémorable couscous à Stavenger, nous étions 17 dans le carré d'Alibi, notre équipage, celui de Ratafia et nos amis norvégiens, nous mîmes à mal quelques « cubis » de vin, miraculeusement retrouvés, malgré les affirmations du douanier.

Nous aurons dans l'année effectué plus de 4000 milles de navigation. Une remplaçante me permettant de m'absenter 2 mois, ce sera notre régime de croisière pour les années futures.

En 84, changement de cap : les îles de l''Atllantique, toujours en compagnie de Ratafia; Alibi marche bien : 4 jours pour descendre à la Corogne, 6 noeuds 5 de moyenne. Nous arrivons rapidement à Madère, bonne surprise, la ville de Funchal inaugure sa marina qui est gratuite pour les premiers visiteurs ; les paysages sont magnifiques, et les caves accueillantes.

L'anticyclone des Açores sévissait et la remontée vers Sao Miguel fut laborieuse, cette période de calme fut suivi d'un temps très variable sur notre route vers Terceira, Pico et Faial, nous restâmes quelques jours à Horta, ne manquant pas la visite au Café Sport et à son propriétaire Peter Azeveido, étape incontournable des Açores ; nous rencontrâmes aussi un artisan Othon, remarquable graveur de «scrimshaws» (travaux effectués sur des dents de cachalots par les baleiniers du siècle dernier). Les Açores ont toujours été un centre important de chasse ; sur les principaux promontoires sont installés des guetteurs pour surveiller les évolutions des troupeaux et diriger les baleinières qui, comme à l'époque de Moby Dick traquent les cachalots, traités à terre, nous assistons sur l'île de Pico au dépeçage de deux de ces animaux, c'est une boucherie impressionnante qui va disparaître en 85 avec l'interdiction de chasse, encore que ces petits pêcheurs étaient infiniment moins dangereux qu'un navire usine japonais ou norvégien avec ses « catchers » et ses moyens industriels.

Pris par l'ambiance, sur la route du retour, nous heurtons un cachalot, long d'une quinzaine de mètres, il fait partie d'un troupeau de trois, leur route est inverse à la nôtre, nous nous frôlons sans mal, mais à l'intérieur du bateau j'ai eu l'impression de monter sur un trottoir avec une 2 chevaux...
Le lendemain, autre rencontre insolite : une baleinière d'évacuation, coque en stratifié hyper robuste, pourvue de tout son armement, mat, voile et avirons, moteur diesel, 10 mètres de long, 4 mètres de large, prévue pour 59 personnes il serait tentant de la prendre en remorque jusqu'en France, mais la perspective des 1000 milles à parcourir nous décourage.

En 85, à nouveau cap au nord, Oslo, Göteborg, le canal Gotha, les grands lacs de la Suède intérieure, Venern et Vettern, jusqu'à Stockholm, les îles d'Aland et Turku en Finlande, nous
revenons par le Danemark, le canal de Kiel et la Hollande.

En 86 toujours vers le nord, nous traversons la mer d'Irlande, les Hébrides, et de Stornoway nous montons en Islande, arrivée à Seydisfjördur sur la côte est de l'île.

Depuis Deauville, nous n'avons attrapé qu'un maquereau et une mouette, et nous voyons à côté de notre ponton deux gamins qui sortent de l'eau des morues, des morues et encore des morues. La leçon est vite apprise, et 10 minutes plus tard nous nous estimons satisfaits de deux seaux pleins. Un de nos équipiers est breton, fils de marin pêcheur, et nous avons beaucoup de mal à le réfréner.

Pendant le mois que nous passerons en Islande, il suffisait d'exprimer un désir de poisson pour le voir illico arriver sur la table; Je regrettai de ne pas avoir quelques sacs de sel à bord. Nous aurions salé des morues comme d'autres font des confitures.

Dans un port du nord, le « gwinn ru » (vin rouge des bretons) sert à pourvoir la cambuse de crevettes arctiques ; toujours dans le même registre, nous visitons une conserverie et nous repartons avec 5 kilos de queues décortiquées.


Peu avant notre arrivée à Reykjavik, un chalutier nous rattrape, son étrave de 4 mètres de haut nous domine : « Aimez-vous le poisson ? » Et nous voilà riche d'un magnifique flétan qui nous changera de la sempiternelle morue.

La navigation pose cependant quelques problèmes : quittant Akureyri tout au nord de l'île, noous sommes obligés de faire demi-tour devant le pack de glace, les vents de nord ont poussé vers le sud la banquise en débâcle, et nous n'avons pas de vocation polaire, il suffit d'attendre, et nous pouvons passer le Cap Horn (il y en a un par ici) par 50 noeuds de vent.

Un autre jour, l'entrée d'Olafswik, petit port au pied du Snäffel (cf. Jules Verne et le voyage au centre de la Terre) se passe bien, mais à la sortie, un alignement pris par l'arrière nous fait sèchement talonner, à part l'émotion, aucun dégât, vive les coques métalliques.

La visite de l'intérieur de l'île en 4x4 est assez éprouvante, les pistes sont ... des pistes ; les zones d'activité volcaniques sont impressionnantes, on comprend que les astronautes de la Nasa se soient entraînés ici, ils n'ont sans doute pas été dépaysés en débarquant sur la Lune.

Retour sans histoire par l'Irlande du Nord, l'atmosphère de l'Ulster est lourde et déplaisante.

Les pointilleux douaniers de Cherbourg nous font perdre une journée... Et peu avant de rentrer à Deauville nous voyons deux trombes qui passent assez (trop) près d'Alibi.

En 87, nous nous sentons pousser des ailes, ma profession me permet de me faire remplacer 3 mois par an. Nous en profitons pour descendre au mois d'août le bateau à Villamoura, au sud Portugal, nous le laissons en sécurité dans une marina gardée par des policiers qui portent fièrement une mitraillette sur le ventre, on peut ne pas aimer, mais c'est rassurant dans certains cas...

Fin octobre retour à Villamoura, et départ immédiat pour Las Palmas de Grande Canarie, nous n'y resterons que 48 heures, le temps de remplir notre cambuse et d'embarquer notre fille Françoise, qui a décidé de traverser l'Atlantique avec ses parents et Antoine, son fils de 3 ans.

L''Atlantique par la route des Alizés est cette année-là une promenade de santé, c'est tout à fait comme dans les livres, nous restons 4 jours sous booster tangonné, nous n'avons qu'à nous laisser vivre, lire, pêcher (ce sont nos premières dorades coryphènes, aussi belles que bonnes).
Seul Antoine trouve le temps un peu long, après deux semaines, il monte sa pelle et son seau sur le pont et demande si la plage est encore loin... Pour conjurer le sort, nous n'avons plus beaucoup de vent depuis quelques jours, il pend son lapin en peluche c'est la permanence du mythe de l'animal aux grandes oreilles.
Nous arrivons à Béquia après 23 jours de mer, mais notre gendre Guy attend sa femme et son fils à Union, la famille est bientôt réunie et nous visitons les Tobagos Cayes, c'est très très beau, allez-y. Nous remontons jusqu'en Guadeloupe par Marigot Bay à Sainte Lucie, un vieil antillais vient nous proposer des fruits « My name is Moses, you know Moses in the Bible ».

Pour Noël, nous changeons d'équipage, notre fille Anne vient nous rejoindre avec son mari Jean-Paul et leurs deux filles, nous montons à Antigua et Saint-Barthélémy, tout ce petit monde n'a pas tellement le pied marin...

Nous laissons Alibi en sûreté au chantier Lemaire à Pointe à Pitre. Nous le retrouverons fin avril, mais entre-temps nous le prêterons à des amis qui navigueront dans les Caraïbes en février et mars.

Dès notre retour, carénage sur le dock flottant du chantier, et départ immédiat pour Saint-Martin et le îles Vierges, de Virgin Gorda Cap sur les Açores traversée assez rapide,, 12ème jour, à 500 milles de l'arrivée un coup de vent d'est nous chahute un peu, au près nous marchons à 8 ou 9 noeuds dans une mer formée, toutes les 2 minutes nous retombons brutalement dans un creux de vague, le bateau tremble, nous réduisons la voilure, retombons à 6 noeuds, et l'allure redevient presque confortable.

Notre pilote électrique nous a abandonné au départ, mais heureusement notre régulateur d'allure Ariès prend la relève et nous conduit à Horta ; nous n'y resterons que peu de temps avant d'atterrir à Falmouth, comme les grands voiliers du siècle passé («Falmouth for orders»). Pour nous ce n'est pas l'amateur qui décide, mais les patients sont impatients (on peut rêver) de me revoir.

En 89, après une abondante correspondance, dont une lettre à Chevernadze, Ministre des Affaires Etrangères soviétiques, nous avons nos visas pour Leningrad, et une fois encore nous ferons route avec Ratafia.

Mais pour nous ce beau projet ne dépassera pas Ostende, une méchante pneumopathie à raison de ma carcasse. Nous nous consolerons en montant à Rouen voir l'Armada du bicentenaire. Nous redescendrons la Seine avec tous ces grands voiliers, et nous conserverons longtemps en mémoire leur départ dans le couchant entre Le Havre et Honfleur. Ratafia nous consolera en nous rapportant un boulier.

Nos amis ont été enchantés de l'accueil des Russes et nous décidons en 90 d'y retourner avec eux.

Patatras, le 1er juin, jour de mon anniversaire, je fais un infarctus du myocarde, très bien soigné à Bernay et à Caen je récupère, et le 1er août nous partons pour les Scilly, c'est une petite croisière qui nous reporte à nos débuts, mais bien réconfortante après ces ennuis de santé.
Le cardiologue de Bernay me déclare inapte à poursuivre ma vie professionnelle, mais m'autorise à partir aux Antilles, il viendra l'année suivante naviguer 15 jours avec nous aux Grenadines; Il ne voyage pas sans son électrocardiographe portatif, et il nous donnera sa bénédiction pour passer Panama et continuer le tour.

Il est important de faire un bon usage des maladies, les membres des professions libérales ne peuvent prétendre à leur retraite qu'à partir de 65 ans, je gagne 4 ans, et tous les investissements professionnels sont pris en charge par les assurances.

. Il ne nous restait plus, infimes détails, qu'à vendre le cabinet et la maison, opérations menées tambour battant.

C'est la fin de notre apprentissage, nos croisières vacancières nous faisaient vivre un mois ou deux sur le bateau, maintenant nous devons nous préparer à y demeurer pendant plusieurs années à travers le vaste monde.

Au cours de toutes ces années, nous avons régulièrement adressé à notre fille Anne une lettre trimestrielle qu'elle diffusait aux amis, si vous le voulez bien, c'est cette collection de lettres que je vais retranscrire maintenant, avec quelques corrections pour éviter les redites, quelques coupures pour des événements familiaux qui n'intéressent que peu de gens.


Puerto Colon, octobre 1991


Bonjour,

Midi, le 24 mars 1991, nous quittons Manneville et le Long Val...

Que d'événements depuis un an, l'infarctus, la vente du cabinet, la vente de la maison, la retraite et la décision de partir naviguer quelques années sur Alibi. Tout s'enchaîne logiquement, et ce dimanche, avec un sérieux pincement au coeur, qui ne doit rien à la maladie, nous sommes au pied du mur.

Pendant trois mois, nous vivons à Deauville sur le bateau, le préparant, l'équipant, entre autres choses, d'un enrouleur de grand voile, d'un GPS (pour les non initiés « Global Positionning
System », procédé de positionnement par satellites mis au point par les Américains, la guerre du Golfe en a accéléré la mise au point) la précision civile est de l'ordre de 100 mètres, bien supérieure à celle des navigateurs par satellites dont nous disposions jusqu'à présent. Le sextant est désormais un bel objet décoratif pour les photos de genre, mais il reste indispensable dans l'armement, il ne tombe jamais en panne, contrairement à l'électronique...

Un de mes plus glorieux souvenirs de plaisancier, c'est le jour où un cargo me demanda « mon sat-nav est en panne, pouvez-vous me donner votre position? »

Nous installons aussi un radar neuf, nous vérifions le moteur, et mille choses qui font qu'un bateau n'est jamais tout à fait au point, et n'est jamais terminé.

Le 7 juillet aux aurores, ou presque, nous quittons Deauville, escortés par Farouel, bateau de Jean-Pierre et d'Annie, et d''Aventurine à nos amis François et Jeanine. Nous avons pour équipiers Daniel,, Lydia et leur fille Maïté, Daniel a construit entièrement de ses mains, en trois ans de travail une coque de Florès et avant de prendre la mer pour une année sabbatique, ils sont très désireux de voir le comportement d'Alibi en croisière, ils nous accompagneront jusqu'au Portugal.

Notre première escale, prévue depuis longtemps est Saint-Vaast la Hougue, son port et ses huîtres sont riches de souvenirs. Nous y retrouverons Evelyne IV, partie 24 heures avant nous, ils ont un problème d'inverseur, mauvais début d''une année sabbatique.

Le lendemain par vent tonique nous gagnons Aurigny. Alibi marche avec un os entre les dents, mais l'équipage a le coeur près des lèvres...

La Manche ouest et la Bretagne nord ne seront pas regrettées ; nous avons droit à un festival de pluie, de vents contraires et de brume. Le radar neuf et le GPS font merveille, nous embouquons le Chenal du Four sans rien voir avec une tranquillité d'esprit tout à fait confortable.

L'Aber Wrach' et Camaret sont nos dernières escales françaises, nous traversons le Golfe de Gascogne par petit temps, mi-voile, mi-moteur, et nous mouillons à la Corogne après 64 heures de mer.

Notre première journée espagnole est consacrée à la mécanique, nous modifions la suspension du groupe électrogène, ses « silents » blocs ont rendu l'âme après seulement 60 heures de service, et un diesel monocylindre non isolé rend le bateau fort inconfortable... Quelle bonne idée j'ai eu d'embarquer comme équipier un professeur de mécanique, dont l'épouse est une parfaite hispanisante, merci Daniel et Lydia.

Quittant la mer pour une fois, nous allons à Saint Jacques de Compostelle par le train. Nos souvenirs de 58 et de 67 sont confrontés à une intense circulation automobile qui enlève beaucoup de charme à cette ville. Heureusement l'après-midi les voitures libèrent les rues, et nous retrouvons l'ambiance que nous avions aimée.

L'étape prévue pour Bayonna s'interrompt à Camarinas, le Nordet frais qui souffle comme souvent au cap Villano fatigue encore l'équipage ; un incident mécanique nous incite également à un arrêt technique : les rivets unissant le vit de mulet à la bôme de grand voile sont cisaillés, nous les doublerons.

Le lendemain, par vent nul et brume épaisse nous nous arrêtons à Finistère, petit port de pêche actif, en Galice profonde. Les plages sont sympathiques, mais l'eau est glaciale ; Bayonna, jolie petite ville, un peu décor d'opérette, est notre dernière étape en Espagne.

Nous avons été surpris en Galice par de nombreux chantiers commencés, le paysage est peuplé de carcasses de béton abandonnées depuis des mois ou des années.

Il est certain que le touriste, après avoir visité Saint Jacques de Compostelle doit être quasi héroïque pour séjourner sur cette côte plutôt frisquette.

Portugal, Viana do Castello, premiers contacts avec l'administration portugaise dans chaque port nous verrons en moyenne 4 ou 5 fonctionnaires, douanier et police maritime, qui remplissent allègrement des rames de papier, et ce gratuitement ou presque, à Viana l'employé du port m'a escroqué de 2 francs 25... La plaisance n'est pas encore développée, et ils n'ont pas encore commencé à traire la vache à lait : une place dans une marina en plein centre de Lisbonne me coûtera 23 francs nous sommes loin des tarifs français ou anglais, ne désespérons pas l'esprit européen se répandra bientôt sur les bords du Tage.
Viana-Porto sous booster et remontée du Douro par très beau temps, l'amarrage avant le pont Eiffel n'est pas des plus confortables, mais la ville, son ambiance, ses chais, ses monuments méritent la peine que nous nous donnons.

En touristes consciencieux nous dînons dans un restaurant à fado, la chère est quelconque, les chanteuses fanées, mais l'addition est salée. Paulette pense que je suis sévère, l'une des chanteuses m'ayant embrassé le sommet du crâne, elle croit (à tort) que j'ai sous-estimé cet hommage.

Nous sommes déjà le 28 juillet, les Courtois, père, mère et fille nous quittent en interprétant leur version personnelle de « la valise en carton. Ces gens charmants nous laissent un excellent souvenir et nous leur souhaitons une bonne réussite dans leurs navigations futures.

Nous restons quelques jours à Porto, nous avons tout notre temps, notre ami Christian n'arrivant à Lisbonne que le 17. En quittant le quai le courant nous pousse contre un voisin danois, plus de peur que de mal ; à l'embouchure du Douro nous faisons un crochet par Leixoes l'avant-port de Porto avant de gagner la lagune d'Aveiro, jolie et facile navigation, nous suivons la côte à 1 ou 2 milles les plages sont belles, mais l'eau est toujours aussi froide. A 4 ou 5 milles de l'entrée de la Ria, la brume tombe comme un rideau, la visibilité ne dépasse pas 100 mètres mais avec radar et GPS, nous sommes bientôt entre les jetées ; nous sommes cependant un peu perdus dans ce complexe de canaux, de marais salant où tout est conditionné par la pêche, nous passons une nuit inconfortable à couple d'un vieux gréement, secoués par le passage incessant des chalutiers, le lendemain nous trouvons un mouillage beaucoup plus tranquille à Sao Jacinto.

35 milles plus loin à Figueira da Foz, un bassin est réservé à la plaisance, nous sommes amarrés entre 2 bouées; Ce samedi soir nous faisons connaissance avec la famille Fenouillard en croisière, version espagnole : un voilier de 9 mètres ayant pour équipage 2 hommes, 3 femmes, un gamin de 8 ans et deux pékinois d'un âge avancé, se met à couple d'Alibi, pas d'amarres prévues, les écoutes de foc en tiendront lieu, pas davantage de pare-battage... Et ils viennent d'Espagne! Comment ?

Le dimanche après-midi nous assistons à une corrida portugaise, sans mise à mort (dans l'arène). Le « toro » est travaillé par des banderilleros à cheval, et pendant un quart d'heure ce sont des voltes, et des charges qui épuisent l'animal ; finalement maîtrisé par 8 hommes à pied le « toro » évacue sagement la place en suivant quelques vaches. Cette course est beaucoup moins dramatique que la corrida espagnole, mais offre pendant 2 heures un spectacle équestre de qualité.

Lundi départ pour Peniche, un pêcheur nous promet du beau temps, nous ne trouvons malheureusement que du brouillard, de la pluie, un restant de houle, mais pas de vent ; devant ces conditions de rêve, nous préférons nous arrêter à Nazaré. Nous avions connu ce village en 57, nous y avions vu les barques tirées sur la plage par des attelages de boeufs, aujourd'hui nous trouvons un port actif et moderne que nous apprécions, mais hélas Nazaré s'est «enrichi» d'un front de mer en béton parfaitement hideux. Nous ne prolongeons pas notre escale dans ces lieux enchanteurs et gagnons Peniche sans tarder, nous y retrouvons Evelyne IV que nous avions laissée à Saint-Vaast,
nous comparons nos traversées, nous nous retrouverons à Lisbonne.

Le soleil du matin nous rend courageux et nous filons sur Cascais avec 35 noeuds de vent, bonne route mais le mouillage est rouleur et bruyant.

Dès que la marée le permet nous remontons le Tage pour trouver une marina rustique
et relativement confortable, située au pied du vieux quartier d'Alfama et quelques mètres de la See (la cathédrale) et du château Saint-Georges.

Pour la première fois depuis un mois il fait chaud !

Pas de courrier à la poste centrale : c'est un problème difficile dans ce genre de croisière.

Nous retrouvons avec plaisir la dentelle de pierre des Hyéronimites, le musée de la Marine et la Tour de Belem, nous espérons que le fantôme d'Henri le Navigateur saluera notre prochain départ.

En attendant nous visitons la Fondation Gulbenkian, cet Arménien, monsieur 5%, montant de la commission qu'il touchait entre les deux guerres sur les pétroles extraits du Moyen-Orient, ce pactole lui assurait des fins de mois sans problème ; collectionneur éclairé il amassa au cours de sa vie d'innombrables objets d'art, des tableaux, des monnaies anciennes, des meubles du XVIIIème siècle français, toutes ces merveilles sont présentées dans d'immenses locaux modernes et sont remarquablement mises en valeur. A voir absolument.

Christian nous arrive ce soir, avec pour le capitaine un grandissime Bordeaux et pour le second un flacon de N°5, la traversée commence sous d'excellents auspices. En fait, nous avons pendant une semaine un vrai temps de demoiselle ; la pêche commence à être intéressante, un thon d'au moins 15 kilos (foi de pêcheur) vient enrichir les menus, le thon c'est bon, mais point trop n'en faut...

Santa Cruz de Teneriffe, le port est rempli de chalutiers russes, japonais mais tout au fond du bassin nous trouvons une petite place à couple d'un danois qui résume la situation : « dirty and oily ...» Dès le lendemain matin nous filons vers le sud jusqu'à Los Christianos, mouillage encombré, dans ce qui fut un petit port, le bassin n'a pas changé, mais l'environnement a été modifié pour accueillir un tourisme de masse.

A ce propos le tour de l'île en suivant la côte à 1 ou 2 milles est instructif, nous imaginons un concours donné à une classe d'étudiants en architecture : dessinez un complexe de loisirs et de vacances.
Les résultats sont surprenants, aucune unité bien sûr, cela va de l'hôtel de luxe aux HLM standards, quelques tours, et de nombreux immeubles en copropriété.

La vente des appartements dans ces immeubles en «time-sharing» est bien organisée : de charmants jeunes gens vous accostent en ville et vous proposent de visiter des résidences, nouveau mode de vacances, si nous sommes bien sages et acceptons d'écouter un vendeur nous expliquer tous les avantages de la copropriété, nous avons gagné 3 jours de location de voiture gratuits, évidemment il nous est bien sûr proposé d'acheter une ou deux semaines de séjour par an, si nous signons tout de suite c'est 100 000 francs, si nous réfléchissons 24 heures, c'est 20% de plus. Cela semble assez bon marché, mais ramené à l'année cela, met le mètre carré de faux luxe au prix de l'avenue Foch !!! La seule chose qui nous intéresse est bien sûr la voiture.

Ces ensembles proposent tous les piscines indispensables à la bronzette, les plages de sable noir sont rares, il n'existe qu'une seule plage de sable blanc dans l'île, il a été importé du Sahara, les mauvaises langues prétendent que les scorpions ont profité du voyage.

L'intérieur de l'île est resté beaucoup plus proche de la nature que la côte, on trouve d'immenses champs de bananes, sous couverture plastique, mais ce n'est qu'un détail, au regard des étendues de laves quasi lunaires qui s'étendent au pied de Teide, ce volcan au cône presque parfait.

Les Guanches qui peuplaient à l'origine les Canaries ont bien entendu complètement disparu, à l'arrivée des premiers colons, des normands menés par Jean de Bettencourt. Nous allons devoir nous habituer aux bienfaits de la civilisation.

Nous commençons à apprécier cette vie de nomade asse confortable, nous avons rapidement changé de mouillage pour aller à Puerto Colon sur la côte ouest de l'île, c'est une marina plus commode que le mouillage et le cadre est fort agréable, même si piétons nous sommes un peu trop sollicités par les vendeurs de semaine de vacances, un jour où nous n'avions pas besoin de voiture, nous écartâmes ces importuns qui essayaient de connaître notre nationalité en répondant « ruski » variété encore rare dans la gent touristique.

Nous voyons aussi un concurrent malheureux de la Mini-Transat arriver en remorque d'un bateau de la Cruz Roja, la première étape avait été très dure et dès le départ, une fausse manoeuvre le précipitait sur un winch, il semble souffrir beaucoup, nous téléphonons au médecin, qui devant des symptômes peu évidents l'autorise à repartir, mais le remorquage l'a disqualifié, les organisateurs viennent prendre les nouvelles, nous nous réconfortons devant un plat de pâtes.
Départ des organisateurs, et arrivée de deux copains en voiture. En fait ce concurrent après une étape éprouvante qui avait vu deux disparitions a craqué psychologiquement, il ne s'est pas senti de taille à traverser l'Atlantique sur un bateau de 6m50, ce qui est certainement très dur, et il a bien fait de s''arrêter après 24 heures plutôt que de déclencher sa balise au milieu de l'océan.

Nous avions pensé ne pas rester scotchés pendant deux mois comme des moules sur notre rocher, nous avions projeté d'aller visiter le groupe des Canaries occidentales, la Gomera, La Palma et Hierro, mais la mauvaise réputation des mouillages et la crainte de ne pas retrouver notre place nous retiennent à Puerto Colon.

Nous y rencontrons des gens sympathiques ou surprenants. Tout d'abord un couple français d'une cinquantaine d'années, après l'infarctus du mari, ils ont abandonné l'élevage du poulet dans le sud-ouest pour se reconvertir au « day-charter » à Gran Canaria, avec un catamaran de 13 mètres (La Ville Audrain), ils sortent tous les jours avec une moyenne de 15 à 20 clients par fournée, les dauphins et les globicéphales sont presque toujours au rendez-vous ; nous sommes sortis plusieurs fois avec eux, c'est un travail répétitif qui demande de bonnes qualités d'accueil... Mais tout n'est pas simple, il leur a fallu plus de trois ans pour être à peu près en règle avec les autorités espagnoles. Nous les accompagnions à Santa Cruz pour les dernières formalités, ils ont enfin le dernier coup de tampon. Au retour ils s'arrêtent à la Candelaria, ils allument un cierge devant la Vierge miraculeuse ; par la même occasion ils en allument un pour la bonne réussite de notre traversée.

Autre échantillon des gens de bateau qui hantent la marina : un couple de belges partis depuis 5 ans d'Europe, lui, ancien bistro joue aux échecs et entretient le bateau, elle travaille dans un hôtel ; leur projet de grand tour, à ce train-là prendra au moins 70 ans. Elle me demande de lui rafraîchir ses connaissances en navigation astronomique, ils affichent l'un et l'autre un souverain mépris pour les méthodes modernes de positionnement, un routier de l'Atlantique suffit, et d'ailleurs, «tu suis la Flèche d'Orion et tu arrives droit à Antigua!!!». Les meilleures histoires belges sont dépassées de très loin.

Nous avons pour quelques jours un voisin hollandais, son propriétaire admire Paulette brossant et récurant Alibi, et me dit «ma femme n'en fait jamais autant», je lui réponds «nous nous sommes connus dans la Marine», et j'obtiens cette réponse merveilleuse, en anglais « Oh Navy Commando ». Ce n'est quand même pas l'ambiance du bord....

Nous avons d'autres voisins charmants, lui est architecte ; elle grignote gentiment la fortune paternelle, ils sont pourvus d'un petit Michel de 16 mois qui accapare tout leur temps. Nous partons ensemble, dans nos deux annexes vers une plage d'accès difficile, à peu de distance de la marina, le ressac nous en interdit l'accès, mais de toute façon nous étions attendus par quelques nudistes agressifs qui joignaient au ressac quelques jets de pierres et de briques pour nous empêcher de débarquer. Nous retrouvons les sentiments que Cook, Bougainville et La Pérouse durent éprouver il y a 200 ans dans les îles du Pacifique. Peut-être n'aurions-nous pas été rôtis?
Nous rencontrons un rêveur d'une autre sorte ; un français de 45 ans, après trois séjours aux Canaries, est revenu avec sa voiture, une Fiat Panda, dans l'espoir de gagner sa vie en promenant des touristes dans l'île avec ce véhicule, intéressant pour faire un plein d''épicerie, mais manquant quelque peu de confort; nous servons de cobayes pour tester un circuit de 200 kilomètres ; les paysages sont superbes, mais après 8 heures de voiture nous sommes moulus. Nous lui conseillons de changer de véhicule.

Nous rencontrons également un couple de suisses vivant ici depuis 13 ans : « vous comprenez la Suisse n'est plus vivable, c'est quasiment le Goulag». Je n'ai pas réussi à me faire préciser dans quel carton se trouvaient les camps. Est-ce une piste pour Amnesty International ?

Nous allons prendre congé, nous vous retrouverons bientôt aux Caraïbes.















Fort de France, Janvier 1992

Bonjour,
Pour ce chapitre, nous changerons de rédacteur, Paulette ayant souhaité de raconter la traversée de l'Atlantique.

« Un goût de pleine mer qu'on ne peut oublier
Une fois qu'on y a goûté ».

Saint-Exupéry


L'Atlantique

Préparation de la traversée :

Psychologiquement, nous attendons la bonne époque pour les Alizés du Nord Est pour arriver aux Antilles après la saison des cyclones.

Nous avions préparé Alibi à Deauville, à Ténériffe, après quelques mois, il y a un peu de végétation sur la coque, nous frottons la carène, harnachés de palmes, tubas et bouteilles.

Avitaillement :

Nous avons eu le temps de faire une étude comparative des conserves en vente dans l'île : les saucisses sont allemandes, le thon et les sardines espagnoles, les harengs hollandais ou islandais, le vin et la bière sont espagnols, les bananes et les oranges sont des productions locales; Les cales sont pleines, nous pourrions soutenir un siège.

9 novembre, arrivée de Daniel, vieil équipier d''Alibi, il était avec nous en Islande et au Portugal ; il devait être accompagné d'Yves, un de nos amis Pontaudemérien qui se faisait une joie de cette traversée ; se sentant un peu à court d'entraînement, il en a suivi un trop poussé, qui lui a provoqué une phlébite du bras (pathologie des sportifs surentraînés). Il nous rejoindra à Saint-Martin avec son épouse Marie-Claude.

Notre paresse naturelle nous incite, dans la plus pure tradition de la Marine à voile à « shanghaier » un jeune «bateau-stoppeur» de 30 ans, qui se révélera une excellente recrue.

Pour commencer la 3éème année de notre vie commune, Roger m'offre une troisième traversée de l'Atlantique et deux maillots de bain. C'est peu commun.

10 novembre

Départ de Puerto Colon. Le Teide est dans les nuages, les adieux sont amicaux. Nous quittons une île curieuse, pleine de contrastes entre le tourisme de masse sur la côte sud et la sauvage beauté de l'intérieur.
A quelques milles de la côte, les dauphins et les globicéphales nous saluent.

La vie à bord s'organise, mais comme disent les anglais, nous n'avons pas encore nos jambes de mer. La pendule du bord est en TU, nous décidons de vivre la traversée sans ajuster nos montres aux fuseaux horaires.
La veille est assurée 24 h sur 24, nous sommes 4, et nous assurons des quarts de 3 heures de 20 h à 8 h et de 4 h dans la journée. Ainsi nous aurons un roulement et de longues périodes de repos.

Roger est toujours disponible, il sera parfois dispensé de quart après une intervention technique. Je l'ai entendu déclarer : « je hais la mécanique ».
La garde-robe d'Alibi :

Pour cette traversée aux allures portantes :
Alizés légers : « booster » de 150 m2 ayant fait déjà de très nombreux milles, le booster est une sorte de génois en nylon léger, à double pli, gréé avec des mousquetons sur un étai volant, déployé en ailes de papillon débordées par un ou deux tangons. Si le vent refuse, il suffit de laisser partir le pli au vent vers l'avant et de le récupérer grâce à son écoute double sous le vent et de le border parallèlement à l'autre moitié du booster. Lors de notre traversée en 87 nous avons beaucoup utilisé cette voile. Le booster en place, la grand-voile est roulée et l'artimon sert à équilibrer le bateau.

Alizés toniques : les deux yankees enraillés dans chacune des deux gorges du profilé de l'enrouleur. Nous pensions avoir trouvé la voilure idéale par vent arrière de force 5-6 et plus, la surface déployée est de 90 m2 d'un grammage l'enrouleur ; nous avons ainsi parcouru 172 milles e 24 heures. Mais rien ne va plus dès que le vent refuse, après utilisation de cette formation à 2 yankees tangonné et grand voile roulée nous abandonnons ; nous utilisons un yankee tangonné d'un bord, trinquette et grand voile de l'autre, nous perdons 20 m2 de surface, mais cette configuration est plus souple ; chaque voile peut être ajustée séparément en fonction du vent, mais nous perdons 1/2 noeud.

Aujourd'hui nous pensons que pour une très longue route aux allures portantes, le bateau serait équipé de deux enrouleurs de génois, afin de pouvoir déployer une voile de chaque bord, complètement indépendantes.

Le pilotage :

Première solution : barrer pendant les quarts,, c'est amusant un moment...

Pilote électrique : c'est parfait, il conserve impeccablement le cap affiché, mais c'est un très gros consommateur d'énergie, et il ne tient pas compte des variations du vent.

Régulateur d'allure : il n'utilise que le vent, le sillage est moins rectiligne, le régulateur travaille gratuitement (c'est rare), mais il faut savoir lui parler gentiment car elle est très susceptible, nous l'avons nommé Ophélie, c'est une pale immergée...

L'énergie à bord :

Le moteur principal charge les batteries, un alternateur auxiliaire est attelé au moteur et l'arbre d'hélice en entraîne un autre. Nous avons aussi un groupe électrogène fixe, fonctionnant au gas-oil, alimentant la cuisinière électrique (nous avons peur du gaz, et le pétrole est vraiment très salissant).

Nous partons donc confiant, nous pourrons mettre des glaçons dans le whisky, la suite nous fera déchanter un peu.

Mais Alibi est un voilier, et du vent nous en avons, l'alizé force 6 à 7 pousse le bateau à 7 ou 8 noeuds, cap à l'Ouest ; le rêve.
La maintenance au cours du voyage :

Le rail des cloches de tangons, à l'avant du grand-mât perd quelques rivets pop. Le moteur a une fuite d'eau à la pipe d'échappement, la pompe d'eau de mer est désamorcée. Voilà pour le premier jour. Vous comprendrez que le capitaine soit parfois dispensé de quart.

3ème jour

Le groupe électrogène ne s'arrête plus, il faut intervenir manuellement, l'électrovanne est HS.

4ème jour

L'alternateur d'arbre, révisé avant le départ ne charge plus.
Nos amis Deauvillais possèdent un voilier nommé « Troll », nous auraient-ils subrepticement refilé quelques uns des génies qui hantent leur bord ?

Dehors le temps est tonique, très beau, mais le moral du chef est en baisse. Les nuits sont superbes, étoilées, la lune est croissante. Nous nous plongeons dans les bouquins d'astronomie élémentaire «Sachez lire les étoiles».

Vers 4 heures du matin, Roger me dit «j'ai vu Vénus se lever, je vais me coucher». Ne cherchez pas le rapport.

5ème jour

Au milieu de la nuit, grains, pluie, éclairs, le vent tourne à l'Est, alizés musclés 7 à 8.
Nous installons nos yankees tangonnés, la manoeuvre n'est pas évidente, il est conseillé de réfléchir avant d'agir ; bientôt tout est à poste, Ophélie est de quart, Alibi et l'équipage sont heureux, nous frôlerons les 180 milles en 24 h.

La mer, malgré sa puissance reste amicale, ce n'est pas le mauvais temps mais l'océan majestueux et superbe. Les prévisions météo annonçaient grande houle mer forte ; parfois une vague frappe le bateau, l'eau est tiède, Alibi est soulevé, glisse, se dandine, provocant un roulis incontrôlé (par nous). Chacun prend des positions impossibles, les cousins connaissent diverses sauces, thé, café... Vive le cuir ! Les repas nous rassemblent dans le carré confortable et presque silencieux. L'ambiance est excellente ; en dehors des rares manoeuvres de voile, chacun lit, dort, médite (peut-être), pêche.

Le temps s'écoule, matérialisé par des points reliés entre eux sur le grand routier de l'Atlantique Nord où les distances journalières sont reportées. Le GPS est un instrument magique, en permanence, position, vitesse, cap sont affichés. Il faut un rare courage pour vérifier au sextant son bon fonctionnement.

7ème jour

Nous coupons le tropique, 7 dorades coryphènes passent de la mer au fourneau, 2 autres choisissent la liberté. A 1800 milles de toute terre nous voyons notre première paille en queue ; les poissons volants commencent à s'élever en rangs serrés. Où sont les hommes ? Nous n'avons vu aucun bateau depuis Ténériffe.

Lexique : un os entre les dents traduction littérale de l'expression anglaise « with a bone in her teeth », dans le langage courant, il ne s'agit pas d'un chien, mais d'un bateau plein de feu et d'ardeur, le
« bone » pourrait être la moustache d''écume.
9ème jour

Nous sommes à mi-route (la Saint Mi-chemin, chère à Annie Van de Viele). Le vent se calme, nous ne pourrons pas maintenir cette allure ; le grand génois sort de son sac, il nous aide à marcher à 4, 3, 2 noeuds. Bientôt quelques heures de moteur chargeront les batteries et nous permettrons plus au Sud de retrouver l'alizé.

Le capitaine et l'équipage vérifient au sextant la bonne marche du GPS, quelques milles d'écart, les calculs se font avec la calculette et les tables HO 249.

12ème jour

Les jours succèdent aux nuits, le vent faiblit, notre moyenne journalière est descendue à 106 milles. Nous ne battons pas un record de traversée.

Grande serait l'erreur de faire totalement confiance à l'électronique, pendant 48 heures le GPS reste muet, ces choses là nous dépassent, feignons de les expliquer, le sat-nav qui depuis 8 ans nous guide fidèlement sur les mers prend le relais. Il nous positionne seulement toutes les 3 ou 4 heures, au milieu de l'océan c'est plus que suffisant.

La mer et les nuits rivalisent en beauté, mais nous n'avons pas encore vu de lever ou coucher de soleil notable, heureusement d'ailleurs, je serais bien incapable de le décrire.

Le booster a fini sa carrière. Il est mort debout, dans un grand déchirement de nylon, nous le regretterons, il accompagnait nos navigations par beau temps depuis des années, j'aimais la silhouette d'Alibi sous cette voile.

Des ondes tropicales sont annoncées, elles sont fidèles au rendez-vous, imaginez des grains de courte durée, accompagnées de pluie tiède et de vents variables en force et en direction, deux heures plus tard le ciel est dégagé, l'alizé est revenu, la mer est superbe, nous n'avons plus qu'à attendre la suivante.

13ème jour

En dehors de toute route maritime, nous voyons un cargo philippin en route de Panama à Safi au Maroc.

14ème jour

Nous sommes rattrapés par un cargo de la Delmas, il sera en Guadeloupe avant nous.
Le temps semble calme, Roger monte en tête d'artimon pour vérifier la connexion de l'antenne GPS, ça marche...une heure, le sat-nav fonctionne et comme les mouvements de métronome en tête de mât sont violents, une nouvelle ascension est remise à plus tard.

15ème jour

Pour la seconde fois RFI ne communique pas la météo, nous sommes arrivés dans la zone Est-Antilles.

16ème jour

Il nous reste l'équivalent du Golfe de Gascogne à courir.

16ème nuit

La nuit est orageuse, nos sens sont en éveil, vers 4 h. j'éprouve une impression différente, je respire un souffle chaud à forte odeur d'étable, je pense à Melville et à Moby Dick que je viens de relire :

« A quoi comparerais-je le cachalot quant au parfum, en prenant en considération sa
grosseur ? Ne serrait-ce pas à cet éléphant célèbre, aux défenses enrichies de joyaux, embaumant la myrrhe, qui fut sorti d'une ville hindoue pour honorer Alexandre le Grand ? »

L'alizé musclé pousse Alibi, tel un papillon aux ailes déployées, à plus de 7 noeuds, c'est fascinant, Ophélie travaille sans faiblir. Parfois sous l'action d'une vague Alibi fait une embardée de 20 à 30 degrés, le bateau glisse, court, vole, mais l'action conjuguée de la mer engendre un roulis pendulaire important qui maintient une bonne souplesse dans les articulations ; il serait intéressant de calculer la fréquence de ces oscillations pour connaître le nombre de mouvements effectués entre les Canaries et les Antilles !

17ème jour

Nous abandonnons le routier de l'Atlantique pour la carte des petites Antilles, nous sentons l'écurie. Le trio Alibi, Ophélie, Eole fait merveille.

18ème jour

Alibi caracole, le capitaine nous offre un atterrissage de nuit dans le canal de l'Anguille, les dernière heures sont superbes, démonstration de navigation électronique, voilure réduite, Ophélie à la barre.
TRES BELLE TRAVERSEE !

En 18 jours et 12 heures, à la moyenne sur le fond de 5 noeuds 84, meilleure journée de 172 milles, et seulement 12 heures de moteur.

La navigation hauturière dépend du bateau et de sa préparation en fonction du programme et de la faculté du chef d bord d'assurer la bonne marche et la maintenance de l'ensemble, la bonne entente de l'équipage est aussi importante, à bord d'Alibi toutes les conditions étaient réunies.

Nous sommes à terre depuis 48 heures et nous avons déjà retrouvé les inconvénients de la civilisation, notre annexe disparaît, le skipper d'un gros yacht charter en avait besoin, il nous l'avait
« empruntée »...

Notre équipier Frédéric, très bien de sa personne, souhaitait travailler à Saint-Martin, Paulette lui en plaisantant : « il y a suffisamment de riches américaines esseulées pour que tu trouves à t'occuper » ; à terre il croise effectivement deux américaines qui s'écrient «qu'il est beau»et se photographient mutuellement en train de l'embrasser ! Plus sérieusement il trouvera à s'employer dans un hôtel.
Nous avons retrouvé notre fils Pierre, affairé et charmant. Sa mère ayant exprimé le désir de survoler les îles, nous nous retrouvons 30 minutes plus tard en hélicoptère au-dessus de Saint-Martin et d'Anguille, c'est superbe.

Saint-Martin est une île à l'histoire curieuse, ses premiers colonisateurs furent deux capitaines, un français et un hollandais, ces deux militaires intelligents décidèrent, plutôt que de livrer bataille, de se partager l'île, deux soldats partirent en courant d'un point de

partager l'île, deux soldats partirent en courant d'un point de la côte en suivant le rivage, l'un vers le nord, l'autre vers le sud, ils se rencontrèrent de l'autre côté, et la ligne tracée entre les points de départ et d'arrivée est la frontière depuis plus de 300 ans. Aujourd'hui frontière symbolique, les deux côtes étant port franc.

A mon arrivée à Saint-Martin, je suis allé à la gendarmerie pour faire viser mon acte de francisation. «Mais vous êtes en France ici» me répondirent les braves pandores. Ils ont par ailleurs de quoi s'occuper avec l'immigration clandestine des voisins de Saint-Domingue et d'Haïti, sans compter la drogue, les trafiquants trouvant Saint-Martin idéalement placé entre la Colombie et les Etats-Unis.

Nos amis Autain arrivent le lendemain de notre atterrissage (heureusement que nous n'avons pas traîné, mais Alibi justifie une fois de plus sa réputation d'autobus). Nous espérons que ces deux semaines compenseront en partie la désillusion d'Yves de n'avoir pas participé à la traversée de l'Atlantique.

Par petites étapes toniques (l'alizé est musclé cette année) nous descendons en Guadeloupe en passant à Saint-Barth où nous retrouvons Artaban, vendu 15 ans plus tôt, Saint Kitts, Nevis, Monserrat. A Deshaies nous rencontrons un gendarme ancien Pontaudemérien qui nous accueille très amicalement ; dans la conversation nous abordons le problème de la pêche et de la « ciguatera » (intoxication alimentaire grave provoquée par la consommation de poissons tropicaux toxiques). Notre interlocuteur nous dit ne pas connaître cette variété de poisson, et il mange tout ce qu'il attrape...

Descente sur l'archipel des Saintes qui est toujours une des plus belles baies du monde... Ne comptez pas sur moi pour établir un classement qui me brouillerait définitivement avec trop de gens ; nous y rencontrons Jacques Boone, aventurier et navigateur en retraite qui coule des jours heureux dans une ravissante maison en contemplant un paysage quasi paradisiaque.

Nous visitons également le cabinet dentaire racheté voici trois ans par Christine et deux de ses consoeurs (Christine m'a remplacé à Pont-Audemer pendant 8 ans). La jeune femme actuellement en poste semble très découragée par les difficultés locales. Poursuivront-elles ?

Alizé toujours puissant et pluies diluviennes dans le canal de la Dominique ; la saison est étonnamment pluvieuse, Yves, relativement claustrophobe a régulièrement essayé de dormir sur le pont ; toutes les nuits l'averse lui faisait réintégrer sa couchette.

La Dominique est une des plus pauvres des Petites Antilles, mais ses fonctionnaires compensant cella par des formalités d'entrée et de sorties tatillonnes et interminables. Rames de papier à noircir pour la police et la douane. Nous retrouverons ce rituel, appelé «clearance» dans toutes les îles ex-anglaises.

Fort de France et son mouillage des Flamands, toujours surpeuplé, nous y sommes depuis 24 h quand un magnifique «Swan» de 60 pieds mouille dangereusement près d'Alibi, le « white ensign » (pavillon de la Royal Navy et du Royal Yacht Squadron à Cowes) ne m'empêche pas de lui d mander, avec mon plus charmant sourire si cela ne le gène pas que je reste mouillé à ma place, 30 secondes plus tard, plus de « Swan »...

Autre anecdote, le bureau du port n'est qu'une baraque de chantier, j'y effectue ma clearance en même temps que le skipper d'un catamaran qui présente 15 personnes à viser, l'officier de la Police de l'air et des frontières en tamponne 14 mais brandit le 15ème en exigeant de voir le passager, celui-ci arrive, un peu inquiet : « Tu es mon frère, nous sommes nés le même jour de la même année, viens boire un
coup ».

Marie-Claude et Yves nous quittent, je pense que depuis Saint-Martin ils ont eu leur comptant de vent. Nous les reverrons plus tard.

Nos enfants, Anne, Jean-Paul et Hélène, Marie, Louis et Mathieu nous rejoignent le lendemain.

Noël et jour de l'an en famille, le sapin a des allures de cocotier, à Marigot Bay, aux 2 Pitons, à Union et aux Tobago Cayes.

91 s'achève pour nous dans la joie. Cette année aura apporté dans notre vie des changements radicaux que nous vivons allègrement et nous espérons que de nombreux amis viendront pour quelques jours partager notre nouvelle vie.

Deux notes de lecture trouvées dans Conrad :

« La mer, peut-être à cause du sel, durcit, chez ceux qui la servent, la carapace de l'âme,
mais préserve la douceur de la pulpe». (Un paria des Iles)

« La véritable paix de Dieu, commence dès que l'on est à mille milles de la terre la plus proche». (Le nègre de Narcisse)

A vous tous, nos meilleurs voeux, et à bientôt le plaisir de vous lire.






























Fort de France, mai 92
Bonjour,

Ces derniers quatre mois, nous avons effectué six petites croisières aux Grenadines, en compagnie de parents ou d'amis, mais aujourd'hui nous sommes mouillés à l'Anse Mitan, nous remettant des fatigues d'un carénage assez éprouvant.

En janvier, nous avions un peu de vague à l'âme en voyant partir nos enfants et petits-enfants que nous ne reverrons, si Dieu le veut, qu'en juillet 93, à Tahiti.

Mais nous n'étions pas sans occupation, en effet Alibi passe au gaz...

Pour nos amis qui connaissent notre phobie de ce fluide sournois, la nouvelle est surprenante, depuis trente ans tous nos bateaux avaient une cuisinière à pétrole ; il y a dix ans
l'explosion d'un voisin nous confortant dans notre option.
Il y a deux ans, fausse bonne idée, nous installons un groupe électrogène, et passons au tout électrique, comme dit la publicité de l'EDF. Mais les multiples incidents qui émaillèrent la marche de cet engin, le manque de souplesse, la nécessité de démarrer un diesel pour faire un café au milieu de la nuit, réveillant tout le bateau, nous font «sauter» le pas».

La recherche du matériel ad hoc en Martinique tient du jeu de piste et de la chasse au trésor, le climat et le dynamisme antillais ne facilitant guère les choses ; mais avec un détendeur venu de France et quelques mètres de tuyau de cuivre, le problème est résolu. Nous n'avons pas encore sauté, et honnêtement c'est très commode.

Début janvier nos amis de bateau Roger et Kiki, leur fille Gaëlle, Jean-Pierre et Annie, arrivent passablement fatigués par la vie parisienne, mais notre itinéraire classique vers Sainte-Lucie et les Grenadines remet les esprits en place et les dépayse.

Ils découvrent Marigot Bay, Bequia, les Deux Pitons, les Tobago Cayes, la barrière de corail, les poissons. Je suis persuadé que le bébé requin entr'aperçu doit aujourd'hui mesurer 5 à 6 mètres dans les repas du Deauville Yacht Club et de l'Union des Plaisanciers Français.

A Marigot nous commençons à avoir nos habitudes, Michel nous fait des paniers et chapeaux. Mais à Union, grosse déception, nous apprécions le restaurant l'Anchorage, généralement excellente table, mais aujourd'hui pas d'acra, pas de langouste, pas de vin, pas de dessert, pas de manager, sommes-nous encore dans un restaurant ?

Sur la plage d'Admiralty Bay un jeune antillais nous propose de partager une noix de coco qu'il vient de casser, puis nous en apporte trois autres (qui se révèleront pourries) nous sommes touchés par cette gentillesse si spontanée, bientôt tarifée 10 dollars EC...

Sur la foi des guides nous hésitions beaucoup à nous arrêter à Saint Vincent (Radio Cocotier rapportant qu'à Kingstown, la capitale de douanier venant à bord pour la clearance, oublie innocemment un sachet de poudre blanche que son collègue de l'immigration, passant 5 minutes plus tard ne manque pas de découvrir, avec les conséquences fâcheuses que vous pouvez imaginer, les prisons de Saint-Vincent ne passant pas pour des trois étoiles).




Comme nous sommes en règle avec l'administration nous prenons le risque de mouiller à Cumberland Bay, dans 20 mètres d'eau, l'éternel comité d'accueil nous amarre l'arrière à un cocotier, tout se passe bien, le mouillage est somptueux, nous y reviendrons.

Nos amis repartis, lestés à eux cinq de 45 litres de rhum (large tolérance...) nous continuons nos petits travaux d'entretien, et procédons à l'avitaillement d'Alibi.

Nous sommes alors confrontés à un autre problème, celui de l'argent, les chèques hors place ne sont jamais acceptés, la carte bleue atteint rapidement ses limites, nous sommes contraints d'abandonner 2 caddies pleins dans un super marché ; inconfortable ... mais la solution existe, une seconde carte Visa Premier qui autorise des prélèvements beaucoup plus importants ; elle nous est remise par l'équipe suivante, arrivant de Pont-Audemer, Jean-Pierre et Geneviève, Jean-Marie et Anne-Marie, eux-aussi fatigués par des problèmes de retraite et de santé ; l'alizé musclé qui souffle depuis deux mois va les requinquer.

Une fois de plus, nous empruntons la ligne d'autobus Fort de France-Union et retour.

L'équipage se comporte bien, Jean-Pierre, ancien officier de marine frétille sur un bateau, Geneviève se tire parfaitement de quelques séances de barre, Jean-Marie et Anne-Marie sont les champions du pilote électrique...

Comme pour tous ou presque, aux Tobagos, langoustes à gogo.
A contre coeur, ils me traînent à l'Anchorage où je ne voulais plus remettre les pieds, magnifique buffet, Steel-Band, très bonne soirée que nous renouvellerons (lundi et vendredi).

Les deux derniers jours de leur séjour nous abandonnons Alibi et nous parcourons la Martinique en minibus, nous découvrons à Grand-Rivière, tout au Nord de l'île, un sympathique petit restaurant : Tante Arlette, et à Macouba une rhumerie artisanale, le rhum JM, produit par « Les Héritiers Crassous de Médeuil » nous sommes en plein folklore, machine à vapeur, colonne de distillation, depuis Victor Schoelcher peu de choses ont dû changer, et le rhum est excellent.

Un autre aspect des Békés nous est donné au domaine de l'Acajou qui produit le rhum Clément, magnifique propriété musée où il devait faire bon vivre... pour les propriétaires...

Nos pérégrinations nous font traverser Saint-Pierre, qui ne s'est jamais remis de l'éruption de 1902. Le retour à Fort de France par la route de la Trace, forêt tropicale et fougères arborescentes, est particulièrement somptueux.

Notre mouillage à l'Anse Mitan aux Trois Ilets devrait nous plonger dans le souvenir de Joséphine, mais il ne reste rien de la Pagerie, et toute la Pointe du Bout est occupée par de grands hôtels, Méridien, Bakoua, la Pagerie, l'atmosphère nous convient assez peu.

A Fort de France, Joséphine n'est précisément populaire, sa statue sur la Savane est décapitée, en souvenir de l'esclavage supprimé par l'Assemblée Législative en 1792, et rétabli en 1802 par le Premier Consul, pour satisfaire sa femme qui ne perdait pas de vue l'exploitation du domaine familial, ni les intérêts du lobby Béké.

Deux jours après le départ des Pontaudemériens, arrivée de Philippe et Brigitte, aixois de fraîche date, ils sont plus à l'aise sur un terrain de golf que sur un voilier, mais quelques godets
de Ti-Punch les transforment en équipiers tout à fait présentables.

Toujours le même circuit, mais au retour nous attrapons une coryphène de 7 kilos que nous dégustons à toutes les sauces.
Nos aixois sont très chanceux avec les animaux, nous avons droit à de multiples démonstrations de dauphins, et devant Fort de France un cachalot de la taille d'Alibi nous offre un festival d'évolutions et de souffles. A nous Moby Dick !

René, notre cardiologue de Bernay, (excusez le possessif, mais si nous sommes-là aujourd'hui, c'est grâce à lui) prend la relève, il vient constater les effets d'un traitement aussi peu orthodoxe, il s'est muni de son matériel portatif, et après électrocardiogramme, il nous donnera sa bénédiction pour poursuivre le voyage.

Nous commençons son séjour dans un restaurant de l'Anse à l'Ane, la campagne électorale bat son plein, nous partageons la salle avec un candidat du parti socialiste martiniquais qui tient une réunion, ambiance animée, le programme semble se résumer à la mise au travail des Martiniquais, excellente initiative, mais est-elle très populaire ?

René nous porte chance, et nous attrapons plusieurs barracudas, poissons comestibles au Sud de Sainte Lucie, excellent, mais quelle sale gueule, prognathe, des dents impressionnantes et un oeil mauvais.

Innovation, nous mouillons à Petit Nevis, île colonisée au siècle dernier par des baleiniers de New Bedford attirés par l'abondance des cachalots ; il ne reste plus rien des installations, mais nous rencontrons une tortue et un cachalot, il doit savoir que les eaux sont redevenues sûres.

L'équipe suivante est Pontaudemérienne, Pascal et Isabelle accompagnés de Charles 2 et d'Arthur 4ans ; nous leur avons proposé cet embarquement car nous savions qu'ils avaient navigué à l'UCPA et qu'ils aimaient cette activité, d'autre part, j'avais quelques reconnaissances à marquer à Pascal qui m'avait fait connaître mon successeur. Mais naviguer avec deux enfants aussi jeunes n'est pas simple, et nous avons craint un moment de ne pas dépasser Sainte-Lucie, mais après quelques jours tout ce petit monde s'est amariné et nous avons pu suivre notre route habituelle.

Enfin dernière rotation avec notre fille Françoise et son fils Antoine (des vieux de la vieille, ils ont déjà traversé l'Atlantique avec nous, voici quatre ans) et deux cousins, Noël et Geneviève, accompagnés de leurs deux filles Nadège 19 ans et Audrey 17 ans.

Toujours la même croisière, avec cette fois une variante par Moustique sans grand intérêt, nous n'avons rencontré ni Margaret, ni Raquel Welch, ni Mike Jagger, pas plus que Michael Jackson... En un mot, à part nous, la Jet-Set était absente.

La navigation avec des teen-agers pose parfois des problèmes que nous avions oubliés, mais elles sont charmantes.

Nous attendions après le carénage nos amis Pierre et Véronique, mais ils semblent faire passer le travail avant la navigation, est-ce bien raisonnable ? Nous les regretterons.

Pendant ces quatre mois nous avons effectué 6 rotations d'environ 300 milles chacune, nous avons embarqué 22 participants de 2 à 66 ans; Certains, propriétaires de bateau ou ancien de la Royale connaissaient la mer et la navigation, d'autres étaient de parfaits éléphants pour qui la mer et le bateau représentaient un monde étranger, voire hostile. Et bien, le bilan a été «globalement positif», le mal de mer n'a que peu sévi, nous ne nous sommes jamais engueulés la préoccupation majeure de tous était d'éviter les coups de soleil et de ne pas oublier l'heure sacro-sainte du Ti-punch.

Nos voisins de l'Anse Mitan étaient persuadés que nous étions très bien organisés et que nous faisions du charter, même le loueur de voiture nous faisait des prix professionnels.
Mais pour nous l'intérêt était différent, en effet, vivre deux semaines à 4, 6 ou 7 dans un espace restreint (ce n'est pas tout à fait Huis-Clos) est assez décapant, et l'on connaît mieux et sous un jour différent des amis de longue date, et qui le sont restés.

Et malgré cette promise-cuitée (au Ti-punch) nos intimités respectives n'ont guère souffert, quelques ronfleurs invétérés ne sont pas beaucoup plus dérangeants qu'un harmonieux diesel. Nous avons été très heureux de les accueillir tous et nous sommes prêts à recommencer si l'expérience leur agrée.

Si nous avons eu d'excellents rapports avec tous nos amis nous n'avons pas rencontré d'Antillais ; il est certain que nos perpétuels déplacements ne favorisent pas les contacts. Superficiellement nous avons eu le sentiment de voir vivre côte à côte deux communautés n'ayant en commun que des rapports de travail, dans une région où le taux de chômage est supérieur à 30% les problèmes ne sont pas simples ; par leur attitude les Martiniquais semblent reprocher l'esclavage aux blancs qui certes à l'époque du Code Noir n'étaient pas fréquentables, mais suis-je obligé de porter le péchés de mes arrière-arrière-arrière grands-parents ?

Un de nos amis, hospitalisé à Pointe à Pitre a été accueilli par l'interne de garde : «T'es bien content de trouver un nègre pour te soigner».

Qui est le raciste ?

Par ailleurs nous avons rencontré quelques personnalités attachantes ou surprenantes :
Aux Tobagos Paul et Cécile, la trentaine, lui chaudronnier, elle assistante sociale, ils ont partis de France depuis 5 ans sur Boréal, le bateau qu'ils avaient construit, et ont galéré un certain temps avant de créer une ligne de tissus et de vêtements de loisirs qu'ils font sous-traiter à Trinidad ; leur société semble bien marcher, c'est un vendeur redoutable, il a réussi à me vendre des chemises à fleurs !

Loïc et Marie sont skipper et hôtesse sur un grand catamaran charter, produit de la défiscalisation et du goût pour les vacances exotiques, ils possèdent leur propre bateau, mais n'ont pas le temps de l'utiliser, leur travail au charter est harassant : propreté et entretien d'un cata de 18 mètres pourvu des derniers gadgets du Salon nautique, et une clientèle de plus en plus exigeante.

Nous avons vu un certain nombre de grands charters parfaitement somptueux, mais la rentabilité d'un tel investissement, parfois de l'ordre de 50 millions, même en défiscalisation, me semble problématique : équipage de 4 ou 5 personnes, assurance, maintenance pour embarquer au mieux une dizaine de clients, pendant 4 à 6 mois par an ?
Gilles et Maryvonne, lui lignard des Télécoms, elle coiffeuse, héros d'une émission de Thalassa, ont mis 17 ans pour construire une goélette de 17 mètres, copie à peu près conforme d'un schooner américain du XIXème, c'est gigantesque, irrationnel, pesant à tous points de vue. Ils ont traversé en même temps que nous, mettant 25 jours, quand nous en avons mis 18 ; ils sont heureux, ils vivent encore dans leur rêve....

Côté matériel, nous avons eu quelques problèmes : l'alternateur du moteur révisé avant le départ a rendu l'âme, dépannage en 24 heures à l'Anse Mitan.

Nous donnons à réviser, comme c'est obligatoire chaque année, notre canot de survie, auquel Alain Bombard, célèbre navigateur solitaire, bien connu à Etel et éphémère ministre de la mer a attaché son nom. Bien que garanti 12 ans (le canot, pas le ministre) régulièrement entretenu (le canot, pas...) il se révèle au bout de 9 ans impropre à tout service (le canot, etc.).

Ce qui signifie que si nous avions eu à nous en servir depuis notre départ, nous ne relaterions pas cet incident : en effet les collages des différentes sections du boudin sont décollés et nous n'aurions jamais pu gonfler.

Merci à la station de révision d'Ouistreham qui l'année dernière a encaissé 1500 francs pour nous permettre éventuellement de nourrir les poissons. Nous aurions pu sans doute remédier à ces fuites avec une trousse de réparation moisie, en nous éclairant avec une torche qui a consenti
à fonctionner après échange des piles et de l'ampoule.

Zodiac, qui a racheté Bombard, nous a proposé après 10 jours (aller retour d'un fax entre la Martinique et la Métropole) un échange de peau, sans prolongation de la durée de vie de l'engin, les frais occasionnés par cette opération et ceux prévisibles dans les années à venir nous ont incités à nous orienter vers une autre marque. L'innocente vendeuse de Zodiac me le déconseillait : « on ne fait pas mieux que Zodiac ». Non merci vraiment.

Nous avions aussi un matériel ultra performant un « Boatphone », offert par notre fils Pierre à Saint-Martin, qui nous permettait du bord d'appeler le monde entier (ce que nous n'avons pas fait tous les jours). Anne qui gère notre budget a été fort surprise par le montant de la première facture, nous sommes de pauvres petits retraités, nous avons résilié l'abonnement dans les meilleurs délais.

Nous sommes encore en Martinique pour une dizaine de jours, le temps de quelques vérifications médicales, et nous descendrons vers Grenade et le Venezuela pour être à Panama fin octobre.

A bientôt !


























Panama, décembre 92


Bonjour,

Début mai, Alibi passe en carénage chez Ship-Shop, personnel compétent et prix décents, à recommander aux amis...

Les hommes comme les bateaux nécessitent un peu de soins, nous avons donc rendu visite à un spécialiste des vaisseaux (je parle de mes artères), il exerce à Fort de France dans une clinique du début du siècle, construite dans un magnifique style colonial au beau milieu d'un parc luxuriant, pavillons disséminés dans la nature, nous nous retrouvions à Ferryville ou Abidjan ( ce n'était quand même pas Lambaréné).

Quittant la Martinique et ses supermarchés, nous avitaillons sérieusement, nous voici paré pour une bonne campagne. Notre fils Pierre, toujours à Saint-Martin nous rejoint avec Jane, nous aurons pour descendre à Bequia et aux Tobago un temps superbe, à Union, ils doivent prendre un avion taxi pour la Martinique.

Pierre qui a pour nous toujours 15 ans semble bien réussir dans ses activités touristiques, mais l'insentive de luxe qu'il propose ne le met pas toujours en prises directes avec les réalités quotidiennes.

Début juin nous retournons encore une fois aux Tobago Kayes, et nous y subissons le passage d'une onde tropicale accompagnée de pluies diluviennes.

A Clifton, le terrain d'aviation est à moitié inondé, seuls les STOL de la Liat et de Moustique peuvent se poser, Air Martinique a suspendu ses services ; par temps normal l'utilisation de ce terrain est assez acrobatique, aujourd'hui c'est presque du cirque.

Nous faisons quelques courses, les prix sont prohibitifs, il doit exister un tarif local et un autre touristique. Dans un «supermarché», nous souhaitons acheter 4 cuisses de poulet, pour détailler le bloc congelé, le vendeur le projette violemment à terre, à la troisième tentative nous avons les 4 pattes désirées.

Départ d'Union pour Carriacou, mouillage à Hillborough pour la «clearance», le village est aussi animé, mais assez pauvre qu'Union, les formalités expédiées nous gagnons Tyrell-Bay, un des meilleurs mouillages des petites Antilles.

Là aussi, nous vérifions combien ces îles ne sont idylliques que de loin : « Seule cette verdeur inouïe empêchait l'endroit de ressembler à la Garenne Bezons » ; Céline, « Le voyage au bout de la
nuit ».
Je profite de la tranquillité du mouillage pour remettre en état l'éolienne Windbugger achetée 6 mois plus tôt à Saint-Martin, elle n'a pas supportée les pluies diluviennes de ces derniers jours ; tous ces fournisseurs de matériel pour la plaisance semblent avoir un but commun : plumer le skipper moyen.

Départ pour Grenade, temps à grains, nous doublons un 50 pied de location qui, dans une survente à 25-28 noeuds porte uniquement son foc roulé aux ¾. Nous le devancerons à Saint-Georges de 2 heures 15 en 33 milles.

L'arrivée à Saint-Georges est inquiétante, nous nous retrouvons en Angleterre, c'est un mélange Dartmouth, de Salcombe, de Fowey, quelle erreur de navigation, même verts agressifs, mêmes constructions, mêmes clochers, mêmes cabines téléphoniques... Heureusement, les cocotiers et la couleur des habitants nous rassurent.
Nous assistons même dans le fort dominant la ville, construit par les Français au XVIIème siècle, à une cérémonie présidée par le Gouverneur représentant la Reine Elisabeth, circulant en Toyota ! Où sont les Rolls-Royces d'antan ?

Un tour de l'île en voiture nous conduit dans le « rain-forest », une marche d'une heure nous montre combien cette appellation est justifiée. Tout au long de la rivière nous croisons des hommes et des femmes sans âge qui cultivent à flanc de colline quelques légumes péniblement descendus jusqu'à la route.

Les nombreux muscadiers donnent à l'île le surnom justifié de « Spice-Island ».

Nous quittons Saint-Georges pour Prickly Bay, au Sud de l'île, et pour Port-Egmont
, un des meilleurs trous à cyclone des Antilles : vous suivez un chenal d'un mille de long, ressemblant un peu à l'Aber-Wrach' et vous arrivez dans un lac circulaire parfaitement abrité, complètement désert, seuls quelques hérons et de rares aigrettes survolent le mouillage.

Avant de quitter Grenade nous attendions un télégramme ; pour nous toucher, 1 jour pour venir de France, et 5 pour parcourir les 200 mètres séparant la Compagnie du câble de la
Poste ; quant à une lettre expédiée affranchie à 280 francs, elle ne nous est pas parvenue. La prochaine fois nous essayerons les pigeons voyageurs.

Le lagon de Saint-Georges est parfait pour l'avitaillement, Foodland est à portée d'annexe et possède son propre appontement, on ne peut rêver mieux, ces dispositifs réduisent considérablement l'activité du comité d'accueil, seul le « fruitman » s'obstine à proposer ses mangues deux fois plus cher que celles du supermarché !

Bonne traversée de nuit pour les Testigos, premières îles du Venezuela, formalités bon enfant. Nous promenant sur la plage nous demandons à un pêcheur de nous vendre une des bonites qu'il vide, il nous tend un poisson, combien ? « Regalo » (cadeau). Quel changement avec les Antilles où la main à la poche est de règle, pour tout et pour rien.

Dans le même ordre d'idée un bateau français voisin demande à un pêcheur 10 litres d'essence pour le moteur de son annexe, combien ? Je ne vais pas te faire payer 10 litres d'essence...
D'accord ce liquide est ici moins cher que l'eau minérale (inconnue aux Testigos) mais le niveau de vie des pêcheurs n'est pas élevé.

Dans ce mouillage, tous les soirs de 5 heures, il suffit de tourner avec l'annexe pendant quelques minutes pour effectuer une pêche miraculeuse de petites bonites. Nous passons une semaine aux Testigos, partageant le mouillage avec quelques autres voiliers, les Français sont assez nombreux, nous rencontrons un Bieroc en acier, construit à Condé en même temps qu'Alibi aux chantiers Garcia. Le monde est petit.

Une petite journée de voile nous conduit à Margarita, sous les grains et la pluie, nous avions perdu l'habitude des petites laines et du ciré.

Pampatar,, Porlamar, nous retrouvons l'ambiance des Canaries, résidences de vacances, immeubles port franc, intérêt très limité.

Isla Coche à quelques milles au sud est beaucoup plus dépaysant : mouillage devant une plage de 6 kilomètres, trois voiliers, quelques pêcheurs et de multiples pélicans. Nous rencontrons un espagnol qui passe ici une année sabbatique, il doit avoir une certaine vie intérieure... Nous l'invitons à passer à bord, il s'y trouve bien et il aimerait rester avec nous jusqu'aux Marquises, de retour en Europe, il nous donnerait une lithographie de Dali ; nous mettons rapidement les choses au point et rapatrions dans son ermitage, nous séparant bons amis, je doute qu'il nous rejoigne à Panama !!

Nous avons visité avec lui la lagune de Bocca del Rio, canaux sillonnant la mangrove, à Cumana, important port de pêche fondé en 1511, de cette époque ne reste qu'un fort ; à une vingtaine de milles au sud, Laguna Grande del Obispo est complètement déserte, nous naviguons au milieu de collines rouges et jaunes, bordées d'une mangrove clairsemée, seules quelques chèvres maigrichonnes animent le paysage, nous devons faire appel à toute notre vertu pour ne pas en inviter une à un méchoui... A terre, nous rencontrons des vaches cachectiques, leur propriétaire ne doit pas être troublé par les quotas laitiers.

Mochima est une autre baie, beaucoup plus riante que la précédente, la végétation couvre les collines et l'aspect est moins austère.

Nous arrivons à Puerto la Cruz, grand port de 200000 habitants, né du boom pétrolier, c'est vivant, très animé et nous sommes amarrés dans une marina, ce qui ne nous était pas arrivé depuis longtemps.

Les contacts sont beaucoup plus faciles avec les voisins que dans un mouillage où les bateaux sont relativement éloignés les uns des autres. Nous rencontrons quelques français, un américain qui apprend l'espagnol avec une armée de jeunes vénézuéliennes... Un australien solitaire, des hollandais, mais peu de locaux, ils possèdent des vedettes hyper motorisées, le prix du carburant : 30 centimes le litre contribue sûrement à cette multiplication de traîne-couillons.

Les pleins faits, nous partons pour Tortuga, au moteur, faute de vent ; après une heure de route lla marche avant n'enclenche plus, retour à la marina poussé par le puissant moteur de l'annexe (4 chevaux). Nous sommes dépannés par un sergent mécanicien des gardes-côtes : « mucho problema », les disques viennent de Maracaïbo, les roulements de Caracas, une pièce est tournée sur place et nous enrichissons notre castillan du vocable « maňana » décliné sur tous les tons ; mais après trois semaines ça marche, et pour un prix très raisonnable.

J'envisage difficilement en France un maître mécanicien de la Marine travaillant au noir dans les ateliers de la Royale, mais ici la chose semble tout à fait naturelle.

Nous avons pour voisins un couple d'environ 35 ans, et leurs trois enfants, lui s'était engagé dans la Marine à 18 ans, électricien dans les sous-marins nucléaires de surcroît, il avait à son âge les annuités nécessaires pour vivre de sa retraite...

Un autre voisin attend une pièce de gréement qui doit venir des U.S.A. après un mois il attendait toujours, «maňana» ; une de ses amies était venu à Puerto La Cruz pour naviguer un peu, mais elle n'avait guère connu que la marina, un peu frustrée, nous l'emmenons aux Roques, et de là elle reprendra son avion pour l'Europe. Marianne est une bonne équipière pendant les 160 milles du trajet, mais dès le lendemain nous la conduisons à l'avion de Caracas : un DC3 des bonnes années, je les croyais tous au musée !

Les Roques sont un ensemble d'îles coralliennes très basses sur l'eau, à peu près désertes, seuls quelques pêcheurs y ont des cabanes, les îles sont surveillées par une poignée de militaires ; la chasse sous-marine est interdite, les langoustes viennent vous manger dans la main _
ou presque, quelques viandards, français pour la plupart se font des tableaux de rêve, et ils ont le tort de s'en vanter !!

En cette saison l'eau n'est pas très claire, mais nous nous consolons sur les plages au vent collectant de multiples cervelles de Neptunes échouées sur le sable.
Des Roques nous faisons route sur les Aves, autres îles totalement désertes, là encore l'eau est assez trouble, et nous regrettons les Tobago Cayes. La mangrove des Aves est peuplée de milliers de fous à pattes rouges, les nids sont à quelques centimètres au-dessus de l'eau, ils se laissent facilement approcher en annexe.

Les Aves sont notre dernière étape au Venezuela, nous avons aimé ce pays, même si nous n'en connaissons qu'une frange côtière et quelques îles, mais les habitants sont accueillants et nous n'avons jamais ressenti, contrairement aux Antilles la moindre hostilité des populations, souvent métissées d'Indiens.

Là comme ailleurs l'inégalité des revenus est frappante, même si pour nous l'alimentation et l'habillement nous semblent bon marché, je ne parlerai que pour mémoire de l'essence à 30 centimes le litre.

Nous regardions la télévision vénézuélienne, c'est parfaitement désolant. 4 chaînes : feuilletons, américains stéréotypés, vous pouvez zapper, vous retrouvez partout la même histoire ; les émissions d'information forment surtout les nouvelles locales, avec apparitions fréquentes d'hommes politiques qui semblent jouer les seconds couteaux dans un polar de série B. Nos hommes politiques semblent à côté concourir pour un prix de vertu. Bref, nous regrettons la télé française, qui, pourtant...

Après le Venezuela, les Pays-Bas, ou plutôt les Antilles néerlandaises : d'abord Bonnaire, le mouillage est situé devant la capitale Kralendjick, devant la plage, sous le vent de l'île, la profondeur part de 0 descend en pente douce jusqu'à 10 mètres, puis plonge rapidement à 80 mètres ; si l'ancre chasse on se retrouve en pleine mer, si l'éternel alizé tourne à l'ouest on est sur la plage.
Les fonds sont superbes, l'eau est limpide et c'est un régal que de palmer au-dessus des coraux, la chasse sous-marine ne pose pas de problème : les fusils sont gardés à l'immigration.

Curaçao plus grande, plus peuplée a développé avec Arruba, la troisième des Antilles néerlandaises, une industrie de raffinage pétrolier omniprésent.

Willenstad, comme Kralendjick est par bien des aspects très hollandaise, après les Antilles et le Venezuela, qui ne sont pas des modèles de propreté, il est plaisant de retrouver la méticuleuse Hollande, les bâtiments à fronton contribuent aussi à cette impression. Evidemment, les cocotiers et les bougainvilliers ne remplacent pas les tulipes.

La langue officielle est le néerlandais, toujours aussi hermétique et imprononçable, mais il existe aussi un pidgin local, le papiamento dont voici un exemple :




Welcome Bon bini
How do you do ? Kon ta bai ?
I am fine, thank you ! Mi ta bon, danki !
Have a nice day ! Pasa un bon dia !
You look nice Bo ta bunita
I love you Mi ta stimabo
You are my sweetheart Bo ta mi dushi
Give me a kiss Dunami un sunchi
What does it cost ? Kuantu e ta kosta ?
It is very expensive E ta masha karu
It is cheap E ta barata
Thank you very much Masha Kanki
Good morning / Good day Bon dia
Good evening / Good night Bon nochi
Good bye ! Ayo !

Je ne suis pas responsable de l'ordre de ces propositions...

Alibi est mouillé à une dizaine de kilomètres de Willenstad, grand port où nous ne sommes pas à notre place, dans une baie extrêmement bien abritée, Spanish Water, devant une marina qui offre une foule de services : bar en libre service, téléphone, snack, location de voiture, machines à laver et à sécher, un lot de peintures et d'accastillage, barbecue international tous les samedis, etc. , le tout basé sur la confiance, vous notez ce que vous avez pris ou consommé et vous réglez une fois par semaine. De quoi donner des idées à bien des clubs.

Nous frottons la carène, l »herbe pousse vite dans ces eaux chaudes, en attendant François et Anne ; j'espère qu'ils ne seront pas effarouchés par l'alizé musclé qui souffle sans cesse.

Nos parisiens sont là, Willenstad, 4 heures du matin, ce n'est pas une heure chrétienne ! Ils se font pardonner en apportant les croissants du petit déjeuner et du camembert, qui supporte mal le décalage horaire...

La ville les surprend par son aspect de petite Hollande, par son pont flottant sur le goulet menant au port ; la multitude des raffineries dans un pays qui ne produit pas de pétrole s'explique par la confiance relative des grandes compagnies dans la stabilité du Venezuela, à 100 kilomètres au Sud.

Ce qui est moins explicable, c'est le curaçao. Comment expliquer la production de cet alcool dans un pays où ne pousse ni canne à sucre, ni oranger ?

Nous quittons rapidement Curaçao et nos amis prennent un contact assez délicat avec la haute mer, l'alizé pousse fort, 20 à 25 noeuds en permanence, sur une mer bien formée dès que l'on quitte l'abri de l'île.

Anne gît au fond de sa cachette, abritée dans sa toile antiroulis, et François l'oeil vague ne peut rien avaler, après deux jours ils reprennent vite. Anne fait la cuisine et la vaisselle, et en fin de parcours, la mer se calmant nous l'entendons regretter la houle ...

Bonne traversée sans un coup de moteur, nous arrivons trop tard pour aborder les San Blas, et nous prenons la cape en attendant le jour, travers au vent et à la mer formée, nous avons le sentiment d'être dans un «shaker».

Aux aurores, nous sommes à Porvenir, port d'entrée des îles, un unique fonctionnaire, véritable Maître Jacques est chargé du trafic des avions, de l'immigration, de la douane, de la police et de l'office de tourisme.

Très prévenant, il nous recommande de nous méfier des « tiburones ».*

La Comarca de San Blas ou Kuna Yala s'étend sur plus de 250 kilomètres jusqu'à la frontière colombienne ; la légende parle 365 îles, mais seulement 40 sont habitées par environ 40000 indiens Kuna.

*requins
Cette ethnie échappa au XVIème aux bienfaits de la colonisation et de l'évangélisation
espagnole en se réfugiant pendant 400 ans dans l'impénétrable « rain-forest » du Darien.

Ils en sortirent à la fin du XIXème siècle pour occuper les îles San Blas, alors désertes, ils y ont prospéré, vivant de pêche, et de la récolte du coprah et de cultures vivrières, maïs, manioc, patates et bananes qu'ils entretiennent sur le continent.

Ils ont pu garder beaucoup de leurs caractères originaux en se protégeant jusqu'à aujourd'hui d'une trop grande influence de notre monde, ils se révoltèrent en 1925 contre l'abusive autorité de Panama, et ils ont maintenant une relative autonomie, seules la Santé et l'Education sont à la charge de l'Etat.

Ils sont organisés en chefferies et ont conservé une religion chamanique, bien que quelques missions commencent à s'implanter.

Ils repoussent toute implantation touristique, une tentative de bungalows s'est terminée par un bel incendie (sans préfet et sans gendarme).

Ils sont de très petite taille : 1m50 pour les hommes, 1m40 pour les femmes. Si les hommes portent une tenue classique sous ce climat, les femmes ont des vêtements très particuliers : les Molas.

Ces molas sont des pièces d'étoffe d'environ 40 x 30 centimètres,, formées de 3 ou 4 couches de tissus superposés, utilisant une technique d'appliqué inversé (admirez ma science) qui peuvent s'apprécier à deux niveaux : tout d'abord la qualité graphique et les coloris qui en font des oeuvres proches de la peinture moderne, et d'autre part la minutieuse réalisation des coutures si fines qu'elles décourageraient des générations de dentellières.

Les thèmes sont généralement inspirés par la nature, animaux, poissons, oiseaux traités très librement ou par des motifs abstraits comme les labyrinthes.

Elles ont reproduit sur les vêtements imposés au début du siècle les peintures corporelles qu'elles portaient traditionnellement.

Elles complètent leur parure par une jupe de cotonnade et un foulard rouge sur la tête, une ligne tatouée descend de la racine des cheveux à la pointe du nez dont la cloison est ornée d'un bijou d'or.

Dès le bateau mouillé, les femmes se précipitent à bord en pirogue (non je ne reprends pas les récits lubriques du XVIIIème siècle) pour proposer aux yeux éblouis de nos équipières quelques molas à vendre.

Leurs tarifs sont si bas qu'il serait indécent de marchander, mais c'est aussi prétexte à papoter, à admirer le dernier né, à faire quelques cadeaux ou à donner quelques médicaments.

Nous pouvons rester deux ou trois jours devant un village, ou y revenir après une semaine, elles reviennent tous les jours, sinon deux fois par jour.

Nous quittons ces îles à regret et mouillons devant Porto Bello, ancienne place forte espagnole, terminus de la piste de l'or par où les conquistadors acheminaient les trésors du Pérou pour les charger sur les galions de la flotte de l'or.

Cette flotte attirait tous les corsaires, pirates et autres malfaisants de la mer des Antilles, Drake (Sir Francis), y mourut, on cherche encore dans la baie son cercueil de plomb ; plus tard Morgan pilla et incendia Panama, et bien d'autres.

Les fortifications sont intactes, mais aujourd'hui l'ambiance est bien différente c'est le pèlerinage du Christ Noir (d'après une statue miraculeusement sauvée d'un naufrage au XVIIème siècle).

La ville est envahie par les pèlerins, certains se rendent à l'église à genoux parcourant ainsi une longue distance, d'autres se font raser la tête ou préparent des robes violettes, couleur de la procession, et bien sûr s'ajoutent les baraques de brochettes, de viandes rôties et autres tortillas.

C'est très impressionnant, mais nous sommes très éloignés de ces démonstrations échevelées, éberlués, à la fois étonnés et respectueux par cette expression de la foi, et «sonnés» par les odeurs, les couleurs et le bruit.

Nous avons très peu dormi ces deux dernières nuits, les cantiques et la musique sud-américaine ne nous en n'ont pas laissé le loisir, et nous retrouvons avec plaisir le silence de la mer.

Pour peu de temps car nous sommes bientôt amarrés au ponton du Yacht-club de Christobal-Colon, lieu de retrouvaille entre ceux qui sont passés, et ceux qui vont bientôt passer ; le canal de Panama a une assez mauvaise réputation dans le milieu de la plaisance, la légende rapporte des avaries, des démâtages et autres ennuis.

Notre première matinée fut largement occupée par les formalités diverses Immigration, douane, administration du canal, jauge du bateau aux normes du canal ; Alibi fait une rapide crise de croissance : il jauge maintenant 25 tonneaux (initialement 18), les droits de passage se montent à 230$ US (le dollar étant sous le nom de Balboa la monnaie locale).
Nous prenons rendez-vous pour passer, nous devons être prêts dès 6 heures du matin, munis de multiples défenses, de 4 aussières de 40 mètres, de 4 équipiers, d'un barreur, le tout à la disposition du pilote.

Nous profitons de ces quelques jours à Christobal pour aller voir ce qui nous attend. Le Canal est long d'environ 80 kilomètres, commence par trois écluses qui mous montent de 27 mètres sur le lac de Gatun, ce lac s'est formé après le barrage du Rio Chagres, et quelques îles sont devenues le refuge d'une intense vie sauvage, il y a paraît-il de nombreux alligators, mais malgré un bain, nous sommes encore entiers. La descente sur le Pacifique s'opère également par trois écluses à Miraflores. Ces écluses sont longues de plus de 300 mètres et large de 33, les plus gros navires pouvant passer, les Panamax mesurent 300 mètres de long et 32 de large, la marge n'est pas grande !

L'idée du Canal n''est pas récente, on en parlait déjà du temps de Philippe II, mais les travaux ne commencèrent, sous la direction de Ferdinand de Lesseps qu'en 1880, ce dernier, obnubilé par la réussite de Suez, Canal à niveau, n'envisageait pas d'écluses.

Pendant dix ans les travaux s'enlisèrent dans la boue, les éboulements (la fameuse Culebra), les maladies tropicales et les 22000 morts...

Tout se termina dans un scandale, après la ruine de bien des épargnants français et la compromission de nombreux parlementaires (les chéquards). Noos hommes politiques d'aujourd'hui n'ont rien inventé...
Treize ans plus tard, le dernier directeur de la Compagnie du Canal, Buno-Varilla céda la concession à une compagnie américaine, fomentant un coup d'état pour séparer le Panama de la Colombie qui n'était pas prête à négocier aux conditions américaines ; cette date historique et cette belle victoire de la démocratie est aujourd'hui la fête nationale du Panama.

Le contrat léonin a été révisé plusieurs fois, et en 1999 Panama aura le contrôle absolu du Canal.

Le premier travail des américains fut pendant deux ans d'éradiquer les moustiques et les maladies de la Canal-Zone, le premier cargo traversa l'isthme en août 1914.

Mais avant de passer, nous visitons Colon, ville qui connut son heure de gloire au siècle dernier à l'époque de la ruée vers l'or et du premier chemin de fer qui évitait le Capp Horn aux futurs mineurs ; mais aujourd'hui tout croule, tout est délabré, les anciennes maisons coloniales ne sont plus que de pauvres ruines, les rues sont défoncées et très peu sûres, il est vivement recommandé de s'en tenir à la rue principale, d'éviter la nuit et de ne circuler en voiture que portes verrouillées...

A la frange de cette ville se trouve en contraste insupportable la zone franche de Colon, deuxième du monde après Honk-Kong ; derrière des murs strictement gardés se trouvent en détaxe tous les produits de notre société de consommation.

On peut se demander comment les habitants de Colon, à la porte de leur misère, supportent l'étalage insolent de toutes ces richesses ?

Autre contraste de Colon : le grand hôtel international G.Washington est entouré de « slums » indescriptibles, trois clients se perdent au milieu d'une armée de serveurs. C'est Kafka ou Marienbad.

Christobal, dans la Canal Zone est la soeur jumelle et américaine de Colon mais « sanitized », on y trouve les banques, les compagnies de navigation, l'administration du Canal. Le yacht-club est pratiquement encerclé par les containers du terminal.

Et le grand jour arrive, sur le pied de guerre dès 6 heures, le pilote se présente à 7 heures, et nous sommes à la première écluse à 8 heures les retards s'accumulent et nous ne sassons qu'à 11h 30, nous passons à couple d'un remorqueur, les remous et le courant sont impressionnants, devant nous un panamax de 65000 tonnes, le Jubilant, ce volumineux voisin nous gratifie à chaque sassée d'un flot bouillonnant, ayons confiance dans les aussières.

La montée jusqu'au lac de Gatun prend environ 2 heures, nous empruntons ensuite le raccourci des petits bateaux pour arriver à Gamboa où nous passerons la nuit.

Notre pilote du jour, jeune panaméen stagiaire était fort sympathique, manifestant de solides sentiments antiespagnols, qui célèbrent le 500ème anniversaire de la découverte de l'Amérique ; le film Christophe Colomb a été violemment sifflé dans la plupart des salles sud-américaines. Curieuse coïncidence au même moment la Guatémaltèque indienne Rigoberta Menchu Tum recevait à Stockholm le prix Nobel de la Paix.

Le lendemain, nous reprenons la route, épargné par les crocodiles et les moustiques, l'impressionnant défilé de la Culebra nous mène à l'écluse de Pedro Miguel et à celle de Miraflores, nous passons en précédant un petit cargo ; tenu en laisse par nos quatre aussières, en moins d'une heure nous descendons de 25 mètres et la dernière porte s'ouvre sur le Pacifique... Qui n''est pas vraiment celui des cartes postales, vahinés et cocotiers, il nous faudra attendre un peu.

Nous passons sous le Pont d'Amérique qui relie les deux Amériques et notre pilote nous laisse sur une bouée dans le courant, devant le Balboa Yacht-club. Notre pilote du jour, également stagiaire n'y voyait guère, une malencontreuse coulée de crème solaire l'avait complètement aveuglé. Ce qui tendrait à prouver que ce canal à la terrible réputation peut se passer les yeux fermés.

Nous expédions avec Anne et François quelques formalités et dès le lendemain en route pour les Perlas, qui doivent ce nom aux cadeaux que les Indiens firent à Balboa, ils n'en furent guère récompensés, les Espagnols les décimant illico; Elles servirent ensuite de dépôt, sinon de haras pour les noirs venus d'Afrique.

Ces îles sont maintenant peuplées de 2 ou 3000 noirs, descendants des anciens esclaves, ils y mènent une vie assez misérable, pratiquant un peu de pêche et de jardinage. Nous leur avons acheté une petite perle grise.
Les eaux des Perlas ne sont pas très bien fréquentées, en moins d'une heure de
« schnorkeling », j'ai rencontré 3 requins assez familiers (trop), au mouillage, au milieu de la nuit, un de ces poissons s'était pris à la ligne. Anne s'écriait, pendant que je m'efforçais de le remonter : pas de requin à bord ! L'animal, déçu par une telle réception préféra se décrocher...
Autour de ces îles nous avons rencontré, à toucher le bateau une raie manta de 4 ou 5 mètres d'envergure (foi de pêcheur), quelques tortues, un cachalot batifolant à 200 mètres de la plage, et un matin nous eûmes le ballet synchronisé d'une douzaine de raies sautant hors de l'eau et retombant à grand fracas pendant 15 ou 20 minutes.

Une de ces îles, Contadora a connu un début de développement touristique, elle est desservie par un petit aéroport qui connaît à la période des fêtes un trafic assez important, on y trouve quelques villas, refuges des Panaméens argentés, et un grand hôtel, dont nous ne connaîtrons, François nous ayant invité, que l'activité restauration, que l'on pourrait, avec beaucoup d'indulgence, qualifier de surprenante tant au plan du service, que de la gastronomie...

François et Anne nous quittent à Contadora, ils s'envolent pour Panama et la France ; un peu d'émotion lors de ce départ. Mais nous nous retrouverons en octobre prochain aux Fidji et en Nouvelle Calédonie.

En attendant nous restons deux mois à Panama, mais nous renonçons au Costa-Rica, toute la zone de l'isthme est très peu ventée et la perspective de parcourir 600 milles au moteur ne nous séduit guère.

Nous circulons des Perlas à Taboga, île proche de Balboa, nous y faisons diverses rencontres, parfois folklorique, ainsi ce bateau en ferrociment, sans moteur, rescapé du cyclone Hugo, un noir nous dira en parlant de l'équipage : rastas ! Il n'aimait sans doute pas les « dreadlocks » ! Ils laissent derrière eux une fâcheuse réputation d'emprunts et de factures impayées.

D'un tout autre calibre est une famille bretonne qui vit depuis 15 ans sur un vieux thonier de 15 mètres, le père, ancien lieutenant à la pêche, la mère et trois enfants nés au cours du voyage, après avoir bourlingué en Afrique du Sud et dans tout l'océan Indien : ils se préparent à partir pour Clipperton afin d'y pêcher le requin pour les ailerons qu'ils vendront au Japon, ils semblent très heureux, mais quel sera l'avenir des enfants soumis à une éducation décousue en français, en anglais, voire en afrikaans ou en espagnol ?

Autre figure étonnante, une québécoise de 20 ans, venue de Vancouver à Panama, «sur le pouce», est devenue propriétaire d'un voilier de 22 pieds en assez triste état, elle n'a jamais fait de voile, et elle me demande un jour : « Pourrais-tu m'aider à mettre un bolt dans le shaft de mon rudder qu'est
loose ? ». Je m'exécute et avec un boulon je solidarise la mèche et le safran de son bateau.

Un suédois solitaire envisage de faire recoudre toutes ses voiles hors d'usage, par Paulette et sa machine à coudre, l'une et l'autre n'étaient pas préparées à un tel travail.

Christian et Michèle vivent depuis 9 ans sur un Trisbal, bateau que nous connaissons bien, Modu Vivendi étant de ce type, ils naviguent 6 mois par an l'hiver et l'été, ils tiennent le bistrot du port à Sauzon.

Nous passons Noël et le jour de l'an à Contadora, hyper tranquilles.
Nous regrettons de ne pouvoir écrire ou téléphoner plus souvent aux enfants, mais les jours fériés, les grèves, les pannes de satellite rendent bien difficile la recherche d'un créneau favorable. Nous écrivons nos cartes de Noël, la poste est en grève depuis 2 mois, nous essayons une poste privée, mais renonçons devant un affranchissement de 42 $ US par lettre, des voisins suisses rencontrés aux Perlas les posteront de San-José au Costa-Rica.

Un autre problème nous tracasse : avant de traverser le Pacifique, nous aimerions passer une couche d' « antifouling » sur la coque, mais l'aluminium exige une peinture sans cuivre, nous passons 3 jours à rechercher entre Panama et Colon un « antifouling » « copper-free », après moult promesses non tenues (maňana).Nous trouvons enfin chez Mercury une peinture qui semble convenir 400 $ le gallon ! Nous espérions caréner cers le 19 janvier, nous sommes retardés jusqu'au 22, jour où doit arriver notre ami Roger Carpriaux, quelle entrée en matière !

Notre équipage s'est enrichi d'une nouvelle recrue : Aline. Nous avions déjà rencontré cette jeune fille, institutrice en disponibilité, passionnée de bateau, qui a sacrifié beaucoup d choses à sa passion. A Christobal, elle avait participé à notre traversée du Canal. Nous la retrouvons à Balboa sur un bateau français qui devait la conduire au moins à Tahiti, mais son skipper, vigoureux «frère de la côte» de 73 ans, n'envisageant en navigation que la couchette commune, Aline préférait débarquer, nous lui avons proposé d'embarquer sur Alibi. Le « shangaïage » des équipages reste dans la meilleure tradition de la vieille marine.

Aline se révèlera une excellente équipière, active et compétente, nous avons fait une bonne recrue. Elle restera avec nous jusqu'à Tahiti et la venue des enfants en juillet.

Le 22 janvier arrivée de Roger à 15 heures, à 17 heures, nous sommes sur le slip et commençons à nettoyer la coque ; ce carénage est aisé, nous sommes aidés par deux noirs panaméens, mais il n'est pas de tout repos, il nous faut dormir dans une couchette inclinée de 15 degrés, et le Balboa Yacht-club tout proche distribue généreusement les décibels sud-américain jusqu'à une heure avancée de la nuit.

Au revoir.

A bientôt.












Marquises, avril 1993


Bonjour, Alibi retrouve son élément le 25 janvier, nous effectuons les dernières formalités et les derniers avitaillements avant de partir le 26 pour les Perlas, nous envisageons cette petite étape pour acclimater Roger au climat tropical, nous y retrouvons avec plaisir des mouillages connus, Mogo-Mogo et Casayetta ; Roger y trouve deux perles pour sa femme et sa fille (dit-il).
Le 28 : départ à 8 heures, tour de Casayetta, et nous trouvons un bon vent du nord qui nous permet d'aligner 192 milles en 24 heures, c'est notre record, 8 noeuds de moyenne. Eole s''assagit ensuite et nous arrivons à Puerto Barqueriso Moreno, sur l'île de San Christobal aux Galapagos.

La veille de notre arrivée, nous avons été accueillis par d'innombrables fou à pieds bleus, qui se posent par douzaines sur le balcon avant, nullement farouches, ils ne se dérangent pas à notre approche, et se perchent sur le bras tendu.

N'ayant pas de visa pour les Galapagos, nous ne pouvons, théoriquement y rester plus de 72 heures, en réalité une bonne semaine».
Les plages de l'île sont peuplées de colonies d'otaries qui ignorent superbement notre présence, certaines prennent leur bain de soleil sur les bateaux ou sur les annexes, d'autres, nous le verrons à Hispaniola, ne sont pas troublées par les humains partageant maladroitement leurs activités aquatiques, encore que les mères veillent farouchement sur leur progéniture.

Hispaniola est aussi une zone de reproduction pour les fous à pieds bleus, par milliers ils nichent à terre, couvrant et élevant leurs jeunes sans se soucier des multiples visiteurs, tenus toutefois de respecter un sentier balisé.
Autres animaux surprenants : les iguanes, vestiges préhistoriques laids et inquiétants, ne sont pas davantage troublés par notre présence.

Nous effectuons notre avitaillement en gas-oil ; il nous est livré à bord par un zodiac militaire, monté par des marins qui nous livrent discrètement quelques jerrycans, les soldes doivent être maigres, mais le carburant de l'Armada del Ecuador semble de bonne qualité.

Le carburant de port nous octroie une « zarpe » (clearance de sortie pour Floreana et Post-Office Bay) moyennant 80$ US, sans reçu, bien entendu.

Post-Office est une relique des siècles passés, les baleiniers en escale y déposaient leur courrier, charge aux bateaux retournant vers des zones civilisées de l'acheminer. Le tonneau existe toujours et nous nous chargeons de lettres qui partiront des Marquises.

Le pêcheur de Floreana vient nous échanger une langouste contre un masque de plongée, il est venu à bord avec son fils, et nous apprenons que l'autorité dans cette île est représentée par un unique marin, d'ailleurs dépourvu d'embarcation...

J'ai eu tort ce matin, respectueux du règlement de rester à bord quand l'équipage rendait visite aux flamands roses.




Le 10 mars au matin, après une nuit agitée (les moustiques sont aussi présents dans cet éden) départ pour les Marquises, 3000 milles plus loin.

Nous quittons les Galapagos avec un goût de trop peu, nous comprenons parfaitement le souci des Equatoriens de préserver cette faune unique et si fragile, mais bien des plaisanciers embarqueraient volontiers, moyennant finances, un guide du Parc National qui éviterait tout abus, mais c'est encore impossible. La réglementation actuelle semble plutôt favoriser quelques tour-operators bien placés, qui tiennent à conserver leur chasse gardée.

Nous venons de passer un peu plus de 6 mois en Amérique hispanique, ne baragouinant qu'un peu d'espagnol, mais nous n'avons pas été conquis par l'ambiance de ces pays, nous y ressentons une certaine violence latente, la corruption y est presque palpable, et toute proportion gardée, on ne peut pas ne pas penser aux «Tristes tropiques» de Lévi-Strauss.

Le vent, contrairement aux affirmations optimistes des « Pilot Charts » est assez faible, et à part quelques étapes de 150 ou 160 milles nous nous traînons.

Nous avions passé l'Equateur avant les Galapagos, mais nous fêterons dignement la Saint- Milmil et la Saint-Michemin.

Nous regrettons vivement notre booster éclaté l'année dernière en Atlantique, et dans une « pétole » complète nous terminerons la traversée par 48 heures de moteur; En tout 23 jours, pourrait mieux faire...

Nous voici à Hiva Hoa et nous vous en parlerons un peu plus tard avec un peu de recul.


A bientôt.
























Impressions d’un équipier

Pour avoir été skipper depuis que je navigue, ce n'est pas sans une certaine appréhension qu'au terme de 48 heures d'un voyage qui m'avait permis d'apprécier le confort de deux avions, d'une nuit dans un hôtel de Miami à l'air si conditionné que j'en éternuais encore, d'un décalage horaire de 6 heures et climatique de 30 degrés, je m'apprêtais à devenir le provisoire équipier d''Alibi.

Comme chacun le sait, on devrait le savoir cette condition d'équipier de « crew » ou de « tripulante » suivant le pays fréquenté, est la plus misérable qui soit. Une fois embarqué, ce paria de la mer ne connaîtra que les obscures besognes de la plaisance ; au skipper les honneurs, le port de la casquette, la conviction de son infaillibilité et l'admiration des dames.

Je croise justement sur le «wharf» du Balboa Yacht-club, un gentleman en chaussures de pont délavées, chaussettes à mi-mollet, T-shirt «Panama Canal» et les bras encombrés de sacs poubelles. Nous nous saluons, impassibles, de cérémonieux « Bonjour Monsieur Carpriaux, bonjour Monsieur Lesage », et continuons notre chemin, l'un vers le bout du « wharf », l'autre vers les poubelles.

Quelques minutes plus tard, faisant fi de cette froide politesse qui détonne vraiment sous ce climat équatorial, nous nous retrouvons sur Alibi.
Le temps de troquer mon accoutrement de citadin contre l'uniforme de plaisancier de règle sous ces latitudes, sandales, short et t-shirt et nous larguons la bouée pour notre première étape.
10 minutes plus tard et 500 mètres plus au nord, Alibi remonte au sec sur le slip du Club en vue de 3 jours de carénage.

Anne m'avait bien parvenu : ils t'attendent pour caréner ! Mais je ne pensais pas possible une telle précision dans la programmation.

Enfin bien que gratte et pinceau à la main, on me bichonne, on m'adjure de ne pas me fatiguer ; on m'avouera plus tard que je présentais l'aspect cadavérique du spéléologue sortant de son trou au terme d'une expérience de survie souterraine de cent jours.

Après 3 jours et 3 nuits, agrémentés des « boum boum » des baffle du Balboa Yacht-club,, qui accueille, à 50 mètres du slip, de 20h à 2h du matin une clientèle avide de rythmes latino-américains, des visites intéressées des innombrables moustiques, Alibi retrouve enfin son élément, son corps mort et une chaleur que la brise rend un peu supportable. Et dès le lendemain, nous levons l'ancre pour la grande aventure vers les Perlas, les Galapagos et les îles Marquises.

Le skipper, étant le meilleur comptable de ses routes, de ses milles parcourus et des fortunes de mer a relaté cette traversée de 4000 milles.

Mais il m'a demandé de faire entendre «la voix du gaillard d'avant» ; suivent les commentaires, les impressions d'un équipier au sujet :





-De l'équipage et de l'ambiance :

J'avais eu la surprise en arrivant à Balboa de trouver, installée depuis quelques jours, Aline, une équipière de choc ; je n'allais donc pas «nager» seul sur le banc de galère. En quelques jours, une grande sympathie et une solide complicité firent de nous deux une équipe avec laquelle le skipper dût compter... tout au moins pour l'ambiance du bord....car pour les

compter... tout au moins pour l'ambiance du bord....car pour les manoeuvres « captain word is law ». Nous n'avons pas tardé à constituer notre CGT personnelle (« Crew Grande Traversée ») à laquelle nous conviâmes Paulette, qui de par sa position spéciale à bord, ne put collaborer que pour des actions ponctuelles. Imaginez notre CGT rejouant Bounty ou Caine Mutiny, que vouliez-vous qu'elle fît ?

Nos revendications restèrent sans doute raisonnables car l'ambiance à bord d'Alibi resta toujours, ou presque, souriante voire plus que détendue. Aline, ayant dans ses bagages une guitare dont elle savait jouer, nous permit ainsi de faire chanter Roger, lors de soirées mémorables au large, performance dont mon oreille assez sensible se remettra difficilement.

A ce propos quand Roger dans sa relation parle de Roger, c'est de moi qu'il s'agit, et inversement, cela paraît simple mais au début de notre croisière, quand l'une de ces dames demandait :
« Roger, veux-tu aller ouvrir le gaz ? » nous nous retrouvions immanquablement coincés à deux dans l'échelle du cockpit. Je fus donc débaptisé pour la commodité de la chose et devint « Troll » sans qu'heureusement cella portât à conséquence pour ce brave Alibi.

L'ambiance, disais-je donc, resta sereine même quand nous réussîmes à confiner Roger dans sa couchette pendant nos quarts d nuit, trouvant que ses incursions dans le cockpit relevaient d'une inquiétude injustifiée quant à la bonne marche d'Alibi*, qui se menait bien tout seul d'ailleurs dans la direction approximative des Marquises. A compter de là, il subit stoïquement ses insomnies dans sa cabine.



-Des manoeuvres :

Sur Alibi, comme sur tout voilier en route, il faut, pour la satisfaction du skipper, le bonheur du bateau et la fierté de l'équipage, ajuster continuellement les voiles à l'état de la mer et du vent.

De Balboa aux Perlas (45 milles), ce fut quelques fois la norme pendant ¼ d'heure. Jusqu'aux Galapagos et après jusqu'aux Marquises, si l'on excepte une période de 24 heures au cours de laquelle Alibi battit son record de vitesse en faisant défiler 192 milles dans le compteur de son loch, ce qui demandait qu'on lui prêtât assistance de temps à autre, les manoeuvres prirent ensuite une tout autre tournure.

Alibi s'installa dans des traites journalières de 100 à 150 dédaignant les interventions extérieures qui devinrent vite inutiles. La manoeuvre la plus courante consistait, à la suite d'une petite saute de vent, à donner de l'index une l'allure, la force du vent et l'état de la mer ; cette occupation doit être permanente et rester souci constant de chacun, petite pression sur la commande du pilote électrique pour faire varier la route de 5 ou 4 degrés. J'ai même surpris Roger effectuant cette difficile manoeuvre avec l'orteil du pied droit !!!


Il arrivait que, l'alizé faiblissant, nous tombions dans une sorte de « pétiole » : cela ne paraissait pas perturber Alibi qui nous surprenait en griffant un sillage sur la mer devenue moirée et immobile.




* Interprétation erronée de la CGT, mais qu'attendre d'elle qui renifle le paternalisme inquisiteur dans les moindres actions de l'arrière ?



Il y eut pourtant un jour, où, Roger, ayant sans doute particulièrement mal dormi ou encore peut-être soucieux de la forme de son équipage, ressentit comme un besoin d'action : en deux ou trois heures, successivement, nous amenâmes le génois, déroulâmes le «yankee», le tangonnâmes sous le vent, hissâmes le deuxième yankee derechef tangonné à l'opposé du premier,, roulâmes la grande voile car elle masquait le yankee sous le vent. Tout ceci fait, Alibi, qui se traînait quelque peu à 3 noeuds avant la première manoeuvre, réussissait péniblement à atteindre 2 noeuds.5. Il devenait évident à Roger qu'il fallait continuer les manoeuvres et notre activité débordante continua jusqu'à ce que nous retrouvions la configuration initiale de voilure et notre vitesse de 3 noeuds. Ecoeuré, Roger déclare : «Bon, je vais me coucher».




-Du temps qui passe :
Durant la grande traversée des Galapagos aux Marquises, les 3 ou 4 premiers jours virent nos habitudes de farniente total s'installer. Et puis la régularité du vent, la constance de la température, l'absence de manoeuvre me permirent d'approcher d'un état contemplatif de la mer, des nuages, des étoiles et des constellations pendant les quarts de nuit, qui me fit perdre le compte des jours.

La deuxième semaine fut significative : plus aucun point de repère pour fixer l'esprit sur l'écoulement du sablier. C'était une uniformité d'heures avec une répétition des rites, quarts de nuit de 3 heures, petit déjeuner, quelques menus travaux menés sans hâte, apéritif de midi à l'ombre d'une voile, déjeuner, scrabble, lecture, apéritif au coucher du soleil, dîner et début des quarts de nuit... et ainsi chaque jour.

A la fin de la troisième semaine, cette parenthèse dans le temps se ferma à 3 ou 4000 milles de Hiva Oa l'île des Marquises sur laquelle Roger avait choisi d'atterrir et l'écoulement des heures et des jours reprit consistance.

Nous commencions, les uns et les autres, à regarder plus attentivement sur la carte les points de midi. Nulle impatience dans cette démarche, mais le charme du «O temps suspends ton vol» était rompu.

Nous avions eu les repères de la Saint-Milmil, de la Saint-Michemin et brusquement nous attendions le «Terre devant» qui marquerait cette impression d'être hors du temps et des distances, en fait du monde mesurable de tous les jours.



-De la lecture à bord :


Confiant dans les ressources livresques du bord, qui sont très encyclopédiques, j'étais arrivé sans lecture personnelle si j'excepte un polar dont je n'avais pas eu le temps de suivre les péripéties jusqu'au bout ; chacun s'empressa de me l'emprunter et, connaissant la fin de l'histoire me menaça au moindre écart de ma part, de me révéler le nom de l'assassin !

Puissant donc dans le rayons d'Alibi, je commençais mon cycle par «La mémoire d'Abraham» ; 20 siècles plus tard et après avoir enterré un millier de morts de la même famille, je continuais par «Le Riz», une évocation si dramatique de cette culture que je trouverai à jamais amère cette graminée vantée par l'oncle Ben. Mon moral baissait un tantinet, la lecture du «Passage» de Reversy me fit toucher ce que je croyais être le désespoir absolu. Et pour finir, j'eus la malencontreuse idée de relire «Le meilleur des mondes» ; nous arrivions aux Marquises ce qui m'évita de sombrer dans une misanthropie profonde.



-Du sextant :
Aline s'étant proposée de «mettre à jour» par la pratique mes très faibles et anciennes connaissances de navigation astronomique, je m'exerçai quotidiennement au maniement du sextant et au calcul des droites de hauteur, heureusement simplifiés par la présence à bord d'une calculatrice Tamaya et de ses programmes intégrés. Nous effectuions donc 5 à 6 relevés dans la matinée et autant l'après-midi. Etant l'élève concerné, à moi les calculs et les tracés de droites; Ca ne marchait pas trop mal puisque les points trouvés ne nous plaçaient pas à plus d'un ou de milles du point GPS.

Et puis à l'approche des Marquises, je réussis le coup du siècle. Au midi local, je fis monter le soleil à 92 degrés de l'horizon : les connaisseurs apprécieront !!! Malgré les quolibets, je répétais l'expérience le lendemain avec le même résultat. Devant le danger que présentait mon action de dérèglement de la Grande Horloge Cosmique et avant qu'on ne m'interdise l'accès du sextant, je cessais purement et simplement mes exercices méridiens.
Je proposai à mes collègues de prendre la suite, offre repoussée vivement car, à la méridienne sous l'équateur, torticolis et insolation sont au rendez-vous.

Nous arrivâmes quand même aux Marquises et l'équilibre astronomique retrouva l'harmonie que l'on connaît.



-De la pêche :

Ce ne fut pas toujours «Byzance». Mais entre les pertes et Rapalas et d'Octopus, les lignes accrochèrent quand même quelques belles prises, dorades, thons, tazards, vieux bouts et même une boîte de sardines !

Un requin faillit monter à bord, mais bien que croché il tordit le fer de 12 mm de croc, et arrachant leurre et hameçon regagna son élément.

Après plusieurs jours de bredouille et pour ajouter des nouveautés au concert du soir, j'écrivis la chanson en annexe sur ce sujet qui préoccupait chacun à bord.

Mais, ce n'est pas parce que les menus se ressentaient de cette absence de protéines
fraîches que notre apport à l'ichtyologie faiblissait : 5 à 6 soirs consécutifs nous avons remonté d'étranges poissons à tête de maquereau et corps de sergent que les documents du bord révélèrent être des Gempylus espèce dont Thor Heyerdhal prétendait avoir recueilli sur le Kon Tiki le premier spécimen vivant. En l'absence d'informations plus récentes, Roger peut prétendre, si l'on tient compte du nombre des prises, à une place au moins ex-aequo dans le livre Guiness des records.

Mais la dernière aventure de pêche de cette croisière ne fut pas la moins cocasse. A l'approche de Nuku Hiva, le moulinet d'une des cannes chantant un air bien sympathique, Roger remonta en un petit quart d'heure une coryphène la CORYPHENE, celle qu'il ne faut surtout pas laisser filer. Aline l''avait gaffée avec le croc et je l'aidais à la hisser à bord; Elle est à la hauteur du canot, mais le bossoir l'empêche de basculer et soudain tout vient ; nous nous retrouvons au fond du cockpit, moi dessous, la coryphène dans les bras, Aline suit; il faut un moment pour démêler tout ça, mais quelle belle prise : 1m35 et 12 à 14 kilos....au minimum.

Ne reste plus qu'à découper.... et soigner les bosses, respectivement du poisson et des équipiers.

Et puisqu'il faut en terminer.

Ma plus longue traversée sans escale avait duré sept jours. Ce demi-Pacifique a une tout autre dimension et m'offre de multiples occasions de compléter une expérience hauturière dont je vais avoir bien besoin dans ls prochaines années.

Cette pratique aura effacé beaucoup des connaissances théoriques que je pensais suffisantes et je revois déjà ma copie quant à l'armement, l'intendance et les itinéraires futurs de « TROLL ».
Que les Lesage qui m'ont permis cette expérience en soient remerciés.
Et puis il y a aussi Alibi.

Je le connaissais pour avoir déjà effectué deux croisières à son bord aux Antilles ; mais je n'avais pas encore ressenti,, comme lors de cette traversée, le sentiment de confiance et de sécurité qu'il inspire. Tout paraît possible... Comme de continuer la route alors que le vent a disparu et que les voiles battent à la recherche d'un souffle.

Le Pacifique, si pacifique en l'occurrence, ne lui a bien sûr pas permis de sortir toutes ses cartes; Mais j'ai pris une option, si les circonstances le permettent, pour un test dans des mers plus sévères... Durban-le Cap ???

En attendant ces festivités, Alibi m'offre encore un mois de «Marquises» mais ça c'est une autre histoire.

Roger CARPRIAUX





















LA PECHE A LA TRAINE

Parole et musique de Troll, « crew » d'Alibi


S'en sont partis joyeux pour des courses lointaines
Ah! Combien de marins, combien de capitaines
Adeptes convaincu de la pêche à la traîne
Rêvant thons et tazards dorades coryphènes.

Rêvant thons et tazards, dorades coryphènes
Ah ! Combien de marins, combien de capitaines
Comptent déjà leurs prises : une, deux ou trois baleines
Multipliant les leurres dans une attente vaine

Multipliant les leurres dans une attente vaine
Ah ! Combien de marins, combien de capitaines.
Un soir il arriva qu'on pêchât une naine
De la voir dans l'assiette nous fit beaucoup de peine

De la voir dans l'assiette nous fit beaucoup de peine
Ah! Combien de marins, combien de capitaines
Et pourtant quelquefois le cliquet se déchaîne
On jubile, on triomphe, des vieux bouts on ramène.
On jubile, on triomphe...des vieux bouts on ramène
Ah! Combien de marins... combien de capitaines
Il en est des poissons comme de l'Arlésienne
On en parle beaucoup, tous leurs noms on égrène

On en parle beaucoup, tous leurs noms on égrène
Ah! Combien de marins, combien de capitaines
On apprend leurs couleurs, on connaît leur dégaine
On finit en chimère et en queue de sirène

On finit en chimère et en queue de sirène
Ah! Combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Et s'en sont revenus, se serrant la bedaine !










SI ON AVAIT UN BOOSTER

(Sur l'air de «Si j'avais un marteau»)



Si on avait un booster
Au diable les petits airs
On filerait tout droit
Cinq noeuds au lieu de trois
Cinq noeuds me direz-vous
Cinq noeuds c'est pas beaucoup
OUI MAIS VOILA
C'EST QU'ON PEUT MEME PAS !
Marquise, Alibi n'a plus d'brise.
ALIBI OH ALIBI OH

Si on avait un booster
Ce s'rait plus la galère
Roger serait content
Les « crews » auraient d'l'allant
A cent vingt milles par jour
Ce s'rait qu'un petit tour
OUI MAIS VOILA
C'EST QU'ON PEUT MEME PAS
Marquise, Alibi n'a plus d'brise

ALIBI OH ALIBI OH

Si on avait un booster
On aurait la manière
Pour tenir l'alizé
Léger comme un p'tit pet ;
On s'désaltérait sans bruit
OUI MAIS VOILA
C'EST QU'ON PEUT MEME PAS !


ALIBI OH ALIBI DIX NOEUDS












Août 93

IA ORA NA I TE AROFA O TE ATUA*

5 mars 1993, nous arrivons à Hiva Oa aux Marquises après 23 jours de mer depuis les Galapagos. Contraste saisissant entre la rocaille et les cactus peuplés d'une faune extraordinaire, et ces îles montagneuses aux falaises battues par la houle, aux vallées profondes, à la verdeur agressive, où l'on ne voit que de rares animaux, chèvres, cochons et chevaux.

Atuona, capitale administrative d'Hiva Oa est une sorte de village sans grand charme, on y trouve une gendarmerie, un petit hôpital, une école, un collège, l'église, quelques commerçants chinois et un cimetière doté d'une vue magnifique, qui réjouit peut-être les coeurs de Gauguin et de Jacques Brel qui y sont enterrés.

Cette capitale est riche d'une route cimentée longue de 3 kilomètres, elle va de la mairie à la maison du maire...prétendent les mauvaises langues, et les polynésiens sont volontiers railleurs.

Nous louons un 4x4 pour aller un peu plus loin que cette autoroute, nous trouverons après quatre heures de piste des maraés et des tikis,, plateformes de pierres et statues datant des temps anciens ; vestiges impressionnants d'une civilisation disparue.

Il ne s'agit pas ici d'écrire une histoire de la Polynésie et des Polynésiens, mais en quelques millénaires, les Mahoris, vivant littéralement à l'âge de pierre ont peuplé des territoires aussi éloignés les uns des autres que la Nouvelle-Zélande, Hawaï et l'île de Pâques, la seule Polynésie française s'étend sur une surface comparable à l'Europe, et la superficie totale des terres émergées n'atteint pas 4000 kilomètres carrés, la moitié de la surface de la Corse.

Nous rencontrons quelques métropolitains, essentiellement des enseignants, la moitié des professeurs du CES est composée de navigateurs désargentés qui ont trouvé là une occasion pour renflouer la caisse du bord.

Nombre des enseignants rencontrés travaillent aux Marquises dans des établissements catholiques et y font un excellent travail, il est vrai que les religieuses qui dirigent cet établissement
sont particulièrement libérales, prônant les contraception à leurs élèves, chez qui l'eau du baptême n'a pas éteint les appétits ancestraux...

Sur un autre plan ces écoles en 1905 à l'époque de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, furent fermées pendant plus de vingt ans, sans être remplacées par des établissements publics; Il fallut en 1925 l'initiative d'un haut fonctionnaire moins sectaire que ses prédécesseurs pour rappeler ces religieuses. Plutôt l'ignorance qu'un enseignement orienté... Grande et généreuse République.

Nous quittons Hiva-Oa pour la célèbre et magnifique Baie des Vierges à Hanavave, paysage somptueux et austère, encore une des plus belles baies du monde que nous rencontrons. La population
totale de l'île ne doit pas dépasser 4 à 500 personnes ; les pêcheurs viennent à bord et proposent des troc variés : fil à pêche, leurres, hameçons, colle, bouts de nylon contre des fruits et du poisson, je n'accède pas à leur désir d'échanges des cartouches de 22 que je n'ai pas, ils sont chasseurs, leur attribution annuelle est limitée, ce qui protège relativement les chèvres de la montagne, avec les munitions à volonté elles seraient toutes massacrées



*Je te salue au nom de Dieu

J'enlève 3 dents à la fille du maire contre quelques kilos de pamplemousses.
Les guides touristiques ventent l'artisanat de Ratu-Hiva, la réalité est bien différente et il est difficile de trouver un objet intéressant, Paulette avise dans le village une femme pourpre d'une magnifique noix de coco gravée, qui lui tient lieu de sac à main, elle réussit à l'acquérir après une longue négociation.

Rencontre insolite au mouillage d'Hananave, d'un shop anglais de 32 pieds dont le skipper a réalisé un programme de navigation hors du commun : départ d'Angleterre, Cap Nord, Arkhangelsk, canaux et fleuves russes, Mer Noire, Bosphore, Gibraltar, Thulé, Falkland, Péninsule antarctique, cap Horn, Chili, Marquises, et maintenant il se dirige vers Hawaï l'Alaska et la Sibérie. L'intérieur de son bateau est bourré de filets remplis de chandails et de chaussettes de laine. Il se plaint de la température des Marquises qu'il trouve insupportable. Bon voyage...

Autre rencontre sympathique à Omoa « capitale » de l'île : un jeune couple qui fabrique des «tapas» (tissu traditionnel obtenu en battant longuement de l'écorce de mûrier, les anciens polynésiens ne connaissaient pas le tissage) ces tableaux ornés de dessins d'inspiration marquisienne sont assez commerciaux, et plaisent beaucoup aux équipages américains de passage ; lui est breton, sa femme est une ravissante marquisienne, et leurs trois enfants sont charmants.

Toujours à la recherche d'un sculpteur sur bois, on nous en indique un dans l'île de Tahuta, il est en train de construire son atelier : « Revenez l'année prochaine ».

Autre mouillage : Hanamenu au nord d'Hiva-Oa, autre rencontre, Nicolas 33 ans vit seul dans une vallée très isolée, exploitant de coprah en métayage 80% pour lui et les 20% restant pour le propriétaire. Le coprah est surpayé en Polynésie, mais il vaut sûrement mieux entretenir les cocoteraies que d'émarger au RMI (qui n'existe pas ici) ou d'être manoeuvre à Mururoa.

Nicolas piège également des cochons sauvages, il nous donne rendez-vous le lendemain à 7 heures, mais il y a pas mal de ressac et le débarquement cul par dessus tête est humide, mais sans grand mal et le moteur consent même à repartir après ce bain forcé ; beaucoup d'émotions pour rien, les cochons n'étaient pas là.

Dans cette vallée d'Hanamenu, on trouve d'innombrables «paepae» qui étaient les soubassements de pierre des anciens fares de bois et de bambous, aujourd'hui disparus. On estime que 2000 personnes y vivaient au XVIIIème siècle et maintenant le seul Nicolas. Après bien d'autres nous nous posons quelques questions sur les bienfaits de notre civilisation.
Cook estimait la population de ces îles à au moins 100000 personnes ; en 1925 ils n'étaient plus que 2500 à l'heure actuelle, ils sont environ 15000 dont la moitié vit à Tahiti.

Abondamment pourvus par Nicolas de pamplemousses, de citrons et d'oranges nous partons pour Ua-Pu qui au petit matin dresse des dykes volcaniques sur le ciel, c'est saisissant de beauté. Nous avons pour voisin un magnifique sloop américain de 52 pieds, dont l'équipage se compose d'un couple d'une quarantaine d'années, agents immobiliers en année sabbatique, et de leurs trois enfants de 5, 7 et 12 ans, ils sont partis de Seattle et effectuent en famille le tour du Pacifique. Les ressources des agents immobiliers américains laissent notre ami Roger un peu songeur, il en est tellement troublé qu'au cours d'une conversation avec ces voisins, évoquant sa nouvelle vie de jeune retraité, il commet un lapsus révélateur : « new wife » au lieu de « new life »... une simple lettre peut changer le sens d'une phrase...

Prochaine escale Nuku-Hiva dans la grande baie de Taiohae, le mouillage un peu rouleur abrite une vingtaine de voiliers, nous n'y resterons qu'un court moment, Roger pour sa dernière semaine à bord souhaite voir plusieurs villages. Nous nous rendons d'abord à la baie du Contrôleur, au débouché de la vallée de Taipivai, en 1840 Melville s'y réfugia après avoir déserté son baleinier, blessé, il fut hébergé et soigné par la redoutable tribu des Taipi, il n'était guère rassuré, se demandant si ces soins relevaient d'une élémentaire charité, ou n'étaient qu'une manière d'engraissement préludant à des festivités auxquelles il n'entendait pas participer... Il réussit à s'enfuir, et plus tard tira de ce sujet ses romans Types et Omoo.

Les natifs sont aujourd'hui plus accueillants, la cocoteraie est superbe, l'équipage remonte la vallée jusqu'à une lointaine cascade, et je reste à bord pour soigner une angine.

Pressés par le temps, nous allons à Akatea, baie parfaitement abritée, à terre, un couple d'une soixantaine d'années accueille les voiliers de passage avec des pamplemousses et des citrons ; comme c'est maintenant une habitude, balade épuisante à la cascade (il y en a une au fond de chaque vallée).

Retour à Taiohae, car Roger doit regagner la France après deux mois à bord d'Alibi. Adieux « z'émus », il promet de venir nous rejoindre à Durban dans deux ans. Il prend un hélicoptère pour gagner l'aéroport distant de 25 kilomètres, il n'y a bien sûr, pas de route, de là un avion à hélice pour Tahiti et pour terminer 20 heures de jet vers Los Angeles et Paris. Dans quel état arrivera-t-il ?

Nous retournons à Akatea, véritable trou à cyclone et nous y rencontrons le propriétaire de la vallée, candidat malheureux du parti marquisien aux dernières élections législatives ; il a pour son île des projets ambitieux (il n'est plus en campagne et nous ne sommes pas directement concernés). Il souhaite transformer le terrain de Terre Déserte, qui reçoit 4 avions à hélice par semaine en un aéroport international permettant aux plus gros jets d'atterrir, développement de la pêche et envoi chaque semaine d'un 747 chargé de thons sur Tokyo. Dans la vallée création d'un grand hôtel, d'un golf de 18 trous, clientèle déposée par hélicoptère etc.

Un peu mégalo, mais charmant...
Nous évoquons avec lui et deux autres marquisiens une information entendue le matin même à la radio : deux employés municipaux d'Ua-Pu se bagarrent, un des protagonistes sérieusement mordu se retrouve à l'hôpital avec 32 points de suture, le journaliste s'inquiétait d'une éventuelle reprise du cannibalisme aux Marquises.
Deux de nos interlocuteurs se récriaient : « ça s'est passé à Ua-Pu, et autrefois, nous on les faisait cuire ! » le candidat marquisien nous disant quant à lui le dernier cas connu d'anthropophagie aux Marquises a eu lieu dans sa famille à Anaho en 1894. Nous y passerons deux semaines plus tard et le fait sera confirmé.

Retour à Taiohae pour Pâques, nous allons au culte dans une petite communauté tahitienne, les hasards de l'évangélisation ont fait que les Marquises sont catholiques et que Tahiti et les Iles sous le Vent soient protestantes.

Liturgie en Tahitien, mais lecture de Luc 24 1-12 en français ; le chant traditionnel «A toi la gloire» en tahitien est un peu surprenant.

Le lundi de Pâques réunion de masseurs et de médecins coutumiers, les plantes jouent encore un rôle important dans la pharmacopée polynésienne. La réunion commence par le discours du maire et la bénédiction du curé ; toute réunion politique, culturelle, sportive ou folklorique nécessite une prière, nous verrons même au cours du Heiva, la grande fête annuelle de Tahiti, un pasteur bénir les évolutions des danseuses habillées de deux demi-noix de coco et d'une jupe de fibres. Malgré les bienfaits de cette médecine traditionnelle, plusieurs des participants à cette manifestation sont atteints d'éléphantiasis, le « feefee », encore endémique, mais en voie d'éradication. Prudents nous avons même pris la médication ad hoc pour nous en prémunir.

Nous visitons à Taipivai un important «marae», encore flanqué de ses huit tikis enfouis dans l'herbe, c'est un lieu parfaitement nostalgique... Nous trouvons également un sculpteur sur bois qui m'exécute un casse-tête marquisien très fonctionnel, il ne lui manque pour être complet qu'un peu de «mana», mais il s'en chargera avec l'usage...

Toujours à Taipivai, nous rencontrons un maraîcher, martiniquais, gendarme en retraite, marié à une marquisienne, il se plaint de la paresse des Polynésiens et de leur racisme... il nous entretient également des «nonos» (petite mouches à la morsure fort douloureuse) de ces nonos existent deux espèces : les blancs et les noirs, sans y voir de malice notre jardinier nous affirme que les plus mauvais sont les noirs... Ses légumes sont excellents et bon marché.

Il y a plus de deux cents ans Cook parlait déjà des «nonos» :
«L'animal le plus malfaisant ici est la petite mouche noire des sables, ces animaux sont si nombreux et si harcelants que je n'ai jamais rien vu de pareil ; où qu'ils piquent, une enflure se produit, et on ressent une démangeaison si intolérable qu'on ne peut s'empêcher de se gratter, ce qui finit par provoquer des ulcères comme la petite vérole».

Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés, dans notre équipage Roger-Troll y était particulièrement sensible et présentait tous les symptômes décrits par Cook, il finissait par ne plus descendre à terre qu'emmitouflé dans un pyjama, il en a particulièrement souffert.

Autre mouillage au nord de l'île : Anaho, la carte de détail a été levée en 1974 par Monsieur Cornut-Gentille, lieutenant de vaisseau qui finit amiral et dont l'arrière petit-fils était président de l'Unité-Amateur Normandie, quand je lui ai donné une copie de cette carte il y a deux ans, les Marquises étaient encore bien loin.

A Anaho ne survivent que 3 familles, qui tentent une petite percée dans le tourisme, avec bungalows d'accueil, petit restaurant sympathique qui offre du poisson et du porc cuits dans un four marquisien (trou dans la terre où des pierres chauffées assurent la cuisson des aliments entourés de feuilles) c'est très bon, mais sans avenir au salon des arts ménagers.

Pleins d'eau et de gas-oil, avitaillement chez le chinois (tous le commerce en Polynésie est entre les mains de descendants de coolies venus au siècle dernier pour travailler dans les plantations ces dernières ont disparu, mais pas les « tinitos ») nous faisons une escale d'une semaine à Ua-Pu avant de partir pour les Tuamotu ; nous y rencontrons un couple d'enseignants qui passent une année scolaire laborieuse au collège local, leur voilier vient de perdre son mât, accident bien difficile à réparer dans ces îles perdues, quand repartiront-ils ?
Nous assistons dans ce mouillage à la réalisation d'un gag que Robert Dhéry n'avait pas imaginé dans le Petit Baigneur ; pour ne pas éviter dans cet espace restreint les bateaux sont mouillés sur deux ancres, une devant et une derrière ; nous voyons arriver un voilier américain qui mouille très correctement son ancre avant, recule pour élonger sa chaîne, et en bonne position jette l'ancre arrière sans l'avoir amarrée, consciencieusement il drague l'emplacement et réussit à la récupérée. Ce bateau s'appelait « Witchcraft », (sorcellerie, enchantement, magie).

Le dimanche matin avant de partir nous assistons à la messe, l'église est comble, 7 à 800 personnes dans un village de 1000 habitants, chants magnifiques, liturgie adaptée, beaucoup de jeunes enfants (une garderie permettrait sans doute d'entendre l'officiant) que pouvons-nous penser de telles manifestations, sans doute formelle, nous qui v
manifestations, sans doute formelle, nous qui venons de notre Europe déchristianisée ?

Adieu les Marquises, nous y sommes restés deux mois, c'est le temps le plus fort de notre croisière, nous garderons un souvenir ineffaçable de ces îles, de ces paysages somptueux et austères, mis surtout des marquisiens si accueillants, si simples, si directs.

Le maire d'Hanavave, à propos des dernières législatives me demanda ce que je pensais du changement de majorité, craignant un terrain miné, j'essayais une pirouette : « regarde les pirogues, les unes ont un balancier à gauche, les autres l'ont à droite, quelles sont celles qui marchent le mieux ? »

Il me répondit avec beaucoup de bon sens :: «ça dépend du pêcheur».

Il est certain que le nombre de plus en plus grand de yachts américains et canadiens de la côte ouest, qui en un an ou deux effectuent le tour du Pacifique, comme les Européens font le tour de l'Atlantique (le tour du laitier) va rendre l'accueil moins chaleureux et moins spontané; De plus en plus nous arriverons trop tard dans un monde trop vieux.

Et tout n'est pas rose dans ces îles, ls routes sont quasi inexistantes, les pistes sont innombrables ; les promenades sont difficiles, le seul chemin possible étant souvent le lit des rivières (avec l'escorte des nonos), dans les baies abritées, seuls mouillages possibles, l'eau n'est pas claire car tous les cours d'eau s'y jettent, les plages sont de sable noir, et partout ailleurs les falaises plongent directement dans une mer inaccessible. Les Marquises n'ont rien à voir avec les dépliants touristiques souvent photographiés à Bora-Bora.

Lestés de regrets et de dizaines de kilos de fruits offerts par les gens d'Ua-Pu, nous arrivons à Manihi, premier atoll des Tuamotu sur notre route, après une traversée de quatre jours
sans grand problème, nous attendons amarrés le long du quai avant de pouvoir entrer dans le lagon. L'eau de la passe est remarquablement claire et transparente, c'est un festival de poissons
variés : perroquets, raies léopard, requins, nous espérons beaucoup de notre premier lagon.

Le petit village de Manihi est décevant, poussiéreux, peu aéré, la végétation ne soutient pas la comparaison avec celle des Marquises, les cocotiers semblent jaunâtres et souffreteux, mais la lumière du lagon est superbe.

Après quelques heures, le courant se calme et nous pouvons entrer, les pâtés de corail visibles et par bonne lumière c'est beaucoup moins stressant que nous ne l'imaginions après avoir lu les bons auteurs... L'eau est tellement claire que les pinacles se voient très bien : bleu marine = eau profonde, bleu vert = quatre à dix mètres, vert très clair attention, jaune = échoué !

Les chenaux sont en général balisés : rouge côté terre, vert côté récif, l'affaire se complique avec quelques bouées cardinales parfois correctes, parfois posées à l'envers ; à Bora-Bora nous effectuerons ainsi quelques sondages avec notre quille ; fantaisie des Phares et Balises tropicaux.

Nous mouillons dans vingt mètres d'eau à deux milles du village, nos premiers essais de
« schnokelling »sont décevants, aussi bien sur le récif que sur les pâtés, partout du corail mort, peu de coquillages, sauf de très nombreux bénitiers incrustés dans le corail, leur manteau abrite des algues qui donnent aux lèvres de ces bivalves de très vives nuances de bleu, de jaune ou de vert.

Peu de poissons, en général petits, et nous sommes très méfiants, la « ciguattera » est très présente dans cette zone, nous attrapons un petit requin à la ligne, mais les Pomotu nous disant ne pas consommer sa chair, nous nous abstenons.

Nous sommes déçus par ces fonds un peu tristes, l'île a été ravagée par un cyclone voici quelques années, et une tempête tropicale a également sévie en février dernier, dévastant les fonds et provoquant de gros dégâts aux fermes perlières du lagon.

Ces fermes élèvent des huîtres qui après la greffe d'un noyau produisent des perles noires, en réalité de nuances variées, du gris acier à l'aubergine.

De grands espoirs ont été fondés sur cette activité, les investissements sont importants, mais la production augmentant, les cours chutent, schéma classique. Il existe des entreprises anciennes et bien structurées, et à contrario, de touchants bricoleurs qui couvent péniblement quelques centaine de nacres.

On trouve à Manihi un hôtel du bout du monde, le Kia Ora fréquenté par des japonais et quelques «happy few», les fanés sur le lagon sont sans doute confortables mais la restauration ne dépasse pas le niveau d'un snack d'autoroute, même si les prix ne connaissent pas la limitation de vitesse.

Malheureusement notre séjour aux Tuamotu, que nous avions prévu de 5 ou 6 semaines sera écourté, Aline, notre fidèle équipière depuis Panama a des inquiétudes de santé et doit subir des examens plus approfondis à l'hôpital de Papeete.

Nous quittons donc Manihi, un peu déçus par les Tuamotu, pour Tahiti où nous arrivons à la mi-mai.

Très rapidement Aline est rassurée, mais elle rentre en France fin juin, pour nous rejoindre début septembre à Bora-Bora.

Nous avions entendu pis que prendre de Papeete, en fait nous trouvons une ville de province très vivante, très commerçante, ici comme ailleurs en Polynésie tout le commerce, gros ou détail est entre les mains des chinois.
Tahiti et la Polynésie toute entière sont remarquablement propres et soignées, à toute heure du jour on peut voir des employés municipaux le balai, la tondeuse, le râteau à la main.

Papeete s'enorgueillit d'une mairie grandiose, bâtiment à colonnes et balustrades néo-classico-colonial, somptueuse pièce montée...

Les bâtiments de l'Assemblée Territoriale sont beaucoup plus discrets, la Polynésie Française jouit de l'autonomie interne depuis 1984, ça marche cahincaha selon l'humeur du Président qui a quelques tendances à l'autocratie.

Tahiti, au dire de ses anciens habitants a considérablement changé durant ces trente dernières années (sont-ce les Trente Glorieuses ?).

La manne du centre d'essai du Pacifique (Mururoa) en est grandement responsable, ce développement de Papeete a entraîné une urbanisation anarchique, une circulation démente et un coût de la vie quasi himalayen, mais ces transferts de population entraînent bien des déracinements, et l'on trouve à la périphérie quelques bidonvilles discrets.

Le moratoire des essais nucléaires commence à poser de sérieux problèmes financiers au territoire ; il est aujourd'hui (en 93) beaucoup question d'un Pacte de Progrès plus ou moins miraculeux. Ne vous inquiétez pas, c'est toujours vous qui paierez l'entretien des danseuses de la République, et Tahiti est probablement celle qui a le plus de charme.

Bien sûr, ce n'est plus l'ambiance qu'a connu Bougainville en 1767, le bon sauvage et la Nouvelle Cythère; Soit dit en passant, Bougainville n'est resté que 9 jours à Tahiti, ayant choisi un mouillage sur la côte au vent, il y perdit 6 ancres et sa frégate «la Boudeuse» faillit rester sur le corail, son voyage, contrairement à ceux de Cook, semblent beaucoup plus improvisés, moins scientifiques, il est vrai que Cook disposait des premiers chronomètres d'Harrison qui lui donnait une longitude exacte. Mais la réputation de Tahiti reste basée sur les brèves impressions de Bougainville.

Les ethnologues d'aujourd'hui, et on en rencontre un derrière chaque cocotier, ou peut s'en faut, expliquent abondamment la disparition de la culture mahori et tout le mal qu'apportèrent les missionnaires de la London Missionary dépeuplèrent considérablement le panthéon tahitien, mais aussi qu'ils supprimèrent les sacrifices humains (accompagné de cannibalisme aux Marquises et aux Tuamotu) et mirent fin aux incessantes guerres tribales, et interdisent les infanticides qui tenaient lieu de planning familial.

Faisant l'effort d'évangéliser les mahoris dans leur langue, ils ont contribué en traduisant la Bible à fixer cette langue non écrite, et ils alphabétisèrent les îles.

L'Eglise catholique n'est arrivée que 40 ans plus tard, avec le protectorat de la France imposé en 1842. Bel exemple de l'alliance du sabre et du goupillon.

Si les dogmes sont généralement acceptés, les moeurs sont restées très libres, même si les vahinés ne viennent plus au devant des navires en pirogues. (Nous arrivons toujours trop tard !!!)

Un autre aspect de la vie tahitienne est l'abondance de groupes de chant et de danse dans tous les archipels, ces groupes participent à des concours lors des fêtes du juillet; Omniprésent également l'attachement viscéral au pays aux îles, au Fenua, c'est le mot tahitien que l'on entend partout.

Avec l'Université du Pacifique sud, on va plus loin que le folklore, c'est l'affirmation de l'identité mahori, au moment où elle risque de disparaître dans l'uniformisation de notre monde.

Nous avons assisté aux fêtes anniversaires de l'autonomie interne (le 9ème). Dans un stade défilé de 5000 participants, scouts, représentants d'églises, de mouvements de jeunesse, de groupes de chant et de danse, de délégation de toutes les îles. Ce défilé était ouvert par Miss Tahiti et ses ravissantes dauphines, on imagine le défilé du 14 juillet ouvert par Miss France...Les bidasses suivraient peut-être avec plus d'entrain.

Cérémonie bon enfant, un peu patronage, où l'absence du Haut-commissaire était remarquée, première exécution de l'hymne « la ora Tahiti nui ».

La semaine précédente s'était tenue une réunion des chefs d'états du Pacifique sud, les programmes officiels ne faisaient en aucun cas mention de la Polynésie Française, mais uniquement de «Tahiti nui» (la grande Tahiti) au même moment le ministre des Dom Tom était présent à Papeete et apportait un chèque conséquent, indispensables aux finances malades du territoire...

Le même soir, pour la réjouissance des foules, grande soirée de danses avec 450 participants, nous sommes au premier rang, ce qui nous prive d'une vue d'ensemble, mais nous permet de suivre dans le détail les évolutions de quelques charmantes danseuses, dévêtues d'une couronne de tiare, de deux demis noix de coco et d'un pagne de fibres, elles se trémoussent allègrement et manifestent une grande souplesse de hanche.
La grande préoccupation des Tahitiens, après la danse, c'est la fête, la bringue ; c'est aussi le sport sous toutes ses formes, football, basket, natation, pirogues, surf, etc.etc. Alain Gerbault qui bataillait

dans les années 30 pour obtenir quelques terrains de foot pour ses chers tahitiens serait comblé aujourd'hui.

Tous les soirs à 5 heures piroguiers et piroguières superbes s'entraînent autour de notre mouillage de Papeete ; la race mahori est très belle, les jeunes sont souvent impressionnants, plus tard une certaine tendance à l'embonpoint et l'Himano, la bière locale, leur donnent parfois un profil de lutteurs de Sumo.

Nous avons eu la surprise et la joie de retrouver notre fils Pierre que nous avions laissé l'année dernière à Saint-Martin ; il s'occupe maintenant du marketing d'une chaîne d'hôtels à Tahiti et dans les îles sous le vent.

Avec l'arrivée de nos filles, de notre gendre et des petits-enfants la famille va se retrouver au complet, ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps.

En effet le 12 juillet, Alibi se trouve à la tête d'un équipage de 10 matelots et moussaillons. Croisière classique et facile : Moorea, Huaine, Raïtea et Bora-Bora pour terminer. Les 90 milles séparant Moorea de Huaine engendrèrent bien quelques vendeurs, mais dans l'ensemble le pronostic est bon, pour notre retour nous pourrons envisager les Scilly, peut-être même l'Irlande, en ajoutant quelques petites laines.

Au départ, les petits-enfants étaient très inquiets des requins, ces monstres affreux et sanguinaires les terrorisaient ; grâce à Pierre, l'oncle du Pacifique, qui nous fit assister au repas des raies et des requins les craintes s'estompèrent ; se mettre à l'eau en ayant pied, voir à travers le masque une ou deux douzaines de requins se précipiter sur les déchets de poissons distribués par un tahitien, le voir même attraper un de ces monstres des profondeurs à plein bras, est un spectacle qui démythifie grandement ces poissons.
Un autre jour une visite au lagunarium achève l'entreprise, en effet, les jeunes et les moins jeunes se baignent avec palmes, masque et tuba dans des enclos grillagés où évoluent requins, raies,, léopard, carangues, poissons de coraux et tortues. Les raies viennent manger dans la main, les tortues remorquent les enfants qui les attrapent par la carapace, les requins se laissent toucher.

Le séjour des enfants a malheureusement une fin, Jean-Paul le premier, puis Françoise et Antoine et enfin Anne, Hélène, Marie, Louis et Mathieu rentrent en France. De part et d'autre nous ressentons un peu de vague à l'âme quand la navette quitte le quai. Les retrouvailles n'en seront que meilleures, dans deux ans à Deauville.

Maintenant nous décompressons un peu, avant de retourner à Raïatea pour caréner. Nous partirons au début septembre pour Pago-Pago aux Samoa américaines.

Ces six mois en Polynésie nous laissent un goût de trop peu, nous avons été fascinés par les paysages qui sont bien au-dessus de leur réputation, mais nous regrettons ces populations si souriantes, pleines de joie de vivre, si décontractées si gentille, même dans les lieux les plus envahis
par les touristes. Le beau temps quasi permanent et la température toujours estivale, contribuent au charme du séjour.

Le retour en Manche va être dur, très dur...

Avec toutes nos amitiés.

Ci-joint, deux petits contes extraits du recueil « le bleu qui fait mal aux yeux » d'Alex du Prel, ils reflètent un peu ce que nous ressentons après ce séjour.

A bientôt.

















































LA HONTE DU VIEUX

Le vieux était assis sur le fauteuil de la véranda. Il était triste.
Il pensait au passé. A son passé. A ces soixante seize années passées. A sa vie.

Il avait honte parfois, il avait si honte qu'il lui arrivait de pleurer.

Honte lorsque les souvenirs remontaient, les souvenirs d'il y a soixante ans, souvenirs de sa jeunesse.
Que les îles étaient belles alors. Combien facile était la vie. Qu'il était bon alors de se promener le long du rivage et de saluer tout le monde en passant devant les maisons.
Qu'il était beau le lagon, plein des couleurs des coraux, des ombres, des poissons qui s'enfuyaient dans une eau bleu-clair. Il ne fallait que quelques minutes pour pêcher les trois poissons que sa grand-mère attendait pour le déjeuner.

Lorsqu'il fut plus grand, il alla à l'école où on lui apprit que le poisson se garde mieux dans le frigo que dans le lagon.
Ainsi, il commença à pêcher vingt poissons par jour pour acheter un frigo, pour mieux conserver le poisson, il fallait acheter une voiture et pour payer la voiture, il fallait pêcher des centaines de poissons par jour. Mais pour pêcher tant de poissons, il fallait un bateau à moteur et pour payer ce bateau, il fallait pêcher toujours plus de poissons, et les bénitiers, et les langoustes et tout ce qui était dans le lagon.

C'est pour cela qu'aujourd'hui le vieux pleure sur son lagon. Il pleure sa honte. Car cela fait longtemps qu'il n'y a plus de poisson, plus de langouste, plus rien dans le lagon. Il ne peut même plus trouver un poisson par jour pour se nourrir. Il ne pleure pas parce qu'il a faim, il pleure parce qu'il a honte.

Honte devant ses ancêtres. Eux qui avaient pensé à lui, eux qui n'avaient pris que le nécessaire et lui avaient laissé un lagon plein de poissons pour qu'il puisse nourrir ses enfants et ses petits-enfants.

Il avait tellement honte, car lui avait tout pris pour lui-même, absolument tout pris comme un égoïste, sans penser aux autres. Il avait tout pris pour acheter des choses dont on lui avait dit qu'elles étaient nécessaires, qu'il serait un vrai homme avec ces choses. Ces choses qui sont cassées et pourries depuis longtemps, là, derrière la maison. Mais le lagon, lui, est toujours triste et mort.

Il a honte car ses enfants ont dû partir, partir loin dans une grande ville froide, partir travailler dans une usine grise et sale, partir pour gagner de l'argent pour acheter à manger. Car ici, près de leur famille, ils ne pouvaient plus se nourrir. Il n'y avait plus de poisson. Voilà pourquoi le vieux a honte, tout seul dans sa maison, face au lagon mort. Honte que lui seul ait détruit ce que les centaines d'autres générations avaient conservé pour lui et ses enfants.









LA LEGENDE DU URU

Il arriva un jour, il y a bien longtemps, qu'une terrible sécheresse sévit à Tahiti. Plus une plante ne poussait. Les gens affamés ne trouvaient plus pour se nourrir que de la terre rouge.

Un homme, du nom de RUA-TA'ATA, se désespérait de voir dépérir sa femme, sa fille et ses trois fils autour de lui.

Un jour il les emmena dans la montagne, les installa pour la nuit dans une grotte, et, prenant sa femme à part, lui dit :

«O RUHAUARI'I, lorsque tes yeux s'ouvriront demain matin, ils me chercheront en vain auprès de toi. Lève-toi et sort. Tu verras que mes mains sont devenues des feuilles, mon corps un tronc et mes membres des branches, et de ma tête naîtra u fruit délicieux dont tu te nourriras, toi et tes enfants. Plus jamais ensuite, vous ne souffrirez de la faim.

Ainsi dit le père, et il en fut comme il l'avait dit.

De l'endroit où naquit le premier arbre à pain, qui s'appelle depuis la vallée de la TUA-URU (lieu de l'arbre à pain), l'arbre précieux se propagea rapidement et gagne tout l'île.

Aux Marquises, aujourd'hui encore, quand naît un enfant, le père récupère le placenta
l'enterre, et plante au-dessus un arbre à pain.

Pour le mahori, l'homme appartient à la terre.



























Nouméa, le 29 décembre 1993

Bonjour,

Notre dernier courrier remonte à quelques mois, nous étions sur le quai de Bora-Bora, agitant nos mouchoirs humides au départ de nos enfants qui rentraient en France après 6 semaines de Polynésie.

Pour vaincre notre nostalgie, nous avons trouvé un excellent remède : retour à Raïatea et carénage, nous avions retenu notre place dans ce chantier, tout se passe au mieux, les ouvriers du « travel-lift » se mettent à l'eau pour passer les sangles, technique efficace que nous n'avons jamais vu employer à Deauville, nous sommes au sec au bord du lagon, sous les cocotiers, le temps clément, la vue superbe nous incitent à vous conseiller d'aller caréner à Uturoa...

Nous profitons également de notre séjour pour faire un avitaillement assez complet chez le chinois local, les prix de Bora-Bora étant par trop touristiques.

Nous attendions nos équipiers à Bora, arrivent les premiers Daniel, un fidèle d'Alibi, il fait partie de son équipage en Islande, au Portugal et sur l'Atlantique, il est aujourd'hui accompagné d'Anne une de ses amies, le lendemain Aline, notre petit « crew »du Pacifique, avec nous depuis Panama est là.

Nous filons sans tarder au lagunarium, car Daniel et surtout Anne sont pressés, et s'ils ne gardent qu'une seule image de Bora, qu'elle soit au moins originale; Nous barbotons pendant trois heures au milieu des carangues, des requins et des tortues.

Dans la foulée départ immédiat pour Tutuila aux Samoa américaines, 1100 milles à l'ouest, en effet Anne doit reprendre son avion pour Papeete, Los Angeles et Quito, elle est guide de randonnées équestres et depuis 20 ans anime «Cheval d'Aventure». Et elle doit prochainement organiser une randonnée en Equateur. J'ai l'impression d'avoir embarqué Philéas Fogg... Mais Alibi est propre, l'alizé complaisant et nous serons à Pago-Pago en une semaine, dans les temps.

Et pour une fois les conversations de carré tournent vers d'autres sujets, le cheval ne doit pas manquer d'intérêt.

A part un alignement et une bouée chlorotique, l'entrée de nuit à Tutuila se passe surtout au radar, nous mouillons par 25 mètres de fond au milieu de chalutiers japonais et coréens, dans une puissante odeur de farine de poisson, et nous avons en prime et en fond sonore le ronronnement de la centrale électrique, ce n'est pas tout à fait l'île de rêve des cartes postales.

Les American Samoa sont territoires américains, mais ceux-ci sont particulièrement discrets, leur influence se remarque surtout par l'abondance des crèmes glacées et du coca-cola, ainsi que le football américain, nous assistons à un match dès le lendemain de notre arrivée.
L'alimentation américaine et la tendance générale des Polynésiens à l'embonpoint donnent à ces populations un pourcentage d'obèses effarant.

Anne avant de prendre son avion nous laisse très gentiment ses impressions : «J'ai aimé
le quart de 5 à 8 avec Vénus devançant l'aurore et les Nuages de Magellan comme des petits fragments de Voie Lactée, Orion qui s'éteint doucement, la pêche miraculeuse (un marlin) et puis l'Océan si immense, si bleu, si vivant avec la grande respiration de la houle pacifique, le soleil, le vent, les éléments à l'état brut...»



La baie de Pago-Pago, quand on la voit en entier est magnifique, c'est un volcan dont une muraille s'est effondrée ; mais nous subissons pendant notre séjour un temps exécrable : il pleut, il pleut, il pleut.

Nous renonçons à louer une voiture pour visiter l'île, et nous nous retrouvons dans l'ambiance de la nouvelle de Somerset Maugham « Rain », en espérant que la fin de l'histoire sera moins tragique. Pour agrémenter l'ordinaire nous subissons quelques grains de 45 noeuds, les voisins chassent, nous ne bronchons pas, et remonterons plus tard un sommier métallique croché dans l'ancre.

Départ sans regret sous un crachin à rendre jaloux des générations de bretons et de normands, une heure plus tard, nous sommes sortis du trou, et retrouvons le soleil et le fidèle alizé qui nous poussera en une courte nuit à Apia, capitale des Western Samoa.

Disputées à la fin du XIXème siècle, entre l'Angleterre, les Etats-Unis et l'Allemagne, celle-ci l'emporta, pour être remplacée en 1920 par la Nouvelle Zélande, et depuis 1962 elles sont indépendantes.

Indépendance politique, mais les faibles ressources locales rendent l'aide extérieure indispensable dans beaucoup de domaines, et la Nouvelle Zélande a conservé une forte influence.

Dimanche 26 septembre 19 heures, après une heure de très beaux choeurs mormons nous recevons le journal télévisé en provenance d'Auckland et apprenons qu'une tempête de neige a décimé les troupeau de moutons de l'île Sud, que Boris Yelsin a bien des problèmes et les All Black des états d'âme.

Le bulletin proprement samoan nous apprend que le premier ministre a inauguré ce jour :

- un centre pour enfants handicapés, financé par les Eglises Méthodistes mondiales
- deux écoles reconstruites avec des fonds néo-zélandais, après le passage du cyclone Val qui les avait détruites.
- Une session de soins infirmiers intensifs, financé par les Américains.
- Il n'a été question ni de Bernard Tapie, ni de l'Olympique de Marseille !


Les populations sont accueillantes, souriantes, la pauvreté des ressources locales leur a épargné les rondeurs de leurs voisins.
Sous une pluie presque incessante nous faisons le tour de l'île, la campagne est très verte, les habitations dans la plupart des villages sont des « falé », un toit de palmes supporté par quelques poteaux, pas de murs, seules des nattes protègent de la pluie et du vent, toute la vie, parler, manger, dormir se tient au ras du sol, aux yeux de tous ; le village est en général composé d'une famille élargie où chacun tient sa place, c'est une vie communautaire bien étrangère à nos schémas de penser.

Les Eglises ont là aussi une grande influence, à Apia comme dans les villages multiples
lieux de culte, construits dans des styles variés et contestables.

La cathédrale d''Apia présente ainsi deux statues équestres, l'une de Saint-Georges et l'autre de Jeanne d'Arc, une interprétation symbolique, hâtive et superficielle pourrait y voir Jeanne boutant l'anglais hors de l'île de Saint-Georges pourfendant le dragon du colonialisme.

Dans une ancienne légende samoane, la déesse de la guerre prophétisait qu'une nouvelle
religion mettrait fin aux lois des anciens dieux, ce qui favorisa les missions dans leur oeuvre de conversion.

L'artisanat produit des tapas, étoffes d'écorce battue assez quelconques, et des objets de bois sculptés bien finis et bon marché, en particulier des bois à kawa, boisson locale peut être euphorisante, mais d'un goût douteux, autrefois, ce breuvage était obtenu par la mastication des racines d'un poivrier sauvage par les vierges du village aujourd'hui cette méthode peu ragoûtante est remplacée par une simple décoction (tout se perd !).

Le costume des hommes est le lava-lava, sorte de jupe portefeuille portée à mi-mollet, les agents de la force publique sont tout de bleu ciel revêtus (y compris le lava-lava), le chef est surmonté d'un casque de bobby londonien blanc.

La cérémonie des couleurs réunit tous les matins une cinquantaine de ces fonctionnaires, ainsi qu'une fanfare riche de bugles et d'hélicons, ce n'est pas la relève de la garde, mais les anglais sont passés par là.

Notre ami Daniel nous invite un soir au restaurant, nous sommes tous deux en short, et le maître d'hôtel nous impose, avant de passer à table d'enfiler un lava-lava. Chez Lasserre, on impose bien la cravate.

Jusqu'à Wallis, nous sommes pendant quelques heures au moteur sous le vent de l'île, mais l'alizé revient bientôt en force, et nous sommes obligés de ralentir, la passe de Wallis ne se prenant que de jour.

Du binôme Wallis et Futuna, nous ne connaîtrons que la première, le mouillage de Futuna ayant la réputation d'être inconfortable et mal protégé.

Ile du bout du monde à 3000 milles kilomètres de Tahiti, autant de Nouméa, la capitale, Mata-Hutu n'est qu'un village, les pères maristes qui commencèrent l'évangélisation en 1838 ; y importèrent le style roman auvergnat de la cathédrale, et Dupetit Thouars les protégea bien que le protectorat n'ait été effectif qu'à la fin du XIXème siècle.

Ces îles sont très catholiques et nous assisterons un dimanche à une kermesse destinée à recueillir des fonds pour envoyer de jeunes séminaristes à Suva, aux Fidji, un groupe de danseurs et danseuses en paréo et jupes de fibres font une courte exhibition, s'assoient et chantent en interpellant l'assistance qui dépose force billets soit dans les couronnes qui coiffent les danseuses, soit dans le décolleté de leur corsage.... Honni soit qui mal y pense, c'est pour les séminaristes.
Nous retrouvons ici la gentillesse des Marquisiens, les quelques habitants voisins du mouillage vivent dans des « falé » traditionnels, mais les palmes sont remplacées par de la tôle ondulée, et les nattes par du plastique, la cuisine se fait sous un appentis, les abords sont très propres malgré la surabondance de cochons, ces charmantes bestioles hantent les plages pour y déterrer des coquillages et à marée basse, c'est un vrai champ de bataille.

Nos voisins, une dizaine de familles, souvent nombreuses (8 à 10 enfants) vivent dans un relatif dénuement, ils n'ont pour vivre que leurs récoltes de tarots, d'ignames, d'arbre à pain, de bananes et bien sûr les cochons ; le coprah n'est pas exploité, mais les cochons s'en nourrissent ; ils ont le matériel, mais peu d'argent frais pour se procurer les objets manufacturés, importés de fort loin et hors de prix ; beaucoup sont aidés par des Wallisiens travaillant en Calédonie.

Mais ils nous appellent, nous offrent des légumes, ne quémandant jamais, ils sont très heureux de visiter le bateau, notre relatif confort les surprend ; parmi ces visiteurs un jeune couple, après la bière et le jus de fruit nous demande l'eau bouillante, nous descendons à terre avec eux et trouvons une pauvre petite chose prostrée sur le sol, la moitié du dos à vif, nous devons discuter longuement pour les persuader de l'emmener à l'hôpital (qui est gratuit), ce n'est pas de l'insensibilité, mais de l'ignorance.

L'école est cependant obligatoire jusqu'à 16 ans, mais dans le primaire les 150 instituteurs wallisiens, pleins de bonne volonté ne maîtrisent pas toujours suffisamment le français pour l'enseigner, et le second cycle est assez faible.

Nous rencontrons quelques enseignants métropolitains, en poste ici depuis 5 ou 6 ans, ils sont passablement désabusés, seul un jeune, nommé depuis 3 mois après quelques années en banlieue difficile, trouve les jeunes très «gentils».

Un lycée est en construction, avec un budget prévu de 100 millions de francs français (je précise, car depuis la Polynésie Française nous comptons en franc pacifique qui ne vaut que 0.055 Frs).

Si les fonctionnaires sont parfois moroses, ils ont quelques compensations, les salaires sont au coefficient 2,0' et ils bénéficient tous les deux ans d'une prime égale à 23 mois de salaire, le tout sans impôts.

Le gros problème de ces îles est l'absence quasi-totale de travail pour les jeunes, les guerres claniques autrefois étaient une occupation qui a heureusement disparue, la pêche ne les attire pas, pas davantage l'agriculture ; 8000 wallisiens restent sur l'île, mais ils sont 15000 à Nouméa.

Le lagon a des fonds de toute beauté, mais les poissons sont rares, et la pêche à la dynamite n'arrange rien.

Départ pour les Fidji, très bon vent 175 milles la première journée. Nous sommes à Suva dès 7 heures du matin et les formalités de clearance nous prennent une bonne partie de la journée. Il est dommage que le papier carbone soit encore inconnu ici, car je remplis 12 ou 15 formulaires soigneusement identiques.

Nous avons quitté la Polynésie pour la Mélanésie, les populations sont différentes, plus foncées de peau, les cheveux sont crépus et les traits négroïdes. Jusqu'au siècle dernier les multiples tribus avaient la guerre comme principale occupation, activité assortie d'un très actif cannibalisme, on cite encore un chef redouté dont le tableau de chasse se serait élevé à 862 victimes recensées et consommées.
L'Angleterre, dans les années 1870, soucieuse de mettre ces îles en valeur y développa la culture de la canne à sucre, comme les Fidjiens propriétaires de la terre avaient peu de goût pour cette activité, les compagnies sucrières firent venir des Indes de multiples colons qui proliférèrent et devinrent aussi nombreux que les autochtones. Aujourd'hui, les Indiens sont majoritaires dans le commerce et les professions libérales.

Une loi électorale sur mesure permet aux Fidjiens de conserver le pouvoir quelque soit le résultat des élections, quand par malchance les Indiens ont la majorité, comme en 87, un coup d'état
rétablit l'ordre.

Les ingrédients d'un conflit ethnique et religieux sont une fois de plus réunis, et la guerre qui s'en suivra, permettra à l'ONU d'émettre quelques résolutions bien senties...

Suva est encore un port actif et mal équipé, sans grue et sans portique, toute la manutention s'effectue avec les moyens du bord, seuls quelques « Ro-ro » accélèrent le trafic.

Port franc, la vie est ici très bon marché, ce qui nous change agréablement de la Polynésie Française, mais les occasions sont tentantes et nombreuses, ce qui confirme une fois de plus que le bon marché revient très cher. !

Les commerçants hindous pratiquent un racolage intensif, « good price, very good price for you, my friend » le marchandage est de rigueur, et l'abstention la méthode la plus économique ; les courses en taxi doivent se négocier avant le départ, et quand la règle du jeu est connue, le prix proposé peut-être divisé par dix !

Autre domaine où la méfiance est de règle : la lecture des brochures touristique, le dithyrambe y est servi à la louche, et quelques expériences nous incitent à la prudence. Ainsi nous prenons l'avion pour visiter l'ancienne capitale, nous trouvons quelques baraques en planches, décors d'un western de série B ; sans être découragés, un taxi nous conduit dans un magnifique village traditionnel... La tôle ondulée est reine et les cases sont éclairées par des panneaux solaires, et c'est très bien. Seul le vieux chef semble authentique et accepte l'hommage du kava.

L'artisanat fidjien est très riche, bols à kava, tapas, copie d'objets cultuels, mais l'article de choc, si j'ose, reste la massue, de toute forme, plus ou moins décorée, nous avons affaire à des spécialistes, même les panneaux « Welcome to Suva » à l'entrée de la ville sont supportés par des massues.

Alibi est mouillé devant le Royal Suva Yacht-club resté très, très britannique, très fonctionnel et très accueillant pour les bateaux de passage.

Malgré nos quelques mésaventures nous garderons un très bon souvenir des Fidji, que nous quittons bientôt pour le Vanuatu.

Pour les quelques rares lecteurs peu au courant de la géographie et de l'histoire récente de cette partie du Pacifique, il s'agit de l'ancien condominium franco-britannique des Nouvelles Hébrides. Pendant 75 ans, cette organisation boiteuse et bicéphale permit à chacun des résidents d'avoir comme principale occupation de lancer des peau de banane (fruit très courant ici) sous les pieds de son collègue. Le condominium était couramment connu sous le nom de «pandémonium» !

Comme dans l'administration, les rivalités anglo-françaises se retrouvaient chez les missionnaires catholiques et protestants.

Dans ces multiples îles mélanésiennes, avant le Vatu (la monnaie locale) le signe de richesse était le cochon, et surtout le cochon à dent enroulées : sur une jeune bête on supprime les canines supérieures, ce qui permet au dent inférieures de pousser sans usure, formant bien tôt un cercle, voir deux ; comme ils ne peuvent plus s'alimenter normalement, c'est le travail des femmes de les nourrir au biberon. Ces canines enroulées sont un symbole très fort, on en trouve une sur le drapeau du pays.

Nous ne resterons pas assez longtemps dans ce pays pour en voir tous les aspects, le saut du Gaul, ancêtre du saut à l'élastique ; nous n'irons pas à Tanna voir le culte du cargo et de John Frum : les habitants attendent le retour des américains qui occupèrent l'île pendant la guerre et y apportèrent la richesse, une des antiquités les plus prisées reste la bouteille de coca-cola vide datant de 42-44.

Port Vila, la capitale, port franc voit passer d'assez nombreux touristes australiens et néo-zélandais, et quelques français, le Club-Med II y fait régulièrement escale.

Les mélanésiens ont rapidement compris l'intérêt du tourisme, la visite d'une case traditionnelle, le « nakamal » coûte 200 vatus, avec un appareil photo 1000, avec une caméra 5000, et le saut du Gaul est tarifié 40000 vatus (le vatu vaut 5 centimes).

Dans ces multiples îles on parle au moins une centaine de langues, aussi un « pidgin-english », le bichelamar est-il utilisé partout ; imaginez de l'anglais sans accent tonique, prononcé à la française par exemple une nuit de fête c'est : « sing sing long nite » parler, discuter « tok tok ». Nous ne sommes pas restés assez longtemps, sans cela nous serions devenus polyglottes.

Un dimanche matin, nous allons au culte et chantons allègrement en bichelamar, nous entendons également, en anglais, le pasteur s'excuser pour son mauvais accent en bichelamar... (Il était écossais).

Nous avons rendez-vous avec François et Anne à Lifou, mais nous apprenons que l'entrée en Nouvelle-Calédonie doit s'effectuer impérativement à Nouméa ; ce qui oblige à allonger notre route de 400 milles pour satisfaire aux désidératas d'une administration que le monde entier nous envie...

Nous ne restons que 48 heures à Nouméa, le temps de récupérer nos amis, et nous repartons pour les Loyauté.

A Tadine, capitale de Maré, le gendarme m'étonne en me disant :: «vous venez voir le grand chef Naisseline, le téléphone kanak semble efficace».


Nous avons eu la chance de le connaître, ainsi que d'autre kanak venu faire leurs études en France dans les années 60-70, ils étaient à l'époque hébergés chez la mère de François et aujourd'hui encore, «Mammy Weben» reste un sésame extraordinairement efficace.

Nidoish Nasseline que nous rencontrons le lendemain nous fait visiter son district ; après des études en France, en 68 il préparait un doctorat de sociologie, il créa un mouvement indépendantiste, «les Foulards Rouges» et plus tard le « Palika » cela lui valu quelques mois de prison, mais chacun sait que les prisons de la République sont «l'antichambre du pouvoir», il prit part ensuite aux événements de 83 à 88, et signa en compagnie de Jean-Marie Djibaou les accords Matignon.

Aujourd'hui, la manne de la République est si importante qu'il nous dit de naviguer à vue.
Nous visitons avec lui une exploitation agricole de pointe, menée par un garçon intéressant et enthousiaste, un agriculteur passionné, ainsi que des jeunes qui distillent le bois de santal.

Nous commençons à percevoir le poids de la coutume, Edouard, notre agriculteur recevait chez lui pour la première fois, le grand chef, et il donna au grand frère du grand chef (François) pour faire coutume un billet de 5000 francs pacifiques. La tête de François valait le détour.

Au restaurant de l'aéroport, tenu par des femmes de l'île (meilleure gestion des affaires) nous enfreignons certainement la coutume en insistant pour que notre chauffeur s'asseye à la table du grand chef, or il semble qu'il n'avait pas le droit de partager son repas. Dur, dur.

Nidoish nous conduit ensuite à la Chefferie, située au bord de la mer dans un cadre magnifique, devant sa maison, qui double la case traditionnelle, se trouve le temple et les tombeaux de ses ancêtres. L'un d'eux, son homonyme, Nidoish Nasseline accueillit en 1842 les premiers évangélistes samoans, les natas, et fut, nous dit le Nidoish d'aujourd'hui : « le premier chrétien et le dernier anthropophage de la famille ».

Le lieu de débarquement de ces premiers missionnaires est marqué d'une stèle, et dans
une grotte qui la surplombe on peut voir les vestiges de leur pirogue, et leurs os, déposé là après leur mort.
Le bateau est mouillé au sud de Maré, dans une petite baie encombrée de patates de corail, où le « shnorkelling » est somptueux.

Nous quittons Maré pour Lifou, et nous sommes accueillis à Chépénéhé par Hagué Cibon, lui aussi, étudiant en France, a épousé la soeur de François, il est maintenant Directeur de l'Enseignement pour la province des îles, nous rencontrons Joseph, directeur artistique de R.F.O.à Nouméa, ainsi qu'Abraham, étudiant en France dans les années 60.

Nous sommes illico pris en main, et dirigés vers le sud de l'île pour être présenté au grand chef Henri Boula, aujourd'hui invalide, mais qui en son temps prit part à la guerre d'Indochine dans la Marine.

Sa résidence d'été (dans un pays où il n'y a pas d'hiver) est superbe, et nous y déjeunons fort bien, nous percevons là également tout le poids de la coutume.

Retour à Chépénéhé, nous mouillons devant Béthanie, école pastorale dirigée par Daniel le frère de Joseph, qui a fait ses études à Montpellier, et le lendemain dimanche, culte en dréhou, la langue de Lifou, l'assistance est surtout féminine, où sont les hommes de 15 à 50 ans ?

Paulette est dans la note, elle porte une robe mission qui est le quasi uniforme des femmes kanaks (autant que je sache, le modèle en a été dessiné par Worth, couturier de l'impératrice Eugénie), quelques-unes de ces femmes interpellent Paulette et lui disent : «tu portes
notre robe, tu nous as comprises, et tu nous reconnais comme femme kanak ».

Repas à Béthanie, et nous organisons l'après-midi des tournées de visite à bord du bateau pour les enfants et les parents.

Toujours pris en main nous visitons l'île, et en particulier le Grandes Cases traditionnelles ; respectant la coutume nous remettons au gardien un manu (paréo), un paquet de cigarettes et un billet de 1000 francs pacifiques. On entre dans ces cases par une porte basse (1m40, 1m50) et comme un feu y est entretenu au centre, la nappe de fumée qui s'étend juste à la hauteur de la porte nous oblige à une attitude courbée très respectueuse.

Chez Hagué et Liliane, nous dégustons un excellent bougna (il ne s''agit pas d'auvergnat rôti, mais du plat calédonien traditionnel), ignames et légumes variés arrosés de lait de coco, avec de la viande, cuits à l'étouffé, enveloppés de feuilles de bananier dans un four de pierres chaudes.

Départ pour Ouvéa qui nous assisterons à la fête du poisson, très réputé, car le lagon est exempt de « ciguattera », la gratte en Calédonie.

Chacune des Loyauté a ainsi sa spécialité : « Maré produit des jardiniers, Lifou des fonctionnaires et Ouvéa des pêcheurs ».

L'ouverture des festivités prévue pour 8 heures est retardée jusqu'à midi,, c'est l''heure kanak, nous rencontrons l'ancienne secrétaire de Jean-Marie Djibaou, elle est originaire d'Ouvéa, tribu de Gossanah, et deux de ses frères furent tués dans la grotte en 88, avec 19 autres. Elle nous fait visiter son île, y compris le monument aux morts de la grotte, où furent tués un an plus tard Djibaou et Yévénhé, nous ne sommes pas très à l'aise devant l'évocation de ces meurtres politiques.

Pendant notre séjour aux Loyautés, nous avons eu la très grande chance, étant bien introduits, de rencontrer des Kanaks chargés aujourd'hui de responsabilités, mais il est bien difficile pour un métropolitain de saisir toute la complexité de la situation, les responsables élus à l'Assemblée Territoriale doivent bien sûr des comptes à leurs électeurs, mais aussi aux chefs de tribus et aux grands chefs, ce que ces députés semblent faire avec beaucoup d'humilité, la soumission et le respect faisant partie de cette culture.

Le poids de la coutume est peut-être resté plus fort dans les îles que sur la grande terre, les européens n'ont jamais été nombreux, et les Kanak n'ont pas été spoliés de leurs terres par la colonisation.
Hagué Cibon nous dit : « nous essayons de gérer nos contradictions ».
Depuis 88 et Matignon, de gros efforts ont été accomplis, les routes sont goudronnées, les écoles poussent drues, on construit un port à Maré et à Lifou, la province sud a acheté un ferry pour désenclaver les îles...

Nous quittons Ouvéa pour Canala, sur la grande terre, François et Anne devant regagner la France ; Canala est un autre aspect de la Calédonie, derrière la barrière de récifs s'ouvre un vaste fjord, entouré de montagnes élevées, découpé en de multiples baies offrant des mouillages sûrs et déserts, c'est l'Ecosse ou la Norvège, la pluie est au rendez-vous, seule la température nous détrompe.

Le bourg de Canala situé au bord de la baie est difficilement joignable en annexe à travers une mangrove épaisse. Au siècle dernier on avait envisagé de l'appeler Napoléonville et d'en faire la capitale. Plus récemment, pendant les événements, Canala fut un centre actif des indépendantistes, Nakéty est un village proche où est enterré Eloi Machoro.

François et Anne nous quittent, Aline a changé de bord à Ouvéa, attirée par de nouvelles aventures, et nous regagnons Nouméa par petites étapes, l'alizé est fort, il est difficile de tirer des bords dans ce lagon encombré de corail, nous trouvons chaque soir des mouillages solitaires et magnifiques, la tranquillité et le dépaysement y trouvent leur compte.

Nous sommes maintenant à Nouméa jusqu'en avril, courbant le dos pendant la saison des cyclones.

A l'année prochaine.


P.S. : Entre les Samoa et Wallis, nous avons perdu une journée, elle nous manque ; si vous la retrouvez, faîtes-nous signe.




















Nouméa Bundaberg, mai 1994

Bonjour,

Nous sommes en mer, entre Nouméa et Bundaberg en Australie.

Nous nous sommes quittés voici 6 mois à notre retour des Loyauté, nous préparant à hiverner (terme impropre, puisque c'est le plein été austral).
La Nouvelle-Calédonie, au cas improbable où votre mémoire géographique aurait quelques défaillances est une île d'environ 400 kilomètres de long sur 50 de large, orientée sud-est nord-ouest
de 18000 kilomètres carrés, surface de 3 ou 4 départements français. Son relief est extrêmement accusé, une chaîne de montagnes séparant la côte Est, au vent, très bien arrosée, de la côte Ouest sous le vent, beaucoup plus sèche.

Cette île, peuplée depuis des siècles par les Mélanésiens, fut découverte et baptisée par Cook en 1774 (que n'a-t-il pas découvert), les Kanak étaient alors environ 60000, parlant une trentaine de langues différentes. Cook les trouva amicaux, agriculteurs avisés, connaissant l'irrigation des champs de tarots et d'ignames, et fort sympathiques.

Quelques années plus tard, d'Entrecastraux, à la recherche de la Pérouse trouva un peuple guerrier pratiquant le cannibalisme et les guerres tribales.

Les missionnaires européens eurent des réactions également différentes. Le père Lambert, mariste, publia en accord avec d''Entrecastraux « Moeurs et superstitions des Néo-Calédoniens » ; le pasteur Maurice Leenhardt, rejoignant l'opinion de Cook en publiant : « Gens de la Terre » et bien d'autres ouvrages où il s'attachait à étudier les côté positifs de la culture kanak.

Aujourd'hui encore, le caldoche moyen vous parlera des fins sauvages, ses voisins, et des ethnologues comme Guiard ou Deteix, directeur de l'Agence pour le Développement de la culture kanak, auront un avis diamétralement opposé.

Pour nous, le souci premier est de passer au mieux la saison des cyclones.

Noël calme, mais dès le début janvier nous suivons Rewa, une dépression tropicale, creusée sur les Salomons qui descend la mer de Corail et menace la Calédonie.

Nous sommes installés dans une marina confortable, mais nous imaginons des vents de 100 noeuds, un horrible mélange de mâts et de pontons enchevêtrés, et nous préférons nous réfugier en baie de Prony, parfait trou à cyclone, situé à 35 milles de Port Moselle, nous y sommes parfaitement abrités et nous y reviendrons plusieurs fois.

Rewa, très menaçant se désagrège en traversant la Chaîne, et remonte vers les Salomons son point de départ, et recommence son petit jeu, à la fin il dévie vers l'Australie et provoque 13 morts à Brisbane.

Nous ne sommes pas tranquilles bien longtemps, Sarah se présente à son tour, sa trajectoire plus est lui fera ravager les Loyauté, avant de se perdre en Nouvelle-Zélande.

La période de beau temps qui suit nous permet de descendre à l'Ile des Pins qui doit son nom aux multiples araucarias (« araucaria cookensis » bien sûr) qui frappèrent Cook.


Le mouillage de Kouto est superbe, nous le partageons avec le Club-Med II, grand 4 mâts de croisière qui, en toute simplicité, effectue les mêmes traversées que nous, avec un taux de remplissage de 18%, nous n'avons pas les mêmes impératifs économiques, mais nous ne sommes malheureusement pas défiscalisés.

Nous faisons le tour de l'île en voiture, retrouvant les vestiges du bagne qui hébergea une bonne partie des 4000 déportés de la Commune, de 1873 à 1880, 400 d'entre-eux sont restés ensevelis dans un cimetière fort émouvant, un kanak nous demande si nous sommes à la recherche d'un ancêtre, nous y trouvons bien un Lesage, mais sans rapport avec nous.

Dans un autre cimetière, nous trouverons un bel exemple de syncrétisme kanako-chrétien ; une tombe est surmontée d'une croix qui se termine par une flèche faîtière, symbole qui surmonte les Grand Cases.

L'hôtellerie est encore balbutiante, on trouve des gîtes plus ou moins rustiques, les cartes de crédit sont inconnues, un Méridien est en projet, mis il se heurte à l'opposition des chefs coutumiers.

Un aspect surprenant du tourisme est l'abondance des jeunes couples japonais, ils confient à un tour-opérateur spécialisé d'organiser leur mariage à Nouméa, avec Rolls (la seule de l'île) tour en catamaran et voyage de noce à l'île des Pins, ceci pour échapper aux pesanteurs de la tradition japonaise.

Certains jeunes kanaks qui supportent mal le poids de la coutume pourraient peut-être aller convoler à Tokyo.
Nous passons une quinzaine de jours à Nouméa, pour remplir les soutes, prendre le courrier et effectuer un peu d'entretien. Malgré les prix astronomiques pratiqués ici, la vie est deux fois plus chère qu'en métropole, c'est sans importance pour les fonctionnaires et les militaires aux salaires indexés, mais pour une population défavorisée, le SMIC local n'est qu'à 3600 francs.

Nous retrouvons, de retour de vacances en Nouvelle-Zélande un couple de métropolitains enseignants à l'école pastorale de Lifou, nous profitons d'une absence momentanée de cyclone pour les embarquer avec leurs quatre enfants pour Lifou.

Bonne traversée, bonne pêche, mais pour eux une désillusion de taille, pendant leurs vacances, Sarah est passée, et le toit de leur maison s'est envolé, et depuis un mois les collègues de Didier et de Catherine, et les étudiants résidents sur place n'ont rien fait, laissant meubles et livres au grand soleil, et à la grande pluie.

Pour un couple qui depuis des années s'investit totalement auprès de ces étudiants, la pilule est amère, et l'attitude de ces Kanaks, futurs responsables nous est incompréhensible.

Nous les laissons deux jours plus tard, un peu rassérénés, et retournons à Ouvéa, Paulette ayant la nostalgie des 30 kilomètres de plage.

A Mouli, nous faisons la coutume auprès du vieux-chef, inquiet de l'évolution de sa tribu, les jeunes pêcheurs semblent très touchés par l'alcoolisme et le cannabis (dans tout le Pacifique c'est le «paka-lolo»), nous en verrons plus tard quelques uns venir à bord pour mendier de l'alcool, repartir bien déçus avec une bouteille de jus de fruit....

Nous espérions monter à Beautemps-Baupré, puis à Hienghène sur la côte Est mais Théodore un nouveau cyclone ne nous en laisse pas le loisir, il descend vers les Loyauté, nous laissant juste le temps de nous réfugier en Baie de Prony où nous é talerons au mouillage des vents de 75 noeuds. Théodore se déplace très vte, l'oeil a dû passer à moins de 25 milles du mouillage. Alibi état croché par deux ancres empennelées et 60 mètres de chaîne par des fonds de 4 à 5 mètres.

Peu de temps après, tout est calme et nous sommes survolés par un hélicoptère qui s'enquiert de notre petite santé.

Ouvéa que nous avions quitté la veille est complètement dévasté, si nous y étions restés, Alibi serait en petits morceaux au milieu des cocotiers, et nous aussi sans doute.

De retour à Nouméa, nous louons un camping-car pour faire le tour de l'île, les paysages sont superbes, entre montagne et lagon.

La côte Ouest est le pays des éleveurs, dont les premiers, au XIXème siècle étaient en général anglo-saxons, arrivés ici en passant par l'Australie, le vocabulaire s'en ressent, ce sont des « stockmen », ils vivent à cheval, armés de leur « stockwhip », ils rassemblent les animaux dans le « stockyard » ou un paddock, et l'exploitation est une station. Le Far-West n'est pas loin.

Nous aurons plus tard l'occasion de visiter une de ces stations qui était à vendre, et que des amis de bateaux, désireux de s'installer en Calédonie envisageaient d'acheter : 250 hectares, 150 bovins sauvages, 4 baraques pompeusement baptisés villas, des bâtiments fort rustiques, et tracteurs, camions, voitures, bulldozer plus ou moins hors d'âge.

Le plus intéressant était le vendeur, image même de Buffalo Bill : barbichette en pointe, le chef surmonté d'un feutre crasseux, portant de magnifiques bretelles et des santiags en lézard, et circulant dans une jeep datant de l'occupation américaine ; il nous fit les honneurs de la station ; tel Ben Hur sur son char, nous étions à l'arrière de la jeep, cramponnés à la roll-bar.

La ressource de l'exploitation était la fabrication du saucisson de cerf, (dans la proportion un cheval, une alouette).

La recette qui nous a été donnée est fort simple :

- prendre la jeep et la carabine, abattre un veau
- à la nuit attendre le cerf et l'abattre
- dépouillez, videz, hachez, salez, poivrez et remplissez la peau de saucisson
- (en rouleaux de 1400 mètres) fumez, et livrez dans les grandes surfaces de Nouméa.


Nos petits amis en sont restés pantois, lui capitaine au long cours, elle architecte d'intérieur, très « bc-bg » envisageaient difficilement une telle reconversion.

Ils étaient arrivés de Métropole sur leur bateau, avec leurs deux enfants, ayant quelques relations sur place, ils eurent de nombreuses rencontres, quelques promesses et rien de plus. Envisageant de monter leur propre entreprise, ils en furent découragés par la rumeur publique : « si tu n'es pas bien en cour, tu n'as aucune chance ».



Illustration de cet état d'esprit :

La Calédonie ne buvait que de l'eau minérale importée de France, un métropolitain de passage trouva le créneau intéressant, chercha et trouva une source, monta un dossier en béton, et attendit l'accord des autorités (la province Sud, présidée par Jacques Lafleur) l'autorisation ne vint jamais, découragé, il rentra en France.

Peu de temps après le groupe Lafleur commercialisait l'eau des sources du Mont d'Or. Et depuis avril dernier, les eaux minérales d'importation sont surtaxées de 30% à l'entrée sur le territoire...

Mais revenons à notre périple automobile, nous passons par Bourail et à son musée qui présente des objets d'économie rurale peu différents de ceux en usage en France au siècle dernier ; peu de souvenirs du bagne, à part une maquette de l'île Nou et la dernière guillotine ; peu de gens semblent descendre des «chapeaux de paille» nom que portaient les transportés, mais les surveillants ont été très prolifiques...

Seuls les Kabyles arrivés en 1871 après une révolte ont fait souche à Bourail, mais il est très mauvais goût d'évoquer ces souvenirs vieux de 100 ans.

Nous continuons vers le nord par Koné et Kournac, petite villes rurales, les écoles et les bâtiments administratifs fleurissent, ainsi que les routes, l'argent des accords Matignon est bien présent.

Les routes sont excellentes, on trouve même une autoroute à quatre voies, flanquée 'une piste cyclable, pour une circulation très clairsemée ; est-ce un délire d'ingénieur des Ponts et Chaussées ?

Un peu partout, on voit les traces de l'exploitation minière, ces grandes cicatrices rouges tranchent sur le vert cru de la végétation tropicale, c'est un paysage industriel très beau, le fait est assez rare pour le souligner.

Mais tout n'est pas rose dans le nickel, la surproduction mondiale touche durement les mineurs, l'Eldorado des années 70 est bien fini, ce boom provoqua l'arrivée de 15000 européens sur le territoire, déséquilibrant davantage le rapport blancs-kanak de la Calédonie.

De retour à Nouméa, nous assistons aux premières loges à une grève des rouleurs (camionneurs indépendants transportant le minerai des mines aux bateaux) ce sont en général des caldoches de base, tous électeurs de Lafleur, ce qui ne les empêchent pas d'enfoncer les grilles d l'hôtel de la Province Su, situé en bordure de la marina. Lafleur semble débordé, Dick Ukeivé n'y peut pas grand chose, et finalement c'est Léopold Jorédié, Président de la Province Nord qui renoue les fils du dialogue. Comprenne qui pourra !

Après les broussards, « stockmen » et rouleurs, il faut parler des zoreilles, métropolitains, fonctionnaires, enseignants militaires, cadres de sociétés et retraités de la fonction publique ; les salaires indexés, le soleil, le lagon, les rendent adeptes du « Pacific way of life » ils restent à Nouméa et sont assez isolés de la population calédonienne.

Un méchant slogan prétend qu'ils sont là « pour faire du 4x4 et du 5x5 ».

Quelques-uns de nos voisins de bateau ont décidé de faire ici une halte pour regarnir la caisse du bord, les professions de santé trouvent du travail sans trop de mal, les enseignants se casent assez bien s'ils acceptent d'aller en brousse et les autres s'investissent dans des petits boulots plus ou moins dans leurs cordes.

Le petit commerce est en bonne partie tenu par des asiatiques, malais ou vietnamiens, à l'origine embauchés dans les mines ils ont fait ouche et vivent en communautés fermées. On retrouve ici les « Chinois » de Tahiti.

Le grand commerce est toujours entre les mains de quelques familles descendant des grands aventuriers du siècle dernier. Leur monopole maintien l'île dans une économie de comptoirs. Ces quelques familles ont également investi dans le nickel, ce sont les «petits mineurs»
face à la toute puissante SLN. Bien sûr, elles se livrent entre elles à une concurrence farouche qui n'est pas sans rappeler la lutte d'une demi-douzaine de crocodiles dans un marigot.

Nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer la fleur de cette société...

Et les mélanésiens ou canaques, ou kanak ?

Les 60000 qui peuplaient l'île subirent la colonisation, essentiellement pénitentiaire pendant 40 ans ; la toute puissante administration pénitentiaire et les quelques colons libres spolièrent allègrement les Kanak de leurs terres, les refoulant loin de leurs villages, vers le fond de vallées stériles ; le bétail des éleveurs détruisant les plantations de tarot et d'ignames.

Ces exactions entraînèrent des révoltes en 1878 et 1917, durement réprimées (le chef Atai meneur de la révolté de 78 fut tué et sa tête conservée dans le formol fut exposée à l'exposition internationale de Paris), les tribus les plus remuante furent déportées soit au nord, aux îles Belep, soit au sud à l'île des Pins.

Dans la mesure où les mélanésiens avaient une culture fondée sur l'enracinement à la terre, la société kanak fut complètement déstructurée, et au début du siècle ils n'étaient plus guère que 20000.
Le statut de l'indigénat, supprimé seulement en 46 leur interdisait les déplacements dans l'île, mais les soumettait au travail obligatoire et à l'impôt. Il fallut attendre 1955 pour qu'ils obtiennent les mêmes droits que les Européens.

Le principal problème reste celui des terres, au début du siècle les réserves sur lesquelles survivaient les Kanak étaient réduites à 120000 hectares la surface totale de l'île est de 1800000 hectares.

La situation s'est un peu améliorée, sans que tout soit cependant réglé.

Depuis les années 55 le territoire a bénéficié de multiples statuts, pratiquement un nouveau à chaque changement de ministre. Ces atermoiements aboutirent à une prise de conscience des mélanésiens qui déboucha sur les événements de 84-88 encore dans toutes les mémoires.

Les accords Matignon distribuent sur l'île une manne qui permet des réalisations visibles très importantes dans les domaines routiers, scolaires et médicaux.

Cependant des Européens bien implantés dans les milieux kanaks sentent toujours un malaise.

La prochaine échéance est en 95 avec les élections territoriales, mais le référendum de 98 sera essentiel.

Des amis bien informés espèrent que l'exemple de l'Afrique du Sud portera ses fruits, leur raisonnement est simple : une guerre civile avec la certitude de tout perdre, sans position de repli, ou bien composer et admettre le partage.

Mais quel partage : en 87, Jacques Lafleur achetait 30 millions la mine de Ouaco, et la revendait 100 en 90 à la Province Nord, pour permettre aux Kanaks d'investir dans le nickel...

Les mélanésiens dans leurs coutumes ancestrales ignoraient l'argent, tous les échanges, toutes ls relations reposaient sur le principe du don contre-don, et la coutume est encore très forte. Cet ensemble de règles compliquées, strictes permettait une vi communautaire, harmonieuse et équilibrée, mais il est bien difficile de l'intégrer dans notre monde actuel.

La tarte à la crème de bien des discussions aujourd'hui en Calédonie est : «Coutume et développement, coutume ou développement».

Ne comptez pas sur moi pour résoudre la question !

Il m'est arrivé dans une discussion avec un local, où j'émettais quelques réserves sur le rôle colonisateur de la France au XIXème siècle de m'entendre répondre : « mais tu es FLNKS ». Ce qui coupe court à toute conversation.

J'ai sans doute tort de prendre parti mais l'atmosphère de « Palerme sur lagon » ne m'incite pas à la bienveillance.

Nous sommes en route vers l'Australie, la terre des Poken, pour parler « bichelamar », et promis, je ne vous parlerai que des kangourous et des crocodiles, sans effleurer les Aborigènes dont le traitement, c'est bien connu, reste un exemple d'humanité.

Au cours de notre séjour à Nouméa, nous avons pris une carte à la bibliothèque Bernheim, remarquable leg d'une grande fortune du nickel.


Les mélanésiens dans leurs coutumes ancestrales ignoraient l'argent, tous les échanges, toutes les relations reposaient sur le principe du don contre-don, et la coutume est encore très forte. Cet ensemble de règles compliquées, strictes permettait une vi communautaire, harmonieuse et équilibrée, mais il est bien difficile de l'intégrer dans notre monde actuel.

La tarte à la crème de bien des discussions aujourd'hui en Calédonie est : «Coutume et développement, coutume ou développement».

Ne comptez pas sur moi pour résoudre la question !

Il m'est arrivé dans une discussion avec un local, où j'émettais quelques réserves sur le rôle colonisateur de la France au XIXème siècle de m'entendre répondre : « mais tu es FLNKS ». Ce qui coupe court à toute conversation.

J'ai sans doute tort de prendre parti mais l'atmosphère de « Palerme sur lagon » ne m'incite pas à la bienveillance.

Nous sommes en route vers l'Australie, la terre des Poken, pour parler « bichelamar », et promis, je ne vous parlerai que des kangourous et des crocodiles, sans effleurer les Aborigènes dont le traitement, c'est bien connu, reste un exemple d'humanité.

Au cours de notre séjour à Nouméa, nous avons pris une carte à la bibliothèque Bernheim, remarquable leg d'une grande fortune du nickel.

Nous avons lu un certain nombre d'ouvrages qui peuvent, si la question vous intéresse, vous apporter un éclairage sur ce Pays et ses problèmes.

-Alban Bensa :
● Nouvelle-Calédonie, un paradis dans la tourmente.

-Dousset-Leenhardt
●Colonialisme et contradictions en Nouvelle-Calédonie
●Terre natale, terre d'exil
●La grand case

-Guiard
●La terre est le sang des morts

-Isabelle Leblic
●Les Kanak face au développement, la voie étroite
-Jean-Louis Barbançon
●Le pays du non-dit
Maurice Leenhardt
●Les gens de la grande terre
●Do Kamo
-Malinowski
●Les argonautes des mers du sud
-Mariotti
●A bord de l'incertaine
-Maurice Leenhardt
●Personne et mythe en Nouvelle-Calédonie
-Antonio Raluy
●La Nouvelle-Calédonie

Et bien d'autres...

Au revoir, à bientôt, et je vous proposera le poème que voici.


TERRE DE MON PAYS

Terre de mon pays Qui me donne la vie,
Tu es nourricière... Terre tradition
Qui me fait devenir...
Mais tu es aussi Terre noire des vallées
Eau de ma source, Terre rouge des montagnes
Mer qui me baigne Terre verte des mines,
Air que je respire, Terre sable des plages
Vent qui souffle, Terre cendres de mon passé,
Faune qui s'agite, Terre de mon pays.
Flore qui embaume
Et feu qui me réchauffe... Terre nickel
Terre chrome
Terre de mon pays, Tu es charbon
Tu es espace, Tu es jade
Tu es constellation, Tu es coquillage
Tu es temps, Terre sous-sol
Tu es encore saison. Terre richesse
Terre moi.
Terre de mon pays,
Tu es ancêtre, Terre de mon pays :
Tu es jeunesse, Terre mission ;
Tu es peuple, Tu es soumission
Tu es avenir, Tu es revendication
Terre esprit, Terre violence,
Qui m'anime, Tu es souffrance,
Terre de culture Mais tu es aussi espérance.

Nouméa, 24 septembre 1988
WANIR WELEPANE















Rodriguez, le 1er octobre 1994

Bonjour,

Pour une fois, vous n'aurez pas besoin de vous précipiter avec une loupe sur votre atlas, l'Australie c'est grand, très grand, 14 fois la France, et quatre fois moins peuplée.

Elle fut découverte par les Hollandais pour la Terre d'Arnhem, et la Tasmanie et bien sûr par Cook, elle était peuplée il y a deux cents ans par environ 200000 milles aborigènes très primitifs, installés depuis 50 ou 60000 ans.

Les anglais y établirent une colonie pénitentiaire jusqu'en 1850, la relève fut bientôt prise par les chercheurs d'or du Gold Rush, ce qui a donné un fond de population assez rustique, ou pour reprendre l'expression de notre fille Françoise, «brute de décoffrage».

Nous n'avons vu qu'une petite frange de cet immense pays, de Bundaberg dans le Queensland, en passant par Townville, Cairns, Cooktown jusqu'à Darwin notre port de sortie, nous avons parcouru plus de 2000 milles et n'avons vu que le quart des côtes.

Il est certain que l'ambiance doit être moins rurale dans des grands centres comme Sydney ou Melbourne.

Comme partout, notre premier contact revient à la Douane et à l'Immigration, les fonctionnaires sont très courtois, mais très formels : «ils nous confisquent trois pommes et quelques conserves, moyennant un droit de visite de 84 $a ; il est vrai que l'importation accidentelle des lapins, des porcs, voire des chameaux les a rendus méfiant».
On nous accorde un « cruising » permit que nous devons faire viser dans tous les ports où se trouve un bureau de douane, pour les autres escales, nous sommes priés d'envoyer une carte postale pour signaler notre passage à Camberra ; les mouillages fréquentés étant généralement déserts, le problème de la boîte à lettres n'a pas été résolu. Nous avons également été survolés par des avions des douanes qui nous demandaient par radio nos coordonnées et les ports fréquentés.

Nous avons en effet, de Bundaberg au Cap York, navigué de jour, par petites étapes de 40 à 60 milles, trouvant un nouveau mouillage tous les soirs, navigation facile, bien balisée, entre la Grande Barrière de Corail et la côte, vent généralement portant, soutenu, souvent en compagnie de pêcheurs.

A Bundaberg, nous avons eu la surprise de retrouver Pierre d''Aratika, nous suivons jusqu'à présent une route commun depuis Curaçao, mais nos trajet divergeront bientôt, il rentrera par la Mer Rouge.

Si l'administration est tatillonne, les services sont impeccables, et nous carénons sous les eucalyptus, c'est une première, nous trouvons aussi du matériel depuis la Calédonie, les prix sont redevenus civilisés, c'est tout à fait frappant après les territoires français, aux tarifs himalayens de retrouver un coût de la vie extrêmement bon marché, tant pour l'alimentation que pour l'habillement.

Nous en profitons pour remplir les cales que la quarantaine a vidées.

Nos premières impressions sont mitigées, nous sommes d'abord surpris par l'accent « aussie », nous nous y mettrons avec le temps et la télévision (nombre de chaînes ont des programmes sérieux à toute heure, une autre retransmet le matin les bulletins de la BBC, de FR2, de la RAI de la Deutsch Rundfunk, de Hong-Kong, etc... Ils prennent soin de leurs immigrants, les autres chaînes sont au niveau international, faible).
Les villes sont étonnamment étendues, la moindre avenue est large comme les Champs Elysées, pour nous qui sommes piétons, la plus petite course prend des proportions marathoniennes, nous sommes en plein hiver austral, mais il fait quand même bien chaud.

Nous aurons partout cette impression d'espace et de gigantisme, sur les routes, quand nous louerons une voiture, nous croiserons ou nous serons doublés par des trains routiers : un tracteur, trois remorques articulées, 50 mètres de long, 60 roues, 120 tonnes en charge, nous en imaginons une douzaine sur le périphérique...

Le Queensland (nord-est de l'île) produit essentiellement du sucre, avec un rendement d'environ 11 tonnes à l'hectare. Malheureusement, ils ne maîtrisent absolument pas la fabrication du rhum...

Cette monoculture leur permet de montrer les plus grands hangars à sucre, les plus grands ports sucriers du monde, etc.

Ils cultivent à part le sucre, le dithyrambe sans mesure, et la moindre excursion ou curiosité se voient gratifiées de qualificatifs outrés.

Le Territoire du Nord où nous terminerons notre voyage est totalement différent, c'est le domaine du «bush», forêt claire d'eucalyptus et d'acacia où pousse en saison humide une herbe très haute, bien souvent brûlée en saison sèche, ce qui donne un paysage monotone peuplé de troncs noircis et de sèche ce qui donne un paysage monotone peuplé de troncs noircis et de termitières ; nous avons parcouru près de deux milles kilomètres dans ces paysages.

Nous nous sommes peu baignés, l'eau est beaucoup moins claire qu'en Polynésie, et a la réputation d'être mal fréquentée : nous avons une fois remonté notre ligne avec seulement le tiers avant d'un barracuda, les deux tiers manquants ayant assurés le petit déjeuner s'un requin, il y a des accidents fréquents, ainsi ils ont perdu dans les années 70 un premier ministre, personnage ayant pourtant l'habitude des eaux troubles...

Nous rencontrerons aussi des serpents de mer, deux mètres de long et une jolie tête vipérine, sans compter en bonne saison des méduses mortellement urticantes..

Et bien sûr les crocodiles d'estuaire, longs en général de 4 à 5 mètres de long, avec quelques individus dépassant 7 mètres, le record connu étant de 31 pieds (9m30), là aussi les accidents sont annuels malgré de très nombreuses mises en garde, en réalité nous n'en avons vu abondamment que dans une ferme d'élevage (7000). Ces charmantes bêtes sont aujourd'hui protégées, elles ne feront que croître et embellir.

La faune marine nous réserve bien entendu de multiples dauphins, nous en verrons un qui nous surprendra, sa tête ressemblant à un chou-fleur, et son évent était énorme, espèce inconnue
ou bête malade ?

La faune terrestre est abondante, kangourous variés, dingos (chiens sauvages), mais les ornithorynques, les koalas, vivants ours en peluche, les échidnés sont plus timides et ne se voient que dans des parcs animaliers.

Les oiseaux sont innombrables, perroquets dont certains se perchent sur les barres de flèche, les loriquets, sorte de grosses perruches quémandent de la nourriture et viennent manger des fruits dans la main. Autre volatile, les roussettes restent toute la journée pendues par les pattes dans les arbres, ne s'envolant qu'à la tombée de la nuit pour visiter les vergers, ici elles sont protégées, mais en Calédonie elles sont un met de choix.

Et nous rencontrons également des hommes...

Les fonctionnaires, leur tâche formelle remplie, proposent leurs services «si vous avez le moindre problème n'hésitez pas ...» et ce n'est pas qu'une formule de politesse, nous rencontrons
partout la même gentillesse.

Nous retrouvons à Cairns, Michel, vieille connaissance du Venezuela, retrouvé en 93 à Papeete, où son bateau avait brûlé, mauvaise langue comme toujours, j'avais prétendu qu'il n'avait trouvé que ce moyen pour se débarrasser des cafards... remis à neuf son bateau est tout pimpant, avec deux équipiers il gagne la Réunion où nous le retrouverons.

Autre rencontre surprenante, un couple, elle Robin est américaine, son mari Serge est né à Lyon de parents Italiens et est arrivé en Australie à 20 ans ; en 71, se sentant mal intégré à la société australienne, qu'il trouvait beaucoup plus accueillante pour les WASP que pour les ethnies du sud de l'Europe, il entreprit, dans les années 85 de faire un tour du monde à la voile dans un bateau en aluminium de sa fabrication de 12 pieds (3m60) de long !!! Il réussit cet exploit et gagna une place dans le livre Guiness des records, mais il se sent toujours aussi mal dans sa peau, aujourd'hui il quitte l'Australie dans un bateau de 60 pieds pour essayer de trouver un pays accueillant. Y parviendra-t-il ?

Autres voisins de mouillage : elle est française, son mari anglais, ils sont venus d'Europe voici 20 ans sur un bateau en bois, plans Clark, qui connut les beaux jours des courses du RORC dans les années 50 ; ils poussent la recherche de l'authenticité assez loin, leur annexe est en bois verni, et elle est propulsée par un « British Seagull », une vraie pièce de musée, le nom est lui-même un programme : « Right Royal ».

Eux ne semblent pas avoir d'état d'âme pour leur intégration.

Nous rencontrons un français marié à une australienne, il nous raconte une histoire qui lui est arrivée quant il était mécanicien d'entretien dans une mine de bauxite au nord du pays : le transporteur de minerai tombait régulièrement en panne pour surcharge, vérification faite tout était normal, et la panne se répétait régulièrement, les gens de la mine se sont aperçus que les aborigènes appréciaient ce moyen de transport, et provoquaient la surcharge quand ils se groupaient à plusieurs sur le transporteur...

Les australiens que nous avons rencontrés semblent se soucier assez peu des aborigènes, qui sont environ 200000, un tiers vivant dans des réserves, les arbres survivants dans les grandes villes, prolétariat sous qualifié, souvent victime de l'alcool.

Le gouvernement a un important programme d'aide, la mauvaise conscience les pousse à agir, mauvaise conscience assez justifiée si l'on considère par exemple le Territoire du Nord, de la fondation de Darwin en 1870 et 1920, la population aborigène a diminué de 95%


Ce qui ne trouble pas les australiens donneurs de conseils à la France pour ses problèmes dans le Pacifique, la paille et la poutre toujours.

Nous avons refusé de participer à un tour pour aller voir une tribu dans une réserve, nous n'avons pas l'esprit voyeur.

Ceci dit le profil néandertalien des aborigènes est bien éloigné des canons de la beauté grecque:

Visitant le parc national
Ceci dit le profil néandertalien des aborigènes est bien éloigné des canons de la beauté
grecque :

Visitant le parc national de Kakadu, nous y verrons des abris sous roche ornés de magnifiques peintures rupestres, contemporaines de celles de Lascaux ou d'Altamira.

Pour nous changer du voilier, nous louons des kayacs pour remonter les gorges de la rivière Katherin, pagayage et portage sont des activités bien fatigantes, le paysage est superbe, mais l'accès aux plages, zones de reproduction des crocodiles de rivière peu dangereux, est interdit.

Pour nos déplacements à Darwin nous louons d'abord une « mini-moke », sorte de méhari assez décoiffant, et ensuite une Chrysler dans tout l'éclat de ses 300000 kilomètres, une horloge.

Françoise et Antoine ont passé un mois avec nous, Antoine 10 ans est maintenant armé d'un boomerang lumineux dans l'obscurité, et coiffé d'un chapeau de cuir très « Crocodile-Dundee »,
il ne le quitte guère que pour aller dormir.

Toujours aussi bien organisés, nous allons chercher Yves, notre prochain équipier à 3 heures du matin, il nous accompagnera jusqu'à la Réunion, et le même jour, nous mettons Françoise et Antoine dans l'avion.

Le lendemain nous partons pour les Cocos Keeling, et nous vous raconterons la suite un peu plus tard.


A bientôt.


























Richard's Bay, le 15 novembre 1994

Bonjour,
Nous quittons Darwin le 15 août, en direction des Cocos Keeling, et nous avalons 2000 milles en deux semaines, poussés par un alizé sur mesure ; mais nous commençons à sentir la fatigue du matériel, notre pilote électrique Authohelm 7000 rend l'âme dans un gémissement de pignons broyés, ils n'ont plus de dents, et je suis en retraite. Il est dommage que ce matériel fort onéreux ne soit monté qu'avec des pignons plastiques, les pignons bronze sont en supplément, une information des clients ne serait pas mal venue;

Notre vieux 5000 après quelques sollicitations accepte de reprendre dus service. Nous l'avions acheté en 81 et il garde de cette époque un déviationnisme droitier rapidement corrigé.

Nous mettons également en service Ophélie qui était au repos depuis les Antilles, ce conservateur d'allure travaille sans défaillance, à condition de savoir lui parler.

Nous entrons à 17 heures dans le magnifique lagon des Cocos, après avoir prévenu les autorités par VHF, elles ne viendront que le lendemain à 10 heures. Pour nous, immigration et quarantaine sans problème, mais Yves nous a rejoint à Darwin avec un visa de transit valable de 3 jours, le temps de sauter de l'avion dans le bateau ; tant que Camberra n'aura pas donné un « border visa » il doit demeurer sur Alibi, s'il néglige cet impératif, le skipper responsable devra payer une amende de 10 000$ austr. Nous lui raconterons Home Island et ses ravissantes petites malaises.

Mais le lendemain, nous sommes convoqués à West Island, siège de l'administration, Yves a son visa, le policier prend son rôle très au sérieux, c'est touchant et ridicule, quand tout est en règle nous le photographions avec Yves (1m85, 100 kilos) ; le fonctionnaire le domine d'une tête
et pose sur l'épaule d'Yves, très petit garçon une main protectrice et bienveillante.

L'histoire des Cocos est assez compliquée, découvertes dans les années 1600 par Keeling, elles furent colonisées en 1830 par un écossais, John Clunie-Ross qui fit venir des travailleurs malais pour exploiter le coprah.

En 1914, elles virent la fin de l'Emden, dernier corsaire allemand.
Clunie-Ross avait mis trente ans pour être reconnu par le Couronne, en 1951, les îles passèrent sous contrôle australien, et le dernier des Clunie-Ross ls vendit 6 millions et demi de dollars, en 1984 les malais choisirent la nationalité australienne, ils ont abandonné le coprah et travaillent à West-Island où se trouve un aéroport international.

La manne australienne a permis d'aménager un « kampong » très propre et très fonctionnel, regroupé autour d'une mairie refuge à l'épreuve des cyclones et de ses trois mosquées. Nous dégustons chez Matta Hatti, restaurant de Home Island un excellent « rijtaffel », multitude de petits plats épicés.

Pour des oiseaux migrateurs de notre genre, les Cocos sont une étape obligée, plaque tournante au milieu de l'océan Indien, on y retrouve les voiliers partis pour le grand tour, qui se séparent ici, selon qu'ils remontent la Mer Rouge, ou qu'ils passent par le sud de l'Afrique.

Les communications téléphoniques ne sont pas aisées, les pièces ne passent pas, la carte permet des liaisons de 10 secondes, ce qui donne des conversations un peu hachées, en essayant le PCV, ma petite fille de 12 ans se voit demander en anglais si elle accepte la communication : heureusement le fax marche bien et nous pouvons ainsi commander un nouveau moteur pour le pilote.

La chasse et la pêche étant interdites, nous profitons des fonds merveilleux du lagon et y rencontrons des poissons énormes et peu farouches.

Après quelques jours passés aux Cocos, en route pour traverser l'Océan Indien, traversée rapide, bien ventée nous mettons deux semaines pour arriver à Rodriguez, la première des Mascareignes.

Cette petite île de 150 kilomètres carrés dépend de Maurice, 350 milles plus à l'ouest,
35 000 habitants vivent sur cette île assez déshéritée, vivant de pêche et d'agriculture. Colonisée par le français et les anglais, la population est d'origine variée : africaine, malgache, indienne, chinoise, tout ce monde semble vivre en bonne intelligence, églises, mosquées, temples tamouls se côtoient.

Le jour où en France, les fêtes musulmanes seront chômées, les français considèreront sans doute l'Islam d'un oeil plus favorable.

La langue officielle est l'anglais, tous parlent un créole assez voisin de celui des Antilles et tous comprennent et parlent le français, c'est très reposant après 4 mois d'anglais australien. Cette survivance du français aux Mascareignes et aux Seychellles est surprenante, c'était la langue des colons, nous avons perdu ces îles, depuis deux cents ans, l'anglais est la langue officielle, et l'Alliance Française ne s'est manifestée que bien tardivement.

Nous sommes accostés dès l'arrivée par un jeune retraité qui nous propose de visiter l'île en sa compagnie : « vous comprenez, j'étais dans la magistrature et je me fais un devoir d'accueillir les bateaux de passage ». Le lendemain, nous partons en bus à travers l'île, visitant le Trou d'Argent, où le grand-père de Le Clézio chercha le trésor de la Buse (nous ne l'avons pas davantage trouvé) et les très belles plages, c'était très touchant, surtout quand nous avons appris qu'il était dans la magistrature debout : il état Planton-Chef au tribunal.

Un employé du port, « tide-watcher » de son état (occupation consistant deux fois par jour à relever la hauteur d'eau, et à la transmettre en vélo au bureau de la météo) nous a emmenés chez lui, nous présentant sa jeune femme, ses parents, ses beaux-parents, tous gens très simples, qui se crurent obligés, à notre grande confusion, de nous faire des petits cadeaux, éternel don-contre-don.

Le tourisme est encore peu développé, deux hôtels confortables et quelques pensions sont très bon marché ; nous allons au restaurant et pour trois un abondant repas ne nous coûtant que 80 francs.

La plupart des fonctionnaires sont mauriciens, et peu appréciés des rodriguais qui font le complexe de la petite île.

Nous retrouvons à Port-Mathurin une vieille connaissance « Peace Maker » bateau sud-africain qui achève son tour du monde en faisant même route que nous, ils ont cassé, faute de cardan leurs étais de foc, ce qui a entraîné la chute de l'enrouleur, il ont eu la chance de ne pas perdre leur mât ; la réparation est bien sûr impossible à Rodriguez, et j'appelle Profurl en France pour commander les pièces nécessaires à la remise en état, Marie-Claude, l'épouse de notre équipier les apportera à Maurice.

Les 350 milles jusqu'à Port-Louis, capitale de l'Ile Maurice sont rapidement avalés, par un temps désagréable, grains, rafales et mer hachée.

Marie-Claude nous attend, chargée de notre pilote et de l'enrouleur de « Peacemaker » (colis de 2m20 de long et de 20 centimètres de diamètre, l'idéal en voyage avion).

Elle n'est pas la seule à nous attendre, l'immigration, la douane, les « Coast-guards » sont là, chaque administration représentée par 3 ou 4 uniformes galonnés, 10 ou 12 fonctionnaires dans le carré sont relativement encombrants.

Port-Louis est une ville de 150000 habitants, sans grand caractère ; devant le Parlement, la statue de la reine Victoria regarde celle de la Bourdonnais, intéressant raccourci de la colonisation... Un marché très coloré est proche du port, les touristes sont la cible favorite des marchands hindous qui proposent épices et broderies.

Le port et encombré par 3 à 4 douzaines de chalutiers japonais ou coréens amarrés à couple les uns des autres, ils ne laissent que peu de place aux voiliers de passage ; nous rejoignons bien vite Grand-Baie, au nord de l'île, mouillage bien abrité, mais envahi par les touristes (400000 par an) nous bénéficions des remarquables installations du Yacht-club, les 9/10ème de ses membres sont d'origine française, descendants de cadets de grandes familles, ils portent souvent de grands noms, mais ils ne se commettent pas avec les gens de passage.
Nous retrouvons comme Rodriguez la même mosaïque ethnique et linguistique, mais l'abondance du passage rend les rapports beaucoup moins chaleureux.

La principale culture est la canne à sucre, très peu mécanisée, le relief et les innombrables blocs de lave ont obligé les exploitants à regrouper toutes ces pierres en mornes pyramides noires qui bornent les champs.

A l'usage des touristes se sont ouverts de multiple ateliers de maquettes, je m'étais promis d'en acheter une, mais j'ai bien failli rester sur ma faim, nous avons visité de nombreux fabricants d'un niveau affligeant avant de trouver enfin une “Boudeuse” de bonne qualité, la caser à bord en sécurité a été un autre problème, mais à l'exemple des poupées russes, nous nous sommes orientés vers les bateaux gigognes.
Après deux semaines à Grand-Baie et quelques balades dans l'île, nous passons à Port-Louis pour les formalités de départ, quelques heures, quelques kilomètres à travers la ville, d'une administration à l'autre et la fréquentation de multiples fonctionnaires, nous permettent de partir en règle ; le chômage n'existe pas à Maurice, une demi-douzaine d'employés pour effectuer le travail d'un seul assurent le plein emploi.

24 heures de navigation nous mènent à la Réunion, Port les Galets a une entrée rébarbative et la darse de plaisance est poussiéreuse à souhait, on y trouve de nombreux voiliers de construction amateurs, en acier ou en ferrociment souvent bien tristounets.

Le port de commerce n'est guère plus commode pour les cargos, une zone franche et des investissements avaient été envisagés, mais Bolloré préfère mettre ses billes à Maurice... Les Réunionnais le vouent aux Gémonies.

Nous louons une voiture car le port est loin de tout, et la Réunion mérite une bonne visite, son relief volcanique très jeune lui donne des paysages fantastiques, nous allons tous les jours voir un cirque nouveau : Mafate, Cilaos ou Salazie, et nous montons à la Fournaise, volcan encore en activité.

C'est assurément le paradis des randonneurs ne craignant pas les dénivelés. Notre vaillante 205 souffre dans les innombrables épingles, même si le réseau routier est excellent ; ce relief a parfois des conséquences fâcheuses pour la circulation : la sortie ouest de Saint-Denis, la capitale, est une autoroute à quatre voies, dominée par une falaise, une voie est coupée dès qu'un éboulement menace, et nous avons ainsi mis deux heures pour parcourir 12 kilomètres, il est bon de se retremper dans la civilisation... Les réunionnais ont baptisé la « DDE Direction Départementale des Embouteillages ».

Tout au long des routes, on trouve de multiples oratoires voués à Saint-Expédit, saint strictement local très populaire dont nous n'avons pas trouvé l'origine précise, il semble très actif.

Ici comme dans les autres Mascareignes, nous retrouvons un mélange de races, où sans connotation péjorative on parle de cafre et de cafrine, de malbar, de créole, de métro, de zoreille, le créole est une langue savoureuse, notre équipier Yves, zoreille, nous accommodait des zourites et des ananas (les zourites sont des pieuvres).

L'atmosphère est moins détendue qu'à Maurice, mais cependant plus agréable qu'aux Antilles. Et puisque nous en sommes à faire des comparaisons profondes, disons que le rhum des Mascareignes ne vaut pas, et de loin celui de Martinique ou de Guadeloupe.

Yves notre équipier depuis Darwin, et son épouse Marie-Claude, sherpa dévoué, nous quittent aujourd'hui ; ils sont promptement remplacés par Christian, le frère de Marie-Claude, ce charmant garçon, plein de bonne volonté, souhaite connaître une traversée hauturière, nous espérons ne pas le décevoir en lui proposant Réunion-Afrique du Sud.

Le lendemain de son arrivée nous quittons le port, et Aline, notre petit « crew » du Pacifique, que nous avions retrouvé dans le giron de l'Education Nationale (les années sabbatiques ne sont pas extensibles) nous fait le plaisir de nous larguer les amarres, après nous avoir remis un viatique reconstituant de sa fabrication, à base de rhum arrangé. Merci, nous la retrouverons sans doute un jour au coin d'une marina.

1500 milles nous séparent de l'Afrique, le passage a assez mauvaise réputation, mais tout se passe bien jusqu'au sud de Madagascar (Mada pour les Réunionnais branchés) où nous essuyons un coup de vent d'est ; sous voilure réduite Alibi continue sa route sans broncher, ce fort vent est suivi de 3 jours de calme blanc, la mer ressemble à une cuve de mercure, et la pompe de refroidissement du moteur en profite pour déclarer forfait, Christian qui doit reprendre son avion à Johannesburg le dimanche suivant à quelques inquiétudes ; heureusement j'extrais de ma boîte à malice la pièce défaillante, et le vent revient de nordé, fraîchit, vire au suroît en nous retardant encore un peu, mais ce n'est heureusement pas le
« southwest buster » que nous craignions.

Nous entrons de nuit dans le port de Richard'Bay, c'est immense, nous n'avons pas la carte de détail, mais sur un appel VHF un canot de l'Air Sea Rescue nous conduit dans une marina neuve et déserte.

Nous réclamons à tout vent la visite des autorités, elles ne sont pas pressées et semblent très relaxes, contrairement aux rumeurs de radio-ponton. Remplissant les mêmes formulaires que les cargos, nous avons droit à une foule de questions saugrenues : « Combien avez-vous de clandestins à bord ? « Combien avez-vous de cercueils ? Où ont-ils été fabriqués ? » « Les rats et les souris du bord ont-ils montré des signes de peste bubonique pendant la traversée ? » « Combien avez-vous eu de naissances à bord ? » « Combien de décès ? »

Nous les décevons en répondant : « nil » à chacune de ces interrogations.






Et maintenant, en attendant nos amis Roger et Kiki, nous allons voir les girafes, les zèbres, les lions et les éléphants.


A bientôt

Je vous joins les impressions de Marie-Claude sur la Réunion et Maurice.













































25 octobre 1994


Aux yeux de voyageurs aussi avertis que Roger et Paulette, atterrir sur l'île Maurice,, si prisée des métropolitains, n'a pas déclenché chez eux un choc comparable à celui que j'ai pu ressentir en arrivant en droite ligne de Normandie, dans ce premier contact avec l'Océan Indien et l'une de ses “perles”. Mais l'île de la Réunion et son saisissant relief a apporté au duo sa note d'extraordinaire.

Les îles volcaniques, apparues lors de la scission des continents africain et indien, sont en effet assez complémentaires. Les volcans de l'île Maurice sont tout à fait éteints effondrés, et leurs traces donnent quelques dents à des reliefs plutôt doux qui finissent en lagons noyés sous des eaux aux couleurs magiques : se recueillir dans l'église au toit rouge de Cap Malheureux dont les volets sont grands ouverts sur les rivages qui l'entourent, entraîne sans effort à une sorte de béatitude...

L'île de la Réunion a été qualifiée d'île intense par des voyagistes en mal de publicité : ce terme n'est ni impropre, ni excessif ; il suffit d'observer l'expression d'à peu près n'importe quel voyageur arrivé en voiture sous un ciel bien dégagé, devant le cirque de Mafaté, par exemple, pour le vérifier : stupéfaction devant la beauté, la majesté, de ces roches effondrées, de ces terres torturées, labourées par des eaux torrentielles, habitées, cependant, comme en témoignent les petits points que l'on repère d'en haut, et dont on sait que seuls des sentiers les atteignent. Ce choc se renouvelle à chaque découverte, un des points principaux se trouvent autour du Piton de l Fournaise, dans la Plaine des Sables, par exemple, où, sans trop d'effort d'imagination on peut se croire sur un morceau de lune, qu'on arpente fièrement dans l'enclos du volcan vivant.
Et, à la Réunion, à l'inverse de Maurice, pas de plages attirantes et dorées, mais des rocs aux arêtes vives, des sables grossiers, souvent gris noir, plus évocateurs de nuées ardentes que de sirènes langoureuses ; au pied du Piton de la Fournaise on trouve d'ailleurs des traces très récentes de la vie du volcan puisque la dernière éruption en 1986, s'est achevée dans l'eau, augmentant ainsi l'île de 30 hectares au sol. Cet événement a été filmé par des spécialistes, et noua avons vu à la “Maison du volcan” leurs images fabuleuses nées du contact de la lave à 1000° avec l'eau de mer à 20.

Maurice et Réunion sont proches : 140 milles soit 24 heures de mer, mais leur train de vie respectif amènent quelques observations.

La 1ère est vraiment indépendante depuis 1968 et ne vit pas si mal, avec ses moyens. Peut-on croire que ce petit Etat manque de main d'oeuvre; mais si, mais si, on nous l'a dit et redit, ne connaît pas la ségrégation (sauf dans les vies personnelles) ; tous travaillent partout, ensemble, et, semble-t-il en bonne entente, qu’ils soient noirs, foncés, clairs, indiens, tamouls ou autres, chinois, javanais et je passe sur les musulmans, les arabes et les chrétiens.

Leurs salaires ne paraissent pas très élevés mais ils existent. Nous n'avons que peu vu de Blancs ; il y en a , cependant, mais ceux-là restent vraiment entre eux, et je ne saurais rien en dire.

La seconde île, devenue département d'Outre-mer en 1946 mène grand train : établissements publics superbes et abondants, immeubles locatifs aux formes très inventives, musées à la pointe du progrès, et passionnants d'ailleurs (sur les ressources de l'île, le volcan, la vanille), routes excellentes, très entretenues. Roger dit que c'est la danseuse de la République : eh bien, la République a du goût et du panache. De l'argent aussi, car il lui en faut beaucoup sans doute pour entretenir ses nombreux serviteurs. Pour les autres, un sigle revient souvent : RMI.; il semble que 40% de la population réunionnaise lui doive sa survie ; il semble aussi que bien des jeunes, ici comme ailleurs, souhaitèrent plutôt du travail. Mais ces problèmes qui seront peut-être graves, ne nous ont pas empêché de visiter l'île de la Réunion avec un grand plaisir, un accueil souvent très sympathique, et l'illusion très forte d'être en France : en quittant la Réunion, j'ai du mal à imaginer qu'il faudra 12 h d'avion pour revenir vraiment chez moi, alors qu'à l'île Maurice, le dépaysement et la couleur locale étaient bien au rendez-vous, malgré une langue française partout présente et une sympathie évidente pour notre pays.

Ces petites réflexions non exhaustives donneront peut-être à certains l'envie de vérifier et d'approfondir ; le bord d'Alibi est d'ailleurs enrichi de beaux ouvrages su ces sujets. Mais qui concurrencera le voyage de Roger, Paulette et Albi ?

Pour ma part, je garderai un souvenir privilégié de notre exploration commune de ces belles-îles, qu'elles soient « de France » ou « Bourbon ».


Marie-Claude







































Cape Town, le 24 février


Bonjour,

L'arrivée à Richard'Bay procure un total dépaysement, nous sommes cantonnés dans une petite marina, infime annexe d'un vaste et nouveau port créé de toute pièce dans le semi désert de Zoulouland, riche de charbon et d'aluminium.

En 1975, seuls 62 blancs habitaient cette région, ils sont aujourd'hui 15 ou 20000. L'espace ne compte pas et sans véhicule nous sommes perdus, nous renonçons bientôt à cette carence, et une petite Golf nous permet de monter vers les parcs du Zoulouland, mais nous renonçons au Parc Kruger, 1000 kilomètres de plus au nord, nous nous contenterons des parcs de Hluhluwe, d'Umfolozi et de Mkuzi, nous rencontrerons des rhinocéros par douzaine, des impalas, des buffles, des girafes, des singes;, des antilopes variées, des phacochères et un seul éléphant. Les lions, les panthères et les guépards vous ont ignorés.

C'est très impressionnant de prendre la photo de 4 rhinos broutant à 4 ou 55 mètres de la voiture, j'ai toujours pris la précaution de passer en première avant de mettre l'oeil dans le viseur, et de garder le pied sur l'embrayage, en espérant que la VW aura de meilleures accélérations qu'un rhino. Il existe deux variétés de rhino : les blancs sont pacifiques mais les noirs sont très agressifs, et comme ils sont également gris de boue, la différence est difficile, à moins de les regarder sous le nez : le banc a le museau carré, celui du noir est pointu.

D'émotion, malheureusement, mon appareil photo reste bouche bée, l'ordinateur refuse tout service, j'ai ainsi loupé quelques clichés du siècle.

La météo dans cette zone est particulièrement changeante et instable. Nous avons généralement 15 à 20 noeuds de Nordé mais le vent peut en 10 minutes sans aucun préavis souffler à 45 noeuds de Suroît ; et le courant général est orienté nord-est sud-ouest, avec une vitesse de 3 à 4 noeuds, parfois plus, je vous laisse imaginer l'état de la mer dans de telles conditions.

Nous profitons d'un calme passager pour descendre à Durban, 90 milles au moteur, déroutant.

Avant de quitter Richard's Bay, voici les formalités que j'ai remplies :
- Marina pour régler la place
- Yacht-club pour établissement d'un Flight-Plan
- Re-marina pour un cachet sur le formulaire
- Bureau de l'immigration (cachet)
- Bureau du port (cachet)
- Douane (cachet)
- Port-Control pour remise du flight-plan


3 heures 30 et 60 kilomètres en voiture..., nous sommes dans une non-ville, bassins portuaires

Notre premier contact avec l'Afrique du Sud, dont on a dit tant de choses a été déroutant, nous sommes dans une non-ville, bassins portuaires immenses, quelques centres commerciaux, une administration diluée dans la nature, l'espace ne compte pas. Les fonctionnaires souvent africains sont souriants et parlent un anglais que je comprends.


Les noirs au travail semblent avoir un rythme tropical, mais en première impression nous ne ressentons ni animosité ni rancoeur, mais le partage des ressources et du pouvoir ne dot pas être simple.

La télévision que nous recevons à bord, reflet du pays est déconcertante : séries américaines, en anglais ou en africains (c'est une langue issue du néerlandais des pierres colons) informations en zoulou ou en xhosa, d'innombrables débats, le bla-bla n'est pas sans nous rappeler quelques émissions françaises.

Mais nous sommes atterrés dans notre retraite flottante d'apprendre les multiples catastrophes de la planète, de la Serbie à l'Angola, de l'Algérie au Rwanda, en en oubliant deux douzaines.

Le fait d'être en Afrique nous sensibilise sans doute un peu plus au devenir de ce continent qui retourne au tribalisme, à l'intégrisme, et où s'instaure un racisme bien pire que l'apartheid dans ses pires moments.

Le sida pose également un problème majeur, les populations actives sont les premières frappées, et dans bien des régions, la production agricole a déjà chuté.

Nous avons eu l'occasion de dîner avec le consul de Belgique, ses 50 ans d''Afrique, tant au Congo qu'en Afrique du Sud le rendent passionnant, il voit dans ce pays, à court terme une évolution satisfaisante, mais il est beaucoup plus pessimiste à moyen et long terme. L'évolution des autres pays africains n'incite certes pas à l'euphorie.

A Durban, la marina est en plein centre ville, c'est très commode et très vivant, nous y subissons toujours un coup de vent tous les deux ou trois jours.

Nous sommes invités un dimanche à un « braï » (c'est le terme afrikaans pour barbecue, c'est ici une institution) dans une ferme sucrière, à 100 kilomètres de la ville, région magnifique, exploitation importante, le propriétaire est un anglais de notre âge. Nous avons l'occasion d'entendre une discussion passionnée sur les avantages des différentes armes de chasse au gros gibier, notre petite carabine 30;30 fait figure de lance-pierre... Nous avons l'impression que le cas échéant ces gens ne resteraient pas passifs.
Tous les jeudis un « braï » est organisé au Yacht-club pour les bateaux étrangers présents dans le port, c'est très sympathique, mais les contacts restent superficiels.

Le 25 décembre, nous sommes conviés à une “party” organisée par des américains, bien entendu la dinde est de la fête, mais ce n'est pas un sommet de la gastronomie !! Le 31 nouvelle réunion au Yacht-club, « braï » bien sûr, et à minuit sirènes et lancement de toutes les fusées de détresse périmées, c'est superbe.

Sur un autre plan, l'aspect essentiel de Noël est occulté, ici comme ailleurs par le phénomène de la consommation, les 23 et 24 décembre les magasins étaient envahis d'une redoutable cohue.

Nous assistons également à une fête hindoue, un énorme char, surmonté d'une tour de 15 mètres de haut est traîné par une centaine d'hommes pendant qu'une virulente sono vante les mérites d'Hare-Krisna, c'est plein de couleurs, les indiennes en sari sont ravissantes. Pour engager le public, à respecter les vaches, un restaurant végétarien est ouvert et les repas sont gratuits, c'est la seule et unique fois où nous verrons des indiens offrir quelque chose...

Durban est une ville de 900000 habitants qui se répartissent en 400000 indiens, hindous et musulmans, 300000 noirs de différentes ethnies, et 200000 blancs.
Nous fréquentons parfois le marché de Victoria Street ou Indian Market, on y trouve du poisson et de la viande, les amoncellements de bidoche, de tripaille, de têtes de moutons, de pattes de poulets, les odeurs puissantes et les nuages de mouches nous rendraient végétariens.

Mais c'est aussi le marché aux épices et aux

Mais c'est aussi le marché aux épices et aux curios, domaine des marchands indiens qui proposent des « souvenirs » parfois fabriqués dans le Zoulouland ou le Zaïre, mais aussi bien souvent à Formose : « Something special for you, very good price etc »

Nous profitons du « very good price », mais dans un autre domaine, nous renouvelons une garde robe bien fatiguée : l'artimon a 12 ans, et la grande voile est défoncée, nous payons chez North Sail, grand faiseur, la moitié du prix français

Peu avant la fin de la journée, un homme qui se promène sur le ponton me demande : « Connaissez-vous quelqu'un à Durban ? Non, et bien je passerai vous prendre demain, ma femme est mauricienne, elle sera contente de parler français ».
David et Jacqueline sont charmants, nous avons droit au « braï » familial, nous les recevons à bord, et ils nous font connaître la région des Milles Collines et Pietermaritzburg, sur les traces des Vortrekkers.

Nous sommes également invités par Claude et Soan que nous avions dépannés à Maurice après la rupture de leurs étais ; à l'origine fermiers, ils vendirent leurs terres et sans avoir jamais navigué ils partirent tout simplement faire le tour du monde, qu'ils viennent de terminer maintenant. Leur voilier 45 pieds en « fiberglass » est à vendre, « very good price »... Si vous êtes amateur.

Notre ami Roger, Troll pour les intimes, nous rejoint ; après Panama, les Galapagos et les Marquises, il souhaite faire avec nous Durban-Cape Town, la partie la plus difficile de notre voyage.

Le mardi 17 janvier un créneau météo semble possible, nous quittons Durban avec un léger vent du sud qui se renforce dans la soirée et dans la nuit, le courant des Aiguilles est puissant et nous marchons parfois à plus de 10 noeuds, le lendemain le vent tombe complètement à 10 heures, à midi nous avons 40 à 45 noeuds de sud-ouest et la météo nous donne un avis de coup de vent ; la position de sécurité est de rester dans la zone comprise entre la côte et les fonds de 200 mètres, limite du plateau continental, là où le courant très fort peut provoquer des vagues de 20 mètres de haut (dixit les Instructions Nautiques). Nous prenons la cape sous grand voile fortement roulée, à environ 5 milles de la côte. Malgré le vent, nous dérivons lentement vers le sud, l'allure est presque confortable et nous attendons la fin de la punition.

Nous remettons en route à l'aube et arrivons à Port-Elisabeth 36 heures plus tard.

Nous sommes accueillis sur le ponton par deux américains rencontrés à Durban, ils nous sautent au cou : « Vous êtes-là, vous n'avez pas lu le journal ? ». Ils nous le passe, et nous apprenons les faits suivants : « en même temps que nous, deux autres bateaux quittaient Durban, un français Ovni 56, Sea Toy, et un Rêve d'Antilles canadien, la Belle Lurette, ces bateaux subirent une très violente tempête, Sea Toy se réfugia à East London pendant que la Belle Lurette faisait côte et brûlait, et la conclusion était le suivante : Albi is missing ! »

La fin du rêve pour nos amis canadiens qui s'en sortent vivant, nous fait froid dans le dos !

Port Elisabeth nous a déçu, c'est une ville sans grand intérêt, éloignée du port, mais nous allons voir Ado Elephant Park, les brochures nous promettent 200 de ces petites bêtes, nous n'en aperçûmes que trois et quelques autruches, un bush très dense les dissimule complètement.




Petit saut de puce jusqu'à Knysna, station balnéaire qui tourne au fond de sa lagune le dos à l'océan ; deux jours de farniente et en route pour Cape Town, et le jour suivant nous sommes réfugiés au fond d'une baie pour étaler 40 noeuds d'ouest, notre yankee cuit par 30000 milles sous le soleil tropical a explosé.
Nous continuons pour passer le Cap des Aiguilles, le point le plus sud de l'Afrique, il fait beau pendant quelques heures, et à nouveau 40 noeud de Sud-est, mais cette fois il est portant, ce qui nous facilite bien la vie.

Et nous arrivons le vendredi 3 février à Cape Town, nous sommes installés dans la marina du RCYC, sous la montagne de la Table, le paysage est grandiose, et nous poussons un soupir force 11 ou 12, après cette étape que nous redoutions.

L'Afrique du Sud est un pays intéressant, vu de terre, mais l'opinion du bord est à peine formulable, notre litanie se résumant à trois mots : “Putain d'pays”.

Nous sommes quasiment rentrés, d'abord nous avons retrouvé l'Atlantique vivifiant (le courant de Benguela qui vient tout droit de l'Antarctique nous gratifie d'une eau à 15-16 degrés) les phoques nagent autour du bateau, et nous n'avons plus que 7500 milles de route jusqu'à Deauville.

Nous allons chercher Kiki, l'épouse de notre équipier à l'aéroport, très petit et très provincial ; Kiki a refusé le hors-d'oeuvre, Durban le Cap, elle aura cependant droit au dessert : le Kruger Park.

En attendant, nous circulons pas mal dans la région du Cap, belle et variée, nous sommes bien sûr attirés par la route des vins, en particulier Frenchhoek, le coin des français, peuplé en 1688-90 par 200 huguenots fuyant les persécutions de Louis XIV, après la révocation de l'édit de Nantes.

Ils apportèrent avec eux la culture de la vigne, créant un vignoble fort intéressant, ils avaient pour eux leur détermination et leur fécondité, et les principes rigoristes qui marquent encore leurs innombrables descendants, rapidement devenus Afrikaans, le hollandais ayant très tôt évincé le français.
Autre vignoble, celui de Groot Constencia, ancienne résidence du Gouverneur, bel exemple du style Cape Dutch, très bien restaurée et meublée.

Touristes consciencieux nous prenons le téléphérique pour monter au sommet de la montagne de la Table qui domine Cape Town et toute la péninsule.

Le port moderne est assez éloigné du centre ville, et les anciens bassins du XIXème siècle n'étaient plus guère fréquentés que par les pêcheurs, les pilotes et les remorqueurs, et les hangars étaient voués à la démolition si une entreprise n'avait remodelé l'ensemble en un centre commercial et d'animation réussi et très vivant.

Roger et Kiki nous quittent pour le Kruger, la perspective de conduire à gauche pendant plus de 3000 kilomètres ne les réjouit pas, mis les lions et les éléphants sont au bout du chemin.

Partout d'innombrables boutiques proposent des diamants à des prix paraît-il intéressants, mais pour rentrer en France des voiles neuves seront plus utiles que de petits cailloux...

En effet le foc éclaté demande un successeur que nous trouvons chez North (c'est fou comme les pays réputés bon marché finissent par revenir très cher). Brian, le directeur de la voilerie nous présente son épouse, cape coloured (c'est une ethnie qui descend des métisses issus de la cohabitation, des premiers colons hollandais et des bushmen, ces braves bataves avaient des principes, mais ils étaient aussi des hommes...), ici de tels couples sont rares, les mariages interethniques étaient interdits sous l'apartheid. Mais aujourd'hui, il est encourageant de vor deux têtes, une blonde et une noire penchées sur le même dossier. C'est cette image un peu fleur bleue que nous aimerions garder de l'Afrique du Sud.

Pendant ces quatre mois, nous avons regardé vivre ce pays après les élections d'avril qui ont amenées l'élection de Mandela, pour les noirs c'est bien sûr le grand homme qui les a libérés, mais les blancs que nous avons rencontrés partagent souvent cette opinion, ce pays est en train de vivre le « miracle » Mendela. Espérons que cette euphorie dure, car les problèmes demeurent et le partage réel du pouvoir et des richesses est loin d'être acquis. Croyons à l'Utopie.

Pendant nos trois semaines à Cape Town, nous avons subi au moins six coups de vent de sud-est, le relief sert d'entonnoir et dans le port les rafales de 50 noeuds ne sont pas rares.

Nous avons caréné samedi et dimanche dernier, Alibi n'avait jamais été aussi sale, nous avons été aidés par notre nouvel équipier, Russel, originaire du Zimbabwe, et « weather permitting », nous partons demain pour Sainte-Hélène.


Au revoir, à bientôt.



































Deauville, le 13 juin 1995


Bonjour,

La boucle est bouclée, nous voilà de retour à notre point de départ Après quatre années de navigation.

Nous avons quitté Cape Town le 25 février, poussé par un léger suet qui nous change agréablement des coups de vents que nous subissons régulièrement deux fois par semaine, ce vent tout chargé de sable empoussiérait le bateau du port à la pomme des mâts.

Nous avalons les 1700 milles jusqu'à Sainte-Hélène en 12 jours, par vents variables, en général assez légers.

Le mouillage devant Jamestown est sinistre, une erreur de navigation pourrait nous avoir conduit sur la lune, les falaises noires enserrent l'unique rue du village (Maun Street). Notre voisin est le St. Helena, petit paquebot qui est le seul lien de l'île avec le monde, c'est une des rares îles à n'avoir pas d'aéroport. Ce bateau part de Fishguard, au Pays de Galles, passe à Ascension, Sante Hélène, le Cap et retour. Le courrier du fait de cette desserte épisodique peut mettre plusieurs semaines, sinon plusieurs mois pour arriver à destination.

Le déchargement s'effectue par des allèges ou des barges, qui s'amarrent à quelques mètres du quai, le ressac ne permettant pas l'accostage, le transport de quelques containers est particulièrement acrobatique.

Les passagers ne sont pas en reste, des pendilles surplombent l'escalier battu par la houle ett facilitent la mise à terre. Nous ne mettons pas notre annexe à l'eau, nous appelons le passeur en VHF et renouvelons notre numéro de cascade plusieurs fois par jour.
On raconte que le Prince Andrew, de retour des Falkland, visitant l'île a été salué par un gouverneur maladroit qui avait glissé et s'était retrouvé flottant dans son uniforme blanc, avec ses médailles et sa casquette ; décorum dégoulinant...

Les 5000 habitants vivent essentiellement des subsides de la Couronne, ce sera sans doute une des dernières colonies anglaises à réclamer son indépendance.

La seule ressource de l'île a été pendant longtemps la culture du flax de Nouvelle Zélande, on en faisait des sacs et de la ficelle, mais les synthétiques ont supplantés cette fibre.

La population est assez claire, les noirs, les hindous, les chinois se sont allègrement métissés dans les siècles précédents, aidés par une abondante garnison. En effet 2500 militaires surveillaient Napoléon. Pour lui la détention dut être particulièrement sinistre, même s'il maintenait la fiction d'une cour, avec Grand Chambellean, Grand Maréchal, etc.

Pauvre étiquette, vestige de celle des Tuileries.

Cependant, Longwood n'est pas aussi épouvantable qu'on a bien voulu le dire, ce n'est évidemment pas la Malmaison. Autre temps, autres moeurs, s'il avait vécu 150 ans plus tard, il aurait sans doute été jugé à Nuremberg.


Nous avons pour voisins un Maracuja mené par un solitaire gascon qui parle, parle, compensant ainsi sa solitude, mais aussi un yacht anglais de 62 pieds, une pure merveille, sa table à carte ressemble au tableau de bord d'un Boeing, le skipper, propriétaire d'une entreprise de travaux publics navigue 6 mois par an, en restant par téléphone et fax en liaison avec sa secrétaire : elle sait toujours où je suis à 50 mètres près, dit-il ; mais est-il aussi bien renseigné sur les déplacements de la dite employée ?

Nous quittons Sainte-Hélène après 6 jours d'escale, pour Horta aux Açores, à 4000 milles de là. Nous trouvons dès le départ un alizé sur mesure, sous « booster » tangonné nous abattons 140 milles par 24 heures, et nous restons 5 jours sans effectuer une seule manoeuvre, voilà la dure vie des navigateurs....

Nous apercevons Ascension, plus désolée encore que Sainte-Hélène, elle ne nous tente pas, et sa population essentiellement militaire n'ajoute rien à son charme.

Jusqu'à l'Equateur que nous franchissons par 21° Ouest, nous continuons la même navigation relaxante.

Le Pot au noir est passé au moteur, son cortège d'énormes cumulo-nimbus et de pluies diluviennes n'est pas engageant, nous sommes entourés de grains terrifiants qui n'apportent que quelques brises évanescentes, pendant 3 jours nous bénissons la voile Perkins, mais nous retrouvons bientôt l'alizé du Nord-est qui nous conduira jusqu'aux Açores, après 30 jours de mer.

Nous retrouvons à Horta un suédois qui sans moteur a mis 51 jours depuis Sainte-Hélène.
Par 8° Nord, nous avons retrouvé la Polaire, il n'y a guère que les poètes qui la voient dès l'équateur franchit.

Mais il faut être particulièrement vertueux, après avoir passé la Ligne pour remonter vers Horta tout l'alizé au près, alors qu'il suffirait de laisser porter un peu pour arriver aux Caraïbes qui sont alors beaucoup plus proches que les Açores.

Nous retrouvons Horta que nous avions connu en 84 et 88, l'île n'est pas encore défigurée par le tourisme, elle est toujours aussi proprette, malheureusement il est trop tôt en saison, et les haies d'hortensias qui bordent les champs ne sont pas encore en fleurs.

Les açoréens sont toujours souriants et complaisants, cependant notre équipier zimbabwéen est un peu déçu par la silhouette des jeunes filles, ses conclusions sont lapidaires « short legs, big shoes », ce qui résume assez bien la grâce et le charme des pataugas.

La marina est commode, et après 30 jours de mer nous avons la faiblesse d'apprécier les douches.

Le Café Sport, et Peter Azeivedo sont immuables, et restent le rendez-vous de tous les navigateurs, Peter a vieilli, mais il est toujours présent, contemplant ses clients et ses fils qui prennent la relève. Il a enfin ouvert son musée des « scrimshaws », étonnante collection de dents de cachalots gravées et d'objets décoratifs ou utilitaires réalisés en os de baleine.

Quelques açoréens perpétuent la tradition, mais la chasse étant fermée depuis 10 ans la matière première devient rare, et les plongeurs remontent maintenant les mâchoires autrefois rejetées à la mer après le dépeçage.

François, équipier de Panama et de Calédonie nous rejoint pour la dernière étape, avant de quitter l'île nous en faisons le tour par très mauvais temps, la caldeira est invisible au Capelinho
presqu'île formée en 57-58 par une éruption, la végétation reprend ses droits, le vent souffle en tempête et l'endroit est parfaitement lugubre.

Russel, pendant ce temps-là a voulu monter au Pico (2310 mètres), il n'a rien vu, s'est fait une belle peur, il a perdu son duvet, il est crotté, mouillé, dégoutté à tout jamais de la montagne.
En cette fin avril la marina est très animée 3 ou 4 bateaux arrivent chaque jour des Antilles, la plupart font du charter en hiver aux Caraïbes et regagnent la Méditerranée pour l'été ; nous rencontrons également deux voiliers de Port-Deauville qui cet hiver ont tâté des Antilles.

Beaucoup de retours en fin de défiscalisation, ces bateaux achetés par des allemands, des italiens et des scandinaves sont souvent à bot de souffle, voiles déchirées, accastillage hors d'usage après 5 ans sans entretien.

Quelques « dream boats » passent aussi à Horta, ces monstres de 100, 120 ou 150 pieds sont magnifiques, ce sont des fantaisies de milliardaires ou le résultat d'investissements utopiques, superbement équipés, hyperfonctionnels ; ils sont très souvent immatriculés à Guernesey, paradis fiscal à notre porte.

Mais beaucoup des bateaux qui reviennent des Antilles ne sont que des modèles commandés dans l'euphorie d'un salon nautique, les aménagements sont parfait pour vivre en marina, mais parfaitement inconfortables à la mer, on trouve par exemple de magnifiques lts de milieu qui en mer obligent les occupants à dormir dans la ruelle, et tout à l'avenant...

Notre dernière étape, Horta-Falmouth est décevante, peu ou pas de vent, nous utilisons beaucoup trop le moteur et quand le vent arrive, il est bien entendu nord-est, plutôt que tirer des bords inconfortables nous prenons la cape pendant une journée ; malgré 45 noeuds l'allure est reposante et sécurisante, malheureusement nous ne faisons pas de route, bien au contraire.

Tout à une fin, le vent redevient maniable et nous traversons la Grande Sole et y retrouvons les chalutiers..., et le froid « Brrrr » après quatre années sous les tropiques le retour est glacial, nous ressortons toutes nos petites laines et envisageons de faire demi-tour.

Comme les grands clippers du siècle dernier, nous entrons à Falmouth, « Falmouth for orders », cette région de la Cornouaille et du Devon est paraît-il la Côte d'Azur Anglaise, d'innombrables retraités tentent d'y réchauffer leurs vieux os, les nôtres cliquettent dans la bise glaciale.

Et puis voici les derniers milles, la traversée des rails, Saint-Vaast et ses huîtres, les retrouvailles avec les amis, la chaleur de l'accueil, et l'arrivée à Deauville au beau milieu de la remise des prix de Cowes- Deauville.

Merci à tous les amis présents sur le quai : « vous n'avez pas de voiture, nous vous prêtons une pour quelques jours » ; « votre maison n'est pas prête, venez chez nous le temps que vous voudrez »...

Et la famille que nous n'avions pas vue depuis la Polynésie ou l'Australie, les enfants ont grandi, et nous avons quelques larmes à l'oeil.

Et quand repartons-nous ?

A bientôt !





Las Palmas, Gran Canaria, le 10 septembre 1996

Bonjour,

4 juillet 96

Et c'est reparti pour un tour ?

« Si Dieu le veut, nous vivrons, et nous ferons ceci ou cela ». Epître de Jacques Ch.4 v.15

Touchants adieux de nos fidèles amis de Pont-Audemer, venus agiter les mouchoirs au bout de la jetée. Ils prennent la suite de nos enfants qui nous ont confié notre petit-fils Louis pour quelques semaines.

Depuis notre retour l'année dernière, nous avons aménagé un appartement (pour nos vieux jours), nous avons visité les amis et la famille aux quatre coins de l'hexagone, nous avons pris dix kilos, et nous nous sommes un peu ennuyés dans l'ambiance morose et « cloche-merlesque » générale.

Entre temps, nous avons apporté quelques améliorations à Alibi : des panneaux solaires pour résoudre les problèmes d'énergie au mouillage, un “winch” électrique et à la demande des enfants, un Standard C qui nous permettra de recevoir et d'envoyer des fax.

Notre première étape doit être pour la tradition et les huîtres Saint-Vaast, mais les ennuis commencent très tôt : le palier interne de l'arbre chauffe et couine, nous prenons la première à gauche, vers Ouistreham où j'arriverai à déboucher les canaux obstrués.

Nous courbons le dos, attendant la suite de la loi Deniau : au début les emmerdements s'additionnent, ensuite ils se multiplient...

Bien entendu le vent d'ouest est de rigueur pour se démancher, c'est un grand classique, et nous tirons des bords.

L'équipage n'a pas encore trouvé ses marques, effet de l'âge ou influence débilitante d'une année passée à terre, dans chaque port nous essayons, généralement avec succès d'améliorer notre prestration cafouillante, le bouquet de ce festival est atteint à Carmaret où nous devons nous reprendre à 8 fois pour prendre une bouée avec une gaffe automatique, mettant en même temps l'ancre pendante et la gaffe à l'eau.

Devant un tel festival de maladresse et d'incompétence, je pense sérieusement à faire demi-tour et à poser sac à terre... Toute réflexion faite j'en viens à penser qu'en navigation hauturière on attrape plus souvent les astres avec un sextant que les bouées avec une gaffe. Peut-être faut-il également considérer le cafouillage comme l'un des beaux-arts ?

Avant Camaret, nous sommes passés à Saint-Vaast, Cherbourg, Aurigny, Guernesey, toujours au près, avec en prime à Saint-Pierre un brouillard dense.

Un semblant de portant nous pousse vers l'Aber Wrach, et le courant favorable nous déhale jusqu'à Camaret (voir plus haut).

Nous avons cependant une formidable compensation : le rassemblement à Brest des vieux gréements, spectacle magnifique de ces voiliers à 2, 3, 4 mâts évoluant sous voile dans le goulet ou devant les Tas de Pois.

Deux jours de spectacle nous comblent, et nous décidons de continuer sur la Corogne ; si la Manche nous a gratifié de ses vents d'ouest, le Golfe de Gascogne, à la si fâcheuse réputation se montre particulièrement clément : deux jours de moteur et douze heures de voile à l'arrivée, avec un très tonique nordé force 6 ou 7. Notre petit fils, 11 ans est plein de bonne volonté, mais c'est un matelot léger : quand il tire sur une drisse c'est plutôt lui que la voile monte.

Depuis notre dernier passage en 91 la Corogne a gagné une superbe promenade en bord de mer, mais nous retrouvons ses marchés, ses petites rues, ses bistrots à tapas et à jambon. Nous aimons toujours autant cette ville.

Cette année, nous n'allons pas à Compostelle, et nous avons tort, des voisins de ponton y furent pour la Saint Jacques, et le spectacle était haut en couleurs.

Nous poursuivons notre route vers Camarinas avec un nordé musclé, ici rien n'a beaucoup changé depuis notre première virée en 67, et nous ne regrettons pas l'absence de Gardes Civils et de leurs chapeaux à faire la sieste.

Nous descendons par petites étapes vers le Portugal à travers les rias de Galice, Muros, petit port de pêche, les Iles Cies un dimanche sont le rendez-vous de tout ce qui flotte à 20 milles à la ronde. Il faut un courage certain pour mouiller plus qu'un orteil dans une eau à 16-17 degrés, Brrr...

Nous ne sommes pas très en avance et nous comptons sur l'alizé portugais qui, d'après les meilleurs auteurs souffle sans défaillance sur cette côte.

Or, il est complètement absent cette année, et nous effectuerons ou peu s'en faut la traversée Bayonna-Lisbonne au moteur ; moteur qui me donne quelques inquiétudes, le coude mélangeur qui nous avait déjà abandonné en 91 au départ des Canaries se perce à nouveau, heureusement Sintofer qui veille sur la mécanique me permet d'attendre pour le changer plus tard.

Nous nous arrêtons à Leixoes, avant-port commercial de Porto, nous ne pouvons plus remonter le Douro, mais nous trouverons bien l'occasion d'acheter un peu de Porto.

La lagune d'Aveiro est plus accueillante qu'il y a 5 ans mais ne présente que le maigre intérêt d'une halte après 40 milles de moteur.

Figueira da Foz possède maintenant une marina bien organisée, mais la corrida portugaise n'est pas au programme cette année.

Peniche, capitale de la pêche sardinière attire de nombreux touristes, on y parle peut-être plus français que portugais. Le ramandage des filets permet des photos d'anthologie.
Nous avons commencé très tôt cette année les rencontres intéressantes ou surprenantes : à Camarinas, nous sommes mouillés à peu de distance d'un voilier, son skipper me demande : « N'étiez-vous pas à Tahiti en 93 ? »

Effectivement, nous nous sommes croisés à bord d'un bateau ami, ce bateau aujourd'hui en Méditerranée se prépare à repartir pour les Bahamas avec son skipper de 75 ans, l'avenir nous appartient !!

A Leixoes, à 8 heures du soir : Alibi, Alibi, surprise totale, nous interpellent des amis que nous avions bien connus en Calédonie et que nous avions quittés en mai 94. Sur Alibi et Toani c'est la fête, avec François et Elisabeth. Retrouvailles émues, ballet des souvenirs, les Kanak, les Caldoches etc.
Le monde est bien petit, il est vrai que certains points de passage sont quasi obligatoires.

Parmi les multiples plaisirs du bord : l'allemand ! En nous confiant leur cher trésor, nos enfants nous ont donné la consigne de faire faire de l'allemand à Louis, en fin de 6ème il semblait particulièrement réfractaire à cette discipline; Bonne occasion pour moi dont les talents de germaniste sont bien connus, de pratiquer quelques révisions.

Louis montre une mauvaise volonté particulièrement remarquable. Il copie au moins 5 à 600 foi cette règle sans exceptions ; “les substantifs allemands commencent toujours par une majuscule”., malheureusement, je ne suis pas certain que cet impératif, pas plus que quelques autres, ait atteint ses petites cellules grises. Toutefois après 5 semaines, il semble aborder cette langue plus sereinement : « Arbeit macht frei ? »

A Lisbonne, nous retrouvons la petite marina de Terreiro do Trigo, au pied d'Alfarna où nous avions passé une semaine il y a 5 ans.

Avec notre équipage de 12 ans nous visitons le remarquable musée de la Marine, les Hiéronymites, la Tour de Belém, un peu de vernis culturel et historique n'est pas nuisible.

Après six semaines à bord notre mousse nous quitte pour de nouvelles aventures. Merci à lui pour sa gentillesse, et merci à ses parents qui n'ont pas craint de nous le confier sur les mers.

Changement d'équipage, notre fille Françoise et son fils Antoine nous arrivent à Lisbonne un peu fripés par une nuit de train, remis de leurs fatigues, ils ont droit au Musée de la Marine, à la Tour de Belém, aux Hiéronymites (pour Antoine Geronimo) et au si riche musée Gulbenkian.

Et départ pour Madère, une fois de plus l'alizé portugais est défaillant, et nous faisons trop de moteur, nous nous accordons un arrêt à Porto Santos, petite île sympathique ; proche d Madère elle offre les plages qui manquent à la grande île.

Après deux jours de farniente, une bonne journée de voile nous conduit à Funchal, le mouillage est hyper rouleur, la marina que nous avions inaugurée en 84 est saturée, mais nous parvenons à trouver une place « suppositoresque » à l'intérieur.

Après 12 ans, nous retrouvons Madère peu changée par l'afflux touristique, al majorité des visiteurs reste cantonnée au sud-ouest de Funchal.

Le traditionnel tour de l'île nous permet de retrouver les 3 zones de végétation étagées selon l'altitude : les bananes, les vignes et la forêt.

Au fil des années, 47, 57, 84, 88, 91, 96 nous avons vu se transformer le Portugal, l'amélioration de l'habitat et des infrastructures, mais les salaires restent bas et le chômage important. Et sans doute séquelle du salazarisme, l'analphabétisme reste important chez les gens âgés. Au marché, je commande plusieurs articles à une vieille femme (elle doit avoir mon âge), elle appelle sa petite fille pour faire l'addition.

Françoise et Antoine nous quittent trop tôt, nous les embarquons dans un taxi pour trente heures de voyage. Nous les regrettons, quelques semaines supplémentaires auraient permis à Antoine de devenir un mousse efficace et moins craintif, à perfectionner à Panama.

Un tire-bouchon est quasi nécessaire pour nous extirper de notre place, quelques habiles manoeuvres nous permettent une sortie sans mal, ouf.
En route pour Las Palmas, Gran Canaria ; pour la première fois depuis notre départ un alizé musclé nous mène tambour battant jusqu'au ponton. 300 milles en 45 heures, Alibi retrouve sa foulée, nous saluons au passage les Salvagem, îlots déserts fort dangereux pour la navigation, ils n'ont vraiment rien d'attirant. Depuis 5 ans, le béton a continué à croître, dans le sud l'invasion germano scandinave continue entre Mas Palomas (beaucoup de pigeons) et Puerto Rico on trouve plus de 100000 lits.

Le tourisme de masse est parfois effrayant, mais les « bidochons » teutons (et autres) ne sont pas dépaysés, dans les tavernes la bière coule presque autant qu'à l' »October Fest » à Munich.

Nous retrouvons sur le Ponton Fabienne et René d'Asuka, que nous avions rencontrés à Liège chez nos petits équipiers des premiers jours, Philippe et Isabelle, René et Fabienne revenaient d'un tour du monde, et ils semblent bien lancés pour le second.

Nous rencontrons aussi Claude et Andrée, de Blue Raft, un catamaran de Prout, partis il y a six ans ; ils avaient fait demi-tour pour des raisons familiales. Leur itinéraire est peu commun, travaillant tous les deux au centre de Kourou en Guyane, ils en démissionnent, prennent une concession sur une rivièr de l'arrière pays, et lavent du sable pendant quelques années.

Ce n'est ni Jack London ni Chaplin, mais le Gold Rush doit encore payer pour quelques aventuriers tranquilles, conscients et organisés.

Nous sommes ici pour deux mois, comme la moule sur son rocher, nous sortirons le bateau dans quelques semaines pour le caréner avant le début novembre.


A bientôt


























Colon, le 31 décembre 1996

Bonjour, voici quelques nouvelles d'Alibi.


Nous sommes restés deux mois à Las Palmas, et nous avons vu de jour en jour les voiliers arriver et prendre leurs marques avant de traverser l'Atlantique.

Les pontons (pantalons en espagnol) sont à l'image du monde, on rencontre des équipages français, anglais, allemands, finnois, canadiens, suédois, norvégiens, espagnols, belges, suisses, américains, australiens, néo-zélandais, ukrainiens, et sans doute quelques autres que j'ai oublié;

La variété des bateaux n'est pas moins grande que celle des nationalités, on trouve des unités splendides généralement mouillées devant Sénéquier à Saint-Tropez, mais ceux-ci ont largué leurs amarres et naviguent vraiment.

A contrario quelques baba-cools retraités de mai 68 naviguent sur des engins bizarres qui m'inquiéteraient pour traverser la Seine.

La moyenne des bateaux semble en général de bonne qualité de fabrication et d'équipement, mais là aussi quelques éléments folkloriques : voiles de jonque à double plis, régulateurs d'allure dignes du concours Lépine.

Nous nous retrouvons bord à bord avec Ratafia, notre voisin de 15 ans à Deauville ; nous sortons Alibi pour le repeindre, le lendemain Ratafia le rejoint.

Ses propriétaires, Marc et Jeanne, jeunes retraités de l'Education Nationale sont pleins d'allant, ils ont de l'énergie à revendre ; depuis 17 ans ils entretiennent leur enfant avec un soin méticuleux ; aujourd'hui ils entreprennent de gratter leur carène impeccable pour rechercher et traiter une improbable osmose.

Pendant 15 jours, nous les vîmes gratter, gratter, gratter, poncer, poncer, poncer, poncer, peindre, peindre, peindre, polir, polir, polir...

Opérations inutiles à nos yeux, épuisantes et onéreuses, qu'ils justifient par la découverte de 3 microbulles.
Galériens pour l'art.

Sortis du chantier, nous nous retrouvons de nouveau à couple, promiscuité dangereuse, quand un ferry sort trop vite du port, sa vague d'étrave fait rouler
Colon, le 31 décembre 1996

Bonjour, voici quelques nouvelles d'Alibi.


Nous sommes restés deux mois à Las Palmas, et nous avons vu de jour en jour les voiliers arriver et prendre leurs marques avant de traverser l'Atlantique.

Les pontons (pantalons en espagnol) sont à l'image du monde, on rencontre des équipages français, anglais, allemands, finnois, canadiens, suédois, norvégiens, espagnols, belges, suisses, américains, australiens, néo-zélandais, ukrainiens, et sans doute quelques autres que j'ai oublié;

La variété des bateaux n'est pas moins grande que celle des nationalités, on trouve des unités splendides généralement mouillées devant Sénéquier à Saint-Tropez, mais ceux-ci ont largué leurs amarres et naviguent vraiment.

A contrario quelques baba-cools retraités de mai 68 naviguent sur des engins bizarres qui m'inquiéteraient pour traverser la Seine.

La moyenne des bateaux semble en général de bonne qualité de fabrication et d'équipement, mais là aussi quelques éléments folkloriques : voiles de jonque à double plis, régulateurs d'allure dignes du concours Lépine.

Nous nous retrouvons bord à bord avec Ratafia, notre voisin de 15 ans à Deauville ; nous sortons Alibi pour le repeindre, le lendemain Ratafia le rejoint.

Ses propriétaires, Marc et Jeanne, jeunes retraités de l'Education Nationale sont pleins d'allant, ils ont de l'énergie à revendre ; depuis 17 ans ils entretiennent leur enfant avec un soin méticuleux ; aujourd'hui ils entreprennent de gratter leur carène impeccable pour rechercher et traiter une improbable osmose.

Pendant 15 jours, nous les vîmes gratter, gratter, gratter, poncer, poncer, poncer, poncer, peindre, peindre, peindre, polir, polir, polir...

Opérations inutiles à nos yeux, épuisantes et onéreuses, qu'ils justifient par la découverte de 3 microbulles.
Galériens pour l'art.

Sortis du chantier, nous nous retrouvons de nouveau à couple, promiscuité dangereuse, quand un ferry sort trop vite du port, sa vague d'étrave fait rouler tous les bateaux du ponton, et dans un grand « abrazo » à l'espagnole, nos mâts se croisent vigoureusement, Ratafia perd sa girouette et Alibi son antenne radio.

Nous croisons quelques équipages sympathiques : un couple de suisses qui étrennent un « Passoa » tout aussi neuf qu'eux, réflexion entendue à leur bord : « l'antidérapant était mouillé à l'eau de mer, il a fallu passer la serpillère » (à lire avec l'accent de Neuchâtel). Nous essayons de leur donner la main dans leurs timides manoeuvres.




Deux jeunes français sur un bateau en acier particulièrement laid, en compagnie de leurs deux chats, fabriquent, peignent et vendent des yoyos pour ne pas vider trop vite la caisse du bord.

Autre rencontre : deux confrères, orthodontistes à Grenoble, ils ont un magnifique Garcia de 15 mètres et naviguent quelques mois par an, en attendant mieux, nous nous trouvons pas mal d'atomes crochus en commun et nous resterons en correspondance.

De jour en jour, les pontons se remplissent, le trop plein sera atteint en novembre pour le départ de l'ARC, la transat anglaise qui envoie tous les ans 150 bateaux de Las Palmas à Sainte Lucie, le capitaine de port se demande bien où les caser.

Les documents nautiques sont également une bonne entrée en matière pour nouer des contacts : « aurais-tu des cartes de Panama, des Marquises, de Tahiti, de Calédonie ou d'autres lieux, comme Alibi est assez bien pourvu nous sommes très sollicités ».

Il est vrai que la copie coûte 10 fois moins cher que l'original...
Et le copyright dans tout ça ?

Les Espagnols qui rentabilisent ainsi leurs photocopieurs n'ont pas l'hypocrisie des australiens qui ornent les copies d'un cachet indiquant que ces cartes ne doivent pas être utilisées pour la navigation !

Autre catégorie de plaisanciers : les heureux propriétaires d'un Super Maramu de 16 mètres, flambant neuf, qui ne se commettent pas avec le petit peuple, à terre ils ne saluaient sans doute pas leurs voisins de palier.

Ils sont plus snob que les membres du Royal Yacht Squadron, à Cowes.

Personnalité plus attachante du ponton, un belge qui ne tient pas en place et trouve toujours quelque chose à faire, à réparer ou souder.

En septembre, la majorité venait plutôt d'Europe du Nord, mais en octobre, nous voyons une arrivée massive de Français en année sabbatique : un couple, deux ou trois enfants, un chat, un chien etc... Entre l'entretien du bateau, la navigation, les cours par correspondance des enfants, le diable que l'on tire par la queue... Nous nous demandons si métro, boulot, dodo, n'est pas une option plus reposante....

Nous ne nous imaginons pas, trente ans plus tôt nous lancer dans une telle galère. Nous vieillissons.

Autre rencontre insolite : un couple qui a passé trois an à Port-Deauville pour terminer un « Spountz » qui leur a demandé 10 ans de travail ; ce bateau, copie des goélettes de travail américaines du siècle dernier est un festival d'archaïsmes : bout dehors, gréement aurique, pas de « winch », pas de guindeau, pas de pilote électrique, pas de régulateur d'allure... Pour en tirer le meilleur, un équipage de 5 à 6 gros bras serait souhaitable, et ils ne sont que deux. Quelle énergie dépensée sur un coup de coeur. En maquette sur une cheminée, il est sûrement très décoratif, mais pour la plaisance actuelle, c'est une hérésie. Ils semblent être encore heureux.

Plus tristement distrayante une tartarine clame à tout vent ses exploits nautiques, notre indifférence polie, sinon railleuse ne nous rend pas camarade. C'est dommage, son mari est un charmant garçon, m'empruntant un jour une clé dynamométrique pour régler son moteur, elle l'interrompt en disant : “nous ne nous servons jamais du moteur”.

Et nos équipiers arrivent, tout d'abord Béatrice, fille d'amis d'amis, 29 ans, infirmière très sympathique, pleine d'enthousiasme, restera avec nous jusqu'à Panama ; et Yann, avocat d''affaire à Rouen, 33 ans, en congé sabbatique indéterminé, restera à bord jusqu'à Auckland.

Nous quittons Las Palmas le 3 novembre, quelques heures de moteur pour nous dégager de l'île, et nous goûtons pendant trois semaines les joies du vent arrière, avec un roulis permanent, quand nous le pouvons nous établissons le « booster », ce génois double qui stabilise bien le bateau, quand nous le gardons la nuit, nous pouvons être sûr que le vent va fraîchir vers trois heures du matin et nous obliger à manoeuvrer.

La pêche est bonne, coryphène après coryphène, dont une d'un mètre 30, un « wahoo » vient heureusement changer nos habitudes.

Nous nous refroidissons par quelques bains tractés, mais à 7 noeuds, il vaut mieux prévoir un maillot de bain à bretelles.

Nous pensions d'abord atterrir sur Bequia, mais un léger ennui de moteur nous détourne sur la Martinique. Nous arrivons au Marin le 24 après 3 semaines de mer. Nous n'étions pas venus aux Antilles depuis 5 ans, le Marin est devenu une des grandes bases de location de bateaux de la Caraïbe française.

C'est impressionnant de voir des centaines de voiliers, entre 35 et 50 pieds, monocoques ou catamarans, qui attendent le client, rangés comme à la parade.

N'imaginons pas les conséquences d'un cyclone sur un tel rassemblement.

Nous sommes au tout début de saison et le personnel des sociétés de location brique et rebrique allègrement.

Après deux jours nous quittons rapidement la Martinique pour Bequia, bonne traversée de nuit, sans vent bien sûr sous Sainte-Lucie et Saint-Vincent, Admiraty Bay est toujours aussi jolie, Béa et Yann sont fanas de plongée et ils trouvent ici de quoi se satisfaire.

Aux Tobago Cays, les traditionnels comités d'accueil sont plus discrets qu'autrefois, mais leurs langoustes sont toujours excellentes.

Pas de déception à Union, où l'Anchorage est égal à lui-même.

Et départ d'Union pour Curaçao, nous ne sommes pas restés une semaine aux Antilles, c'est bien court, mais nous y avions passé près d'un an au cours de séjours précédents.

Brève escale aux Antilles néerlandaises, nous avons besoin de visas pour rentrer à Panama.

Le consul nous met en garde contre la piraterie colombienne, et nous invite à faire un large détour pour éviter ces zones de mauvaise réputation, plus tard nous rencontrerons des français ou des américains qui n'ont eu aucun problème pour aller à Carthagène, la plus belle ville espagnole d'Amérique du Sud.

Nous passons à 100 milles de la Colombie, et ne rencontrons que des cargos allant à Panama ou en revenant.

L'alizé commence à souffler fort, nous avons une nuit à 40-45 noeuds de vent, avec des creux de 4 à 5 mètres ; sans voilure réduite nous sommes parfaitement à l'aise, et nous déclinons l'offre d'assistance d'un hélicoptère de l'US Navy, c'est bien aimable à lui, puis viennent des questions plus précises : d'où venez-vous ? où allez-vous, où êtes-vous enregistrés ?, quel est votre numéro de francisation ?, etc. La surveillance est effective et normale, nous en profitons pour leur demander la météo sur les San Blas où nous devons atterrir.

Nous retrouvons avec plaisir les Indiens Kuna dont je vous avais entretenu lors de notre passage en 92, ils n'ont pas changé et nous resterons cette année plus longtemps chez ces gens attachants.

Ils sont toujours démunis et nous rencontrons un médecin,, indien d'une autre ethnie, il travaille dans un dispensaire assez démuni et nous lui remettons les médicaments que j'avis collecté avant notre départ.

Nous avons la joie de recevoir pour les vacances de fin d'année nos enfants et petits-enfants, les ados de 10 à 15 ans sont bien entendu frappés par ce monde qui leur est tellement étranger. Nous partons tous dans la « jungle » sous la conduite d'un vieil indien, nous remontons une rivière, c'est quasiment « Indiana Jones ».

Nous rencontrons aussi un français, photographe de mode et réalisateur de clips vidéo, amoureux des indiens de l'Amazonie au Groenland. Il a réussi à se faire accepter par un village et il y passe 3 mois tous les ans. Il les aide dans la mesure de ses moyens et ses informations recoupent celles de notre vieux guide.

Nous ne nous prenons pas pour Lévi-Strauss, mais ces quelques semaines aux San Blas furent fort riches d'enseignements de toute sorte.

En route pour Colon, et première escale à Porto Bello que nous avions connu en 92 pendant un pèlerinage où s'exprimait la foi colorée de cette population sud-américaine, la fête est terminée et ce n'est plus qu'une maigre bourgade endormie devant une baie où mouillaient les galions par douzaines.

Et nous voici de nouveau à Colon, nous apprêtant à passer le canal, nos enfants partent demain et nous nous retrouverons dans le Pacifique.


A bientôt

















Rikitea, le 19 mars 1997

Bonjour, ou plutôt Ia ora na,

Nous nous sommes quittés voici bientôt trois mois à Colon sur la côte caraïbe du Panama, nous avions un peu de nostalgie en voyant partir les enfants, mais nous avons rapidement rangé les mouchoirs et nous nous sommes préoccupés de traverser le canal.

Colon est toujours une ville dangereuse, son taux de criminalité est parmi les plus élevés du monde, nous n'y ferons que de brèves incursions pour effectuer les multiples formalités qu'implique le passage.

Agréable surprises, notre jauge de 26 tonneaux en 92 est ramenée à 19 ce qui est notre jauge française, en contrepartie il nous est interdit de transporter des containers en pontée. Les connaisseurs apprécieront.

Autre bonne surprise en cette période d'inflation, les droits de passage qui en 9 s'élevaient à 240$ ne sont plus cette année que de 90 $.

Et nous devrons recevoir ultérieurement un chèque de 53$ si l'assurance n'a pas
l'occasion d'intervenir. Exemple à suivre, quand les assureurs nous rembourseront-ils les primes en cas de non sinistre ?

Comme d'habitude (c'est la deuxième fois) nous devons être 5 sur le bateau, le timonier et 4 « hand-liners », qui doivent passer et régler les 4 haussières nous maintenant au milieu du sas, et bien sûr le pilote.
Nous passons les 3 premières écluses à couple d'un remorqueur, c'est plus facile, à condition que les équipiers d'avant passent correctement les amarres... Ce n'est pas le cas; Alibi part en travers dans le courant, et nous laissons 10 cm2 de peinture sur le bajoyer, plus de peur que de mal, mais ce passage de Panama est toujours aussi stressant et ces décharges d'adrénaline ne sont plus de mon âge.

A la montée, nous sommes derrière un paquebot de croisière, offrant un spectacle de choix aux passagers, et nous nous arrêtons à mi-chemin à Gamboa et finissons le parcours le lendemain à travers le Gaillard Cut. Nous descendons les trois écluses devant un Panamax allemand et le dernier sas nous libère enfin dans le Pacifique et nous allons prendre une bouée devant le Balboa Yacht-club, nous y sommes accueillis par un crocodile mort d'environ 4 mètres de long, flottant le ventre en l'air au milieu du mouillage.

En 99, le canal reviendra entièrement à Panama, et déjà les américains ont commencé à retirer leurs billes, cela se voit, d'innombrables bâtiments se dégradent et tous les pilotes sont maintenant panaméens.
Quelques jours de détente aux Perlas, cet archipel situé à un jet de pierres de Balboa, résidence préférée des nantis, mais nos deux équipiers, plongeurs invétérés sont assez déçus par l'eau trouble.

A propos d'équipier, nous retrouvons avec plaisir notre avocat rouennais qui a plongé à Cuba pendant deux semaines, et Pierre, recruté sur un CV impressionnant mais il se révélera rapidement suffisant et insuffisant, le QI à l'étiage de ce navigateur helvète ne devrait pas lui permettre de s'éloigner de son jet d'eau.

En route pour Isla Coco, possession de Costa-Rica c'est un caillou bordé de falaises abruptes, entièrement couvertes d'une jungle impénétrable ; pendant longtemps déserte, de nombreux pirates fréquentèrent ses côtes pour l'aiguade, et les légendes de trésors cachés sont innombrables.
Aujourd'hui, quelques rangers et quelques scientifiques y séjournent, mais les droits de port dans ce parc national dissuadent de très longs séjours. Pierre et Yann effectuent une grande balade dans la forêt, et seront vite engloutis dans une végétation luxuriante. Par contre, ils seront récompensés par une plongée de rêve au milieu d'innombrables requins, de raies manta, du Cousteau en vrai.

Pour nous qui ne plongeons pas, le « schnorkelling » est déjà très gratifiant, nous sommes au milieu d'un aquarium et ce sont les poissons qui viennent nous voir. Mais la chasse sous-marine est interdite.

La route classique pour les Galapagos au départ de Panama suit la côte sud-américaine jusqu'au premier souffle d'alizé, mais notre crochet par Isla Coco nous amènera à nous traîner dans des petits airs.

Puerto Barquerizo Moreno, à Wreck-Bay sur l'île de San Christobal semble plus riche qu'il y a 4 ans, nous avons droit à une semaine d'escale sans l'avoir sollicité, nous pouvons faire les pleins d'eau et de gas-oil et même faire réparer un alternateur défaillant. Les ressources alimentaires sont toujours auss limitées. De nombreux bateaux d'excursion sont mouillés dans la baie, ce qui profite assez peu aux habitants : les touristes débarquent de l'avion de Gayaquil, embarquent sur le mini-paquebot, font le tour des îles et repartent.

Les individuels dans notre genre sont peu désirés, et les tarifs sont prohibitifs : si nous avions voulu embarquer un guide pour avoir le droit de naviguer dans l'archipel, nous aurions du payer 200$ par jour et par personne, le racket a des limites.

Nous négocions une excursion à Hispaniola, à 25 milles au sud de San Christobal, nous y sommes reçus par les otaries familières, les iguanes marins se dorent au soleil par centaines, et les sentiers se faufilent au milieu des nids de fous. La baignade est tout aussi gratifiante, les otaries, les tortues et de multiples poissons nous entourent, malheureusement bien que sur l'équateur l'eau est froide, le courant de Humbolt arrose ces îles.

Le plus extraordinaire est de circuler au milieu de ces animaux qui n'ont aucune crainte de l'homme, le mouillage de puerto Barquerizo est bruyant, les otaries s'ébattent sur les plages devant le village et certaines prennent pension sur les annexes des voiliers.

En prime, nous sommes spectateurs d'une mini révolution sud-américaine : le président de l'Equateur est démis de ces fonctions pour débilité mentale !

Nous connaissons tous des régimes où les opposants sont parqués dans des asiles psychiatriques, mais si aujourd'hui c'est le tour des gouvernants, où allons-nous ? Quelques dirigeants de part le monde ont dû sentir le vent du boulet.

Plus sérieusement, il semble que la démocratie ait fonctionné, l'armée n'est pas intervenue, un président provisoire a été nommé, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Nous quittons Wreck-Bay pour Post-Office-Bay à Floreana, la vieille tradition baleinière se poursuit, un tonneau sert de boîte à lettres et le courrier déposé est acheminé par des voies variées, nous prenons quelques lettres que nous posterons à l'île de Pâques.

Nous nous donnons des émotions en passant entre les pattes du Lion, c'est un énorme rocher qu'une profonde faille coupe en deux ; le passage long de 150 mètres large de 10, est dominé par des falaises verticales de plus de 100 mètres de haut.

Le vent faible des premiers jours cède bientôt la place à un sud-est qui nous accompagnera jusqu'à Rapa-Nui (île de Pâques), nous sommes d'abord au près mais le vent adonne et nous mettrons seulement 13 jours pour parcourir ces 2000 milles.

Le mouillage d'Hanga-Roa, “capitale” de Rapa-Nui est situé à l'ouest de l'île, si le vent tourne nous devons changer de mouillage, comme le vent est caractérisé par son instabilité, nous établissons des quart de visite : deux restent à bord pendant que les autres font du tourisme à terre ; la sécurité est à ce prix.

Les instructions nautiques parlent d'un débarquement d'accès difficile, nous renonçons à mettre l'annexe à l'eau nous ferons du pêcheur-stop !

L'île est vraiment extraordinaire, c'est le monde des pourquoi et comment.

Comment les Polynésiens sont-ils arrivés ici, en une ou plusieurs vaques entre le Vème et Xème siècle de notre ère. Les terres les plus proches sont les Gambiers à 2700 kilomètres, le Chili et Tahiti sont à 3700 kilomètres ; à cette période, les Polynésiens qui sont restés à l'âge de pierre jusqu'aux premiers contacts avec les européens, disposaient de pirogues doubles pouvant embarquer quelques dizaines de passagers, ils savaient naviguer et entreprenaient de longs voyages aller et retour et le hasard n'est plus une explication pour résoudre les problèmes de la diaspora polynésienne, de la Nouvelle Zélande à Hawaï et à Rapa-Nui.

Comment ont-ils pu, toujours avec un matériel lithique, sculpter les gigantesques statues (plus de 600, ayant de 4 à 5 mètres à 21 mètres de hauteur pour la plus grande) ?

Comment les ont-ils transportées ? Comment les ont-ils érigées ?
L'imagination des chercheurs est sans limite : les chemins de roulement en troncs d'arbres (mais les arbres sont rares sur l'île aujourd'hui) le chemin lubrifié à la patate douce, pour un transport de 20 kilomètres, quelle purée ; les leviers, les chèvres, les échafaudages, et ben sûr le “mana'” cette mystérieuse puissance du Pacifique, le continent Mu, les extraterrestres, etc.
J'ai personnellement une explication qui en vaut bien d'autres :

Un beau jour Astérix et Obélix s'embarquèrent sur le Kon-Tikix, et après une longue navigation arrivèrent à Rapa-Nuix : quoi de plus simple pour un livreur de menhir, la hargne d'Astérix et la potion magique de Panoramix, tout est en place et le problème est résolu. Si Uderzo met ce scénario en images, j'espère bien toucher quelques droits !

Trèves de plaisanterie, cette île dégage une atmosphère envoûtante, mystérieuse et oppressante sous certains éclairages et pleine de nostalgie.

Ces statues, les Moais s'élèvent sur des plates-formes, les ahu, répartis autour de l'île. Avec le temps, le culte des ancêtres, premiers colonisateurs s'estompa, les guerres tribales s'intensifièrent, la surpopulation, le manque de ressources amenèrent à l'anthropologie, et devant la perte de l'espérance, les pascuans se tournèrent vers le culte de l'homme oiseau, les migrateurs symbolisant le départ vers l'extérieur, départ qui leur état désormais interdit par le manque d'arbres permettant de construire de nouvelles pirogues.

Les premiers européens à voir l'île furent Roggaven, un hollandais en 1722, puis vinrent Cook, La Pérouse, puis les baleiniers américains, à la recherche de main d'oeuvre.
Le pire fut atteint en 1862 quand les péruviens vinrent recruter des esclaves pour leurs gisements de guano : 1000 déportés et presqu'autant de morts lors du rassemblement ; devant les pressions internationales les survivants, 200 furent rapatriés, 15 seulement regagnèrent Rapa-Nui, porteurs de nombreuses maladies et les pascuans n'étaient pas immunisés ! Vers 1880, ils n'étaient plus que III (cent onze).

En 1886, le Chili prit possession de l'île et accorda immédiatement une concession à une société anglaise qui remplaça les pascuans par 50000 moutons, les derniers habitants étaient gardés derrière des barbelés à Hanga Roa. Il fallut attendre 1965 pour qu'ils obtiennent la nationalité chilienne et soient reconnus comme des hommes.

Aujourd'hui, ils sont 3000, dont la moitié vit à Santiago ou à Valparaiso. Ceux qui sont restés au pays vivent en partie du tourisme, environ 10000 visiteurs par an ; Rapa-Nui possède une piste gigantesque, construite par les américains pour servir de terrain de secours à la navette spatiale.

Le Chili construit aujourd'hui des routes, des écoles et un hôpital. Mais ces investissements n'empêchent pas une banderole devant l'Eglise : “Rendez aux pascuans les terres que vous leur avez volées”.

On peut voir dans l'église de nombreuses sculptures exécutées par des artistes locaux qui allient les saints catholiques avec les traditions locales : ainsi un évêque ailé, mitré et pourvu d'un bec, me paraît relever du plus pur syncrétisme.
Dans les boutiques d'Hangiroa, les sculptures que l'on peut trouver ont perdu toutes significations rituelles, même si certaines restent très fortes.

Le mouillage se révèle à la hauteur de sa mauvaise réputation, nous sommes obligés de quitter précipitamment au milieu de la nuit la baie d'Hanga Roa, intenable, pour chercher un mouillage un peu abrité, le vent tournant, en 24 heures nous aurons fait le tour de l'île.
Nos équipiers, restés à terre nous suivaient péniblement ; un peu lassés de ces multiples exercices, nous quittons Rapa-Nui pour Pitcairn.

1200 milles de temps variables, avec bien entendu une dépression quand nous arrivons à Pitcairn, si le mouillage de Rapa-Nui est inconfortable, celui-ci est exécrable, la houle et le clapot vicieux ne nous incitent pas à un long séjour, Pierre et Yann iront à terre pour quelques heures.

Il est regrettable de ne pas rester plus longtemps dans cette île marquée dans l'histoire maritime par la plus connue des mutineries, celle du Bounty, en 1790 cette frégate resta à Tahiti plusieurs mois afin de collecter des plans d'arbres à pain qui étaient censés nourrir économiquement
les esclaves des Antilles ; sous la direction du lieutenant Fletcher Christian les marins se mutinèrent, débarquèrent dans une baleinière le capitaine Blight qui réussit un exploit en emmenant les marins restés loyaux à Java, traite de plus de 3000 milles, réalisée dans un canot ouvert de 7 mètres de long, avec 20 hommes à bord. Les mutins regagnèrent Tahiti embarquèrent une douzaine de Tahitien et de tahitienne, trouvèrent l'île de Pitcairn, s'y installèrent, brûlèrent le Bounty et s'entretuèrent ; deux ans plus tard ne restaient en vie qu'un seul marin anglais et quelques tahitiennes, le premier navire à toucher Pitcairn trouva une population parlant anglais, lisant la Bible
(celle du Bounty est toujours dans la chapelle de l'île) ; le diable s'était fait ermite, après avoir été nombreux (23 en 1935), la population actuelle n'est plus que de 35 personnes et ira diminuant, les enfants partent à 12 ans poursuivre leurs étude en Nouvelle-Zélande et ne reviennent pas.
L'île n'est desservie que 2 ou 3 fois dans l'année, ne possède pas d'aéroport et n'a aucune ressource. De nombreux habitants de Pitcairn vivent à présent dans l'île Norfolk au large de l'Australie, les derniers descendants de Bounty y trouveront peut-être refuge ?

Nous ne prolongerons pas notre séjour à Pitcairn, le temps se dégrade rapidement, mais nous avons bien du mal à remonter notre ancre une de ses pattes est tordue à 45 °, ouf !

Nous retrouvons avec plaisir la magie de la Polynésie, dont nous sommes amoureux, mais ceci est une autre histoire, dont nous vous reparlerons plus tard.


A bientôt !


Nana







































Papeete, juin 97

Ia ora na


Nous nous sommes quittés à notre arrivée à Rikitea, capitale des Gambier (Gambier était un navigateur anglais du XVIIIème siècle).

C'est un petit archipel comprenant 6 ou 7 îles entourées d'un récif de corail, assez semblables aux îles de la Société, mais ici le tourisme est quasi ignoré, à part quelques pensions confidentielles.

La seule ressource est la perle noire, autrefois très rare et sous-produit de l'exploitation de la nacre, elle est maintenant avec les progrès de la greffe régulièrement exploitée dans des fermes perlières. Le lagon est parsemé de ces exploitations familiales et artisanales, mais les établissements Robert Wan en ont fait une véritable industrie, ils possèdent, tant à Mangareva que dans les Tuanotu des îles et des atolls spécialisés dan cette production, leur magasin d'exploitation à Papeete est somptueux.

Mais, mes filles et petites filles seront désolées de savoir qu'on ne peut pas trouver de perles sur place (j'ai eu chaud).

Rikitea n'est pas totalement isolée, 3 liaisons aériennes et une goélette tous les mois (goélette est le terme générique pour les bateaux desservant les îles, même si les voiliers ont disparu depuis longtemps).

Nous assistons à l'arrivée du Nuku Hau, véritable ponton de l'île, il faut voir le débarquement de tout ce qui permet à ces mille habitants de vivre, en effet si tout pousse ici), il faut un minimum de soin et l'argent des perles fait préférer le « corned beef » et le riz aux cultures traditionnelles de tarot et d'arbre à pain.

En liaison avec la perliculture, nous visitons un atelier école de sculpture sur nacre, les élèves de 14 à 20 ans réalisent de très beaux travaux, mais une fois le diplôme en poche, ils partent plonger dans le lagon, cet atelier fait partie d'un collège professionnel : maçonnerie, menuiserie, mécanique tenu par des religieux canadiens.

Nous rencontrons le curé de Mangareva qui partage son ministère entre Hao aux Tuanotu et Mangareva, il nous dit le plus grand bien de l'évangélisation par les Pères de Picpus. Comme nous avons un guide américain qui en dit pis que pendre, il nous laisse pour que nous puissions nous faire une opinion le journal tenu par un frère bâtisseur entre 1834 et 1865.

Ces bons pères avaient la maladie de la pierre, en 30 ans, ils firent construire une cathédrale de 2000 places, 5 églises, de multiples chapelles, un monastère pour 80 religieuses, un « palais » épiscopal et un « palais » royal (modestes) le tout en blocs de corail tirés du lagon par les insulaires. Citation prise dans le journal du frère Gilbert : « En priorité, il faut que je fasse charrier les pierres destinées aux églises, les tailler, les maçonner, c'est un travail considérable qui mobilise presque toute la population ».

Population qui en 30 ans diminue de plus de moitié.







Le couvent de 80 religieuses était un projet particulièrement utopique, dans une île de 1200 personnes, une belle nuit 36 des pensionnaires firent le mur !

Autre citation : « et nos jeunes quittent sans cesse l'île ».

Arrêtés, ils étaient fouettés, condamnés à un mois de cellule et à 2 mois de travaux forcés.

Les conditions de vie pour les Européens étaient très dures, ils mourraient très jeunes, 2 religieux furent rapatriés pour folie, et 2 autres pour mauvaise conduite...

Resté pratiquement seul le Père Laval instaura de nouvelles punitions : les personnes coupables d'adultère avaient la tête rasée !

A Wallis, la même congrégation avait établi un barème pour les péchés les plus courants:
-Manquer la messe 1$
-Travailler le dimanche 3$
-Union illégitime 22$
-Viol 30$
-Inceste 100$
-Homosexualité 150$

Ces paiements en argent furent remplacés par des amendes en “cochons”, unité de compte plus répandue que le dollar.

Le père Maurice vient déjeuner à bord, nous lui disons notre étonnement de ce conditionnement, il accepte notre qualificatif de dictature théocratique, comparant la Mangareva du Père Laval au Genève de Calvin !

Nous lui posons malicieusement la question de savoir comment ses ouailles concilient les enseignements de l'Eglise avec la traditionnelle liberté de moeurs des vahinés, il nous répond avec une ravissante candeur : « le pernicieux est arrivé dans ces îles lointaines! ».

Aujourd'hui encore des faits invraisemblables se produisent : en 87, il y a juste dix ans, dans l'atoll de Faaite, un groupe charismatique catholique entreprit de chasser le démon, louable action, bilan : 6 bûchers!

Il est certain que pour nous, membres de la R.P.R (religion prétendue réformée) les actions de l'Eglise Evangélique de Polynésie, totalement indépendante depuis 1963, sont observée avec beaucoup d'intérêt, nous sommes surpris par leur fondamentalisme et leur intransigeance : à Raivavae un pasteur fait couper le courant le dimanche matin pour inciter ses ouailles à aller au culte, plutôt que de regarder la télévision, la dépêche de Tahiti parlera de l'ayatola des Australies !

La grande affaire cette année est le Bicentenaire de l'arrivée de l'Evangile en Polynésie, le 5 mars 1797, avec le Duff, bateau de la « London Missionary Society », 15 jours de festivités, tant religieuses que civiles sont prévues.


Nous retrouvons dans les temples, un service ordonné comme en France, et participant à la communion, nous sommes immédiatement reconnus de la famille, c'est touchant c'est l'accueil du frère et de la soeur.

Les himenes, les cantiques sont étonnants : un quartier en lance un, un autre répond, et ainsi de suite pendant plusieurs minutes, le tout à capella et à plusieurs voix, les Gospel polynésien. Les femmes ont bien sûr leurs plus beaux atours, mais les chapeaux tous plus extraordinaire les uns que les autres en sot la touche finale.

Les Eglises, toutes dénominations confondues ont une démesure certaine dans leurs constructions, dans les îles et à Tahiti les églises, les temples neufs ou en construction sont nombreux et auto-financés. Porotetani Farani (protestants français) pense à vos cotisations !

Nous embarquons à Riktiea gendarme en vacances, il nous accompagnera jusqu'à Raivavae, il sera un charmant compagnon.

Nous avons une bonne traversée des Gambiers à Rapa, à part un coup de vent que nous passons à la cape pendant une journée, nous suivons la passe balisée de Rapa et mouillons devant le village, Rapa est un ancien volcan, le flan est du cratère s'est effondré, nous sommes entourés de montagnes et les rafales sont puissantes.

Mouillé depuis 10 minutes, un canot s'approche : « veux-tu du poisson, veux-tu des
langoustes ? » Cadeau, bien sûr, ce sera notre régime pour les 15 jours suivants.

Il faut dire que Rapa est situé à 27° sud, nous sommes au début de l'hiver et ils ne voient que 2 ou 3 plaisanciers par an, nous sommes les premiers en 97.

Le bateau ravitailleur passe environ tous les deux mois et les Rapas refusent absolument une piste pour un éventuel avion.

L'attachement de ces gens à leur petite patrie, le Fenua, est viscéral, nous en rencontrerons ailleurs, ils sont malheureux hors de leur île, pour eux le paradis sur terre (encore que très loin de l'imagerie des mers de Sud).

Nous sommes dans la Polynésie profonde, celle de Cook ou de Bougainville, la Nouvelle Cythère est proche, nous ne tenons pas nos équipiers en laisse, nous nous souvenons de la Bounty...

Européens nous avons un peu de mal à comprendre cette société matriarcale détendue, très imprégnée de religiosité, nous voyons une jeune femme sortir d'une étude biblique, pour se jeter dans les bras d'un popa'a de passage...

Les occidentales revendiquent leur « libération » mais je crains qu'elles ne soient que les enfants de Marie à côté des Polynésiens d'aujourd'hui...

Au fil de l'étrave, nous avons fait quelques rencontres : « Spray of Briac », copie du Spray de Slocum, son skipper, Guy Bernardin est un ancien concurrent de la course autour du monde ; deux américains sympathiques, un couple de français, purs voileux viennent de passer les canaux de Patagonie sur un bateau de 8 mètres sans moteur.

Nous rencontrons aussi des enseignants en retraite, qui envisagent de fnir leur vie dans ces îles ; le traitement ou la pension au coefficient 2 n''est peut-être pas étranger à leur amour pour ce territoire...

Et les gendarmes !!! Si en France, cette corporation n'est pas extrêmement populaire, ici les gendarmes sont un rouage indispensable de l'administration, gendarmes bien sûr, mais les délits se bornent souvent à la cuite du samedi soir, à la culture de quelques pieds de paka-lolo (cannabis), mais ils sont aussi notaires (et le droit coutumier est indéchiffrable) : (un petit atoll des Tuamotu est indivisible entre 6500 héritiers), ils sont également huissiers, et etc.
Ils sont bien sûr enchantés de voir de nouvelles têtes, nous sommes invités, réinvités, ces escales sont parfois fatigantes.

Dans une île, le brigadier me dit : « tu dois faire le tour de l'île elle est très belle », d'accord, mais où vais-je trouver une voiture à louer ? Il me considère comme un demeuré profond, me tend un trousseau de clefs, et me dit : « tu prends la voiture de la brigade ! »

Petite histoire sur la Gendarmerie en Polynésie (presque vraie).

Au début du siècle, un jeune et beau gendarme (mais ils le sont tous) est en poste dans un atoll des Tuanotu, les jeunes et jolies vahinés rêvent du popa'a et souhaitent un enfant du blanc. Celui-ci conscient de ses responsabilités réunit les pères des jeunes filles :”d'accord je dormirai avec vos filles mais pensez à l'avenir des enfants à venir, que vos filles viennent me rejoindre quand vous aurez planté pour chacune d'elles 200 cocotiers... A son départ, l'atoll état couvert de cocotiers, l'émulation dans ce corps d'élite qu'est la gendarmerie a fait que la Polynésie française a la plus belle plantation de cocotiers du Pacifique...

Et qu'elle souffle d'une surproduction de coprah. Ce qui prouve que les meilleures intentions du monde ne sont pas toujours récompensées.

Outre le coprah, cette pratique engendra de multiples « demis », généralement spécialisés dans la fonction publique...

Et l'on compte parmi eux quelques réussites exceptionnelles : l'un d'eux fils d'un gendarme et d'une mangarévienne est devenu enseignant, parlementaire, Président du territoire, et par sa seule et diligente épargne il a gagné une des plus grosses fortunes du Pacifique, sa fille est filleule du Président de la République...

De quoi rêver...

Mais pour les Polynésiens il est normal que le chef soit riche, qu'importe si de mauvaises langues parlent d'un monsieur 10%, le clientélisme assure les retombées de nos impôts. Raïavavae, 1000 habitants a 14 secrétaires de mairie, Papeete, petite sous-préfecture de 25000 habitants a autant d'employés municipaux que la mairie de Toulouse.

Personnellement je me suis heurté à cette administration : aux Gambier, le dentiste passe tous les 24 mois, j'ai proposé mes services à l'infirmier marquisien (l n'y a pas de médecin), les cas graves sont évasanés sur Tahiti (2000 kilomètres), cet infirmier téléphone à la Santé à Papeete : « d'accord, mais demande écrite, copie du diplôme, numéro d'inscription à l'ordre, je pourrais sans doute rendre service au cours de mon prochain passage ».

A Raïvavae, le jeune médecin coopérant et l'infirmier sont beaucoup plus coopératifs, ils oublient de demander l'accord de Papeete, et je peux pratiquer quelques douzaines d'extractions. Miracle, je sais encore !

Mais avant nous sommes restés deux semaines à Rapa, attendant un temps à peu près clément pour aller à Raïvavae à 400 milles de là ; cette attente nous permet de goûter l'hospitalité de cette île, nous sommes toujours conviés à des repas, des tamara'a, nous partons couverts de colliers de fleurs et de coquillages.

La traversée est assez agité, nous avons plusieurs fois des rafales à 50 noeuds, mais un mille après l'autre, nous arrivons à Raävavae, les gendarmes sont égaux à eux-mêmes, très chaleureux et prêts à rendre service, ils m'adressent un premier patient, mari de la directrice de l'école, et voici ouverte une porte d'entrée dans la société de l'île : nous passons le samedi sur un motu (îlot du récif corallien) à pêcher le bénitier, à manger, à boire et à prendre le soleil.

Le lendemain culte, repas sur la plage, pétanque avec nos amis de Raïvavae et les gendarmes.

Nous les quittons pour Tubuai, 100 milles plus loin, encore une île haute entourée de corail, le mouillage est inconfortable, nous attendons une éclaircie pour gagner Tahiti, l'ambiance est déjà moins plaisante, les liaisons par avion et bateau sont plus fréquentes et les popa'a sont monnaie courante.

400 milles vers le nord, le vent fait le tour du compas,, nous essuyons un orage d'anthologie, et nous voici de nouveau à Papeete.

Nous sommes arrivés depuis 2 semaines mais je n'ai pas eu le courage de me mettre à ce petit journal avant aujourd'hui, j'étais complètement épuisé par la dengue.

Mais nous faisons bientôt surface, à bientôt.

A bientôt !
































Bora-Bora, septembre 97

Ia ora na,

Nous nous sommes quittés voici 3 mois à Tahiti, il m'a bien fallu 6 semaines pour me remettre de la dengue.

Nous eûmes le plaisir de retrouver notre fils Pierre, aujourd'hui en très bonne forme, il fut charmant et efficace pour nous et pour ses soeurs.

Pendant notre séjour, l'Esmeralda, bateau-école de la marine chilienne fait escale, superbe 4 mâts, mais son équipage, défilant sur le front de mer, mauser 98 sur l'épaule en chantant Lili Marlène, cette vieille chanson chilienne bien connue.

Dans un autre registre, nous visitons une exposition d'art marquisien, les sculptures sont de plus en plus chargées et tendent vers un style rococo désolant, elles perdent même leur beauté fonctionnelle, par exemple le célèbre u'u, le casse-tête marquisien voit son manche entièrement sculpté, ce qui le rend tout à fait inutilisable.

Et voici le Heiva, la fête du Tiurai (de l'anglais July) qui commence le 29 juin par la commémoration de l'Autonomie Interne (1984) la date peut en paraître surprenante, c'est l'anniversaire de l'annexion de Tahiti à la France.

Sur la tribune officielle on voit le Président, le Haut Commissaire, des ministres, des militaires et des marins, beaucoup de galons et quelques étoiles.
L'Ordre de Tahiti Nui est décerné à quelques récipiendaires méritants...

Et défilent de multiples associations de quartiers, de village, d'îles lointaines, de mamas, de sportifs, de Miss Tahiti, d'églises minoritaires (Mormons, adventistes du 7ème jour, de Sanitos, de Témoins de Jéhova, etc.). L'Eglise catholique et l'Eglise évangélique, en froid avec le Président ne participent pas au défilé.

La jeunesse adventiste défile sur l'air de l'Artilleur de Metz, je suppose que les enfants
n'en apprennent pas les paroles à l'école du dimanche! Les Sanitos préfèrent John Brown's Body.

Tout cela est très bon enfant dans une atmosphère de patronage et attire une foule nombreuse qui défile et se regarde défiler.

Le soir nous continuons en assistant à un concert d'himinés, ces choeurs si prenants dans les églises perdent toute spontanéité sur scène, ils ont tort de copier les chorales occidentales, dommage.

Bien sûr dans le cadre du Heiva, nous assistons à des soirées de danses, jupes de fibre et demi noix de coco sont de mise avec beaucoup d'ardeur pour évoquer de vieilles légendes. Ces concours sont très disputés, un jury désigne les vainqueurs, et le titre est très recherché.

Pendant ces fêtes se tient une exposition artisanale, dans les multiples stands des îles ou des quartiers, les mamas présentent des sculptures, des vanneries, des coquillages, des tifaifai (patchworks), et tous les jours elles offrent des démonstrations de tressage, de chapeaux, très vivantes.


Et puis arrivent nos filles et leurs trois garçons, Antoine, Louis, Mathieu, 14,13,12 ans,
nous sommes très heureux de les voir et les avoir à bord pendant un mois, même si parfois l'expression de leur joie de vivre atteint des pics sonores impressionnants !

Ils passent 4 à 5 heures par jour dans l'eau (28 degrés) et se reposent en pêchant avec des résultats surprenants : tétrodons et rémora, de quoi déshonorer une casserole.

Mathieu a la frousse de sa vie : il ramasse par 2 mètres de fond un gros coquillage qui lui semble vide, et il se fait caresser les doigts par les pattes (10) affectueuses d'un bernard-l'ermite, squatter de cette coquille.

Hurlements, trépignements, pleurs (dans le masque de plongée) il m'a mordu, pincé, griffé, etc. et sa mère est quasiment dans le même état.

Désormais le pagure est à ranger parmi les dangers des mers du sud avec les requins, le poisson pierre et les cônes venimeux.

En familles, nous allons à Moorea, les baies de Cook et d'Opunohu sont toujours aussi belles, mais le nombre de plaisanciers, surtout américains a beaucoup augmenté, Hawaï doit être saturé.

Une nuit de navigation (le sommeil évite les naupathies) nous mène à Huahine, peut-être la plus belle des Iles de la Société, un petit musée fort intéressant est installé près des anciens maraes bien désolés (les maraes sont les anciens lieux de culte polynésiens).

Autre marae à Raïatea, celui de Taputapuarea d'où partirent il y a mille ans les colonisateurs des Iles Hawaï et de la Nouvelle-Zélande, petites excursions de 5000 kilomètres en pirogues doubles.

Dans le même lagon que Raïatea, on trouve Taha, qui est restée beaucoup plus isolée, à l'abri du tourisme, cultivant la vanille, élevant les perles, les habitants sont restés chaleureux et souriants.

Ce qui confirme nos impressions : plus ces îles sont isolées, moins elles voient de touristes, plus elles sont accueillantes ; exemple type : Rapa, à 2000 kilomètres de Tahiti, sans avion, avec un bateau tous les deux mois a su garder le charme de la Polynésie d'autrefois.

Il est vrai que nous ne sommes pas les clients standards pour l'hôtellerie haut de gamme.

Et tout à une fin : nos filles et leurs garçons nous quittent par le Ono-Ono, une vedette inter-îles qui file à 35 noeuds, il fait heureusement très beau, car à cette allure la houle est redoutable.

Pour nous remettre des émotions familiales, nous passons à Raïatea Carénage, Alibi a bien besoin d'une petite toilette, la dernière remontant à Las Palmas. Nous sommes de fidèles clients de ce chantier qui nous avait déjà sorti en 93.

Nous aurons un exemple de la gentillesse polynésienne : pendant les travaux, nous prenons nos repas dans un petit snack voisin ; le dimanche midi, la patronne nous dit : « c'est fermé, mais si vous voulez vous pouvez partager notre repas, bien entendu, je vous invite, vous n'avez rien à payer ». J'imagine difficilement la même réception en France.

Nous retournons à Uturoa, capitale de Raïatea et des îles sous le Vent, on y trouve un marché, et quelques chinois ; en cette période de rentrée des classes, de nombreux popa'a, professeurs au lycée et au collège sont de retour.

Nous complétons notre avitaillement avant de partir à la fin du mois pour les Cook et les Samoa, avec Yann notre fidèle équipier qui revient d'une balade aux Tuamotu où il a beaucoup plongé. Comme il doit nous quitter à Suva, nous embarquons une nouvelle équipière, institutrice en année sabbatique Pierre l'a recrutée par Internet.

En 93 et 97, nous avons passé un an en Polynésie française, que nous avons sillonnée des Marquises aux Tuamotu, des Gambiers aux Australes, de Tahiti aux Iles sous le Vent. Nous avons aimé ce pays, le Fenua, et ses habitants si chaleureux, si souriants, si aimables;

Nous avons évité le tourisme des hôtels et le folklore aseptisé du Club Med, mais nous avons essayé de rencontrer des Polynésiens et de lire une petite partie de l'innombrable littérature écrite sur ces Iles.
Français, nous ne sommes pas particulièrement fiers de la présence française de 1842 à nos jours. Je sais bien, les anglais ont fait bien pire en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais c'est une assez maigre consolation.

Dans le Supplément au Voyage de Bougainville (1770), Diderot met dans la bouche d'un vieil indigène un long discours dont voici quelques extraits :

« Nous sommes libres, et voilà que tu as enfouis dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon, qu'es-tu donc pour faire de nous des esclaves ?
Tu as écrit sur cette lame de métal : ce pays est à nous.
Ce pays est à toi ! Et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ?
Si un tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ?
Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ?
En termes modernes « Ta bombe à Moruroa, la notre en Corrèze! »

Jusqu'aux années 50, ces îles, à plus d'un mois de bateau de la France étaient passablement oubliées, vers 1900 il fut même question de les vendre soit aux Etats-Unis, soit à l'Angleterre !!

Séjour de fonctionnaires qui considéraient de bien haut ces indigènes encore récemment cannibales, terrain d chasse de quelques traders cosmopolites, paradis de « beachcombers » rêveurs, de marins en mal d'exotisme et de vahinés et de missionnaires divers, à l'action aujourd'hui bien contestée, même si ces églises sont devenues le ciment de la société polynésienne.

Jean Reverzy, dans « Le passage » donne un portrait féroce de cette société coloniale, et Alain Gerbault en déplore le changement dans un « Paradis se meurt ».

A partir de 58, tout change avec le retour du Général de Gaule, qui se découvre un intérêt soudain pour ces îles lointaines. Les vahinés n'y sont pour rien, d'ailleurs, Tante Yvonne ne l'aurait pas permis, mais l'évolution de la guerre en Algérie laissait prévoir l'abandon de Reggane.



Il convenait d'assainir le terrain, le seul opposant local, Pouvana a Opoa, député à l'Assemblée Nationale, qui avait préconisé le non au référendum, se trouva en prison, accusé d'un complot visant à mettre Papeete à feu et à sang !

La voie libre, les choses ne traînèrent pas : l'aéroport de Faa'a est ouvert en 60, les atolls de Moruroa, Fangataufa et d'Hao sont cédés à la France, et les essais atomiques peuvent commencer au Centre d'Essais du Pacifique, ils seront aériens jusqu'en 73, puis souterrains jusqu'en 91, avec une brève reprise en 95.

D'après les militaires, aucune retombée notable n'a été signalée... Est-il permis d'être septique ?

Le flux d'argent généré par les essais modifia complètement la vie des îles : provoquant un exode des archipels vers Papeete, avec comme résultats aujourd'hui le chômage, des banlieues, la violence et la délinquance ; rassurez-vous cependant, Faa'a ce n'est ni les Minguettes, ni Vaulx en Velin.

Le niveau de vie augmenta considérablement pour quelques-uns, mais les ressources nouvelles restent très inégalement réparties.

L'autonomie interne, avec son gouvernement de fantoches aux poches largement béantes ne modifiera pas grand chose, quand les essais reprirent en 95, les Tahitiens furent une fois de plus mis devant le fait accompli.

Et les émeutes de Faa'a au lendemain de la première explosion, furent une réponse à ces essais.

Commentaire français : « Qu'ont-ils à protester, nous les payons ! »

Mais nous nous sommes retrouvés bouc émissaire, montrés du doigt par le monde entier, pendant que les chinois poursuivent discrètement leurs essais.

Et maintenant la Polynésie vit l'après CEP, les ressources de remplacement sont rares : la perle noire et le tourisme.
Moins de 180000 visiteurs fréquentent la Polynésie par an, pendant la même période, Hawaï en reçoit 7 millions, les Tahitiens aimeraient bien partager le gâteau ; le territoire s'équipe de grands hôtels se construisent à Tahiti et dans les îles heureusement sans trop défigurer le paysage, nous sommes encore bien loin des murs de béton des usines à touristes.

Mais Tahiti est très cher, le coût de la vie est le double de celui de la Métropole, et tout à côté, les Fidji et les Samoa offrent des prestations identiques à bien meilleur marché ; les services de marketing des hôtels vont avoir du pain sur la planche.

Et ils ne sont pas toujours aidés : en juin 97 National Geographic, revue américaine tirant à 10 millions d'exemplaires envoie un journaliste faire un reportage dans le Pacifique, il ne peut rencontrer le Président Flosse qu'après 2 semaines d'antichambre, pendant ce temps il a tout le loisir de rencontrer les opposants, résultat un article féroce de la Polynésie Française.


En contrepartie, 20 pages sont consacrées à la perle noire, présentée par son plus gros producteur, Robert Wan, qui exporte plus de la moitié des 140 millions de dollars vendus chaque année.

Ceci compense peut-être cela.

Bien sûr, tout n'est pas rose dans ce paradis, depuis Bougainville le mythe de la Nouvelle Cythère a du plomb dans l'aile, mais si vous avez l'occasion ou si vous ne l'avez pas, provoquez-la, venez en Polynésie, le pays est plus beau que sur les cartes postales, les polynésiens méritent d'être connus, nous n'avons nulle part rencontré de racisme, le sourire est partout, et un voyage dans ces îles est un excellent remède contre la morosité française.

Nous sommes presque tristes à l'idée de rentrer, dans deux ans, déjà.

Ia ora na, nana

















































Nouméa, le 1er décembre 1997

Ia ora na Tahiti
Bula Fidji
Ka oha Marquises
Maloe e lelei Tonga
Talofa Samoa
Aloha Hawaï
Tiabo Kirbati


Ou plus simplement « Bonjour », nous avons utilisé un certain nombre de ces vocables et nous complèterons peut-être notre panoplie lors d'un prochain voyage !

Nous retrouvons à Raïatea, Yann fidèle équipier depuis les Canaries et quelques jours plus tard nous rejoint Sylvie, une équipière que notre fils a recrutée sur Internet, l'informatique permet bien des choses, mais le site enseignant la navigation en 10 leçons n'est pas encore au point. Que vient-elle faire en cette galère ?
Nous quittons Bora pour Penrhyn dans les Cook du Nord, c'est un atoll particulièrement isolé, peuplé de seulement 400 habitants répartis en deux villages. Nous bénéficions d'un bon vent léger, mais nous prenons la cape en attendant le jour pour prendre la passe qui n'est pas éclairée, et non balisé. Cela nous change de la Polynésie où les Phares et Balises sont remarquablement travaillés.

Mouillage devant Omoka, capitale de 250 habitants, les formalités sont bon enfant, mais un peu longuettes, il est vrai que la visite, après une réunion du Forum du Pacifique Sud des premiers ministres de Tuvalu, du Kiribati et de quelques ministres de Baygon est rapidement amortie.

Depuis une dizaine d'années la perle noire occupe beaucoup de monde, nous visitons une ferme perlière où une demi douzaine de Polynésiens préparent les nacres au greffage les holothuries pour des importateurs chinois, ces grosses limaces de mer réduites en poudre sont paraît-il aphrodisiaques mais elles sont pour nous assez peu ragoûtantes.

Le tressage traditionnel de chapeaux et d'éventails est beaucoup plus artistique et tentant.

Mais il nous fallu plusieurs jours pour comprendre l'attitude des insulaires à notre égard : ils sont tellement isolés qu'ils pensent que chaque bateau de passage vient sûrement pour faire du commerce, ils ont encore présent à l'esprit le système de la traite, et n'imaginent pas que nous ne soyons pas des traders. Nous n'avons rien à échanger, ni matériel de plongée, ni matériel de pêche, ni batteries de démarrage, ni instruments pour greffer les perles. Leur monnaie d'échange est très pauvre, les perles noires, laissées pour compte des japonais qui les commercialisent, ne sont des keichis sans intérêt, et les perles naturelles provenant des nacres sauvages sont minuscules et jaunâtres.

Nous échangeons quelques vêtements d'enfant comme des éventails, et notre commerce s'arrêtera là.




Nous rencontrons sur le lagon deux autres bateaux, l'un espagnol est en route pour le Kiribati où il passera la saison des cyclones et l'autre américain rentre à Hawaï.
Nous assistons au culte le dimanche matin ici, plus encore qu'en Polynésie, l'Eglise est très importante et les règles édictées par la « London Missionary Society » au temps de Victoria sont toujours respectées : interdiction de se promener, de se baigner, de pêcher, nous avons utilisé notre annexe pour aller à terre, et nous sommes priés de rentrer directement sans faire de détour.
Il y a trois services chaque dimanche, et si j'avais mauvais esprit, je dirais qu'il faut bien s'occuper...

Mais les himenés sont très beaux, un peu différents de ceux de Tahiti et des Australes.

Après une semaine nous quittons Penrhyn pour Suvarov, autre atoll isolé, parc national où ne résident que le conservateur et sa famille, mais le vent monte à 30 ou 35 noeuds et nous dissuade de tenter la passe assez difficile, tant pis, ce sera pour la prochaine fois ; nous faisons route directement sur Apia, capitale des Western Samoa.

Depuis deux mois le gouvernement d'Apia a décidé de supprimer l'adjectif “western” qui différenciait les Samoa indépendantes des American Samoa. Les américains si prompt à distribuer à travers le monde des leçons de bonne conduite, pourraient renoncer à leur adjectif, mettant ainsi fin à plus de cent ans de colonialisme germano-néo-zélandais américano...

J'émettais cette idée en arrivant à Apia avec une certaine dérision, et j'eus la surprise un mois plus tard de la voir reprise dans un journal fidjien.

Depuis 4 ans Apia, petite ville poussiéreuse s'est bien modernisée et est devenue proprette. Après Tahiti et ses prix ébouriffants, nous nous sentons richissimes ici. Nous assistons dans le plus grand hôtel d'Apia à une représentation folklorique de qualité, suivie d'un excellent repas pour la modique somme de 100 francs.

Le grand homme local est Robert Stevenson qui passa ses dernières années à Tutuila ; cette propriété, aujourd'hui restaurée a été transformée en musée.

Nous refaisons un petit tour de l'île en voiture, le beau temps nous incite à flâner dans les villages et sur les plages, mais le farniente se termine, et nous partons pour Vavau, dans les Tonga du Nord.

Dès que nous quittons l'abri de l'île, nous trouvons un vent frais du sud, nous changeons notre fusil d'épaule, et cap sur les Fidji, la navigation dans les alizés n'incite pas aux longues traites de près.
Bonne route pendant trois jours mais la météo et le fax nous annoncent à 300 milles des Fidji une « tropical disturbance » qui se transforme en dépression tropicale, puis en cyclone « Lusi »; El Nino commence à nous jouer des tours, cette perturbation a bien 6 semaines d'avance sur le programme habituel des Pilot Charts.

Préventivement nous prenons la cape pendant une trentaine d'heures (avec au début des vents de 45 à 50 noeuds) nous le laissons passer et lui laissons la priorité, nos routes étaient convergentes. « Lusi » aura effleuré les Fidji, mais il provoquera pas mal de dégâts dans les Tonga.


Nous reprenons notre route, un peu fatigués, pour arriver à Savu Savu dans l'île de Vanua
Levu.
Je recommence la phrase pour la musique des mots :

« Nous arrivons à Savu Savu dans l'île de Vanua Levu ».
« Nous arrivons à Savu Savu dans l'île de Vanua Levu ».

Malgré son nom, Savu Savu, 2000 habitants est sans grand charme, une rue poussiéreuse ne s'anime que le samedi matin jour de marché, mais le samedi après-midi et le dimanche, calme total, par arrêté gouvernemental, aucune activité n'est tolérée.

Nous traversons l'île pour aller à la capitale Labassa, centre de l'industrie sucrière ; d'innombrables camions, chargés de cannes attendent leur déchargement, nous voici revenus à Nassandre dans les bonnes années, mais ici les cannes remplacent les betteraves.

Tous les ouvriers de la canne sont indiens et Labassa est une ville quasiment indienne avec ses temples et ses mosquées.

La coexistence de ces multiples ethnies est surprenante, tant les types humains sont différents : Mélanésiens grands et forts, la tête couronnée d'une tignasse de cheveux crépus, les indiens sont beaucoup plus fins, et les femmes en saris sont ravissantes. Nous retrouverons ces contrastes dans toutes les îles et à Suva.

Suva où nous devons nous rendre avant de gagner la Nouvelle-Zélande, mais le moteur en décide autrement, la pompe à eau du circuit primaire (eau douce) fuit abondamment, nous sommes inquiets, car les ressources locales sont limitées, mais le concessionnaire Perkins de Suva nous adresse le kit en deux jours et nous trouvons sur place un mécanicien compétent qui se charge de l'opération, avec son apprenti, ils passent 8 heures à démonter et remonter cette pièce, jamais démontée depuis 15 ans, et particulièrement inaccessible, mais tout va bien et il me demande 300 francs pour son travail, c'est un indien, il s'attend certainement à me voir discuter ; quitte à casser le système, un minimum de décence m'interdit de marchander.

Nous nous quittons enchantés les uns des autres.
Nous attendons maintenant un temps convenable, une dépression au nord des Fidji nous gratifie de trois jours de pluie, de vent et de brouillard, nous avons fait la moitié du tour du monde et nous retrouvons un temps normand, c'est à décourager les voyageurs !

Savu Savu est très abrité et une vingtaine de bateaux envisagent d'y passer la saison des cyclones ; nous rencontrons quelques français dont un couple vivant sur un petit catamaran avec quatre enfants de 6 mois à 18 ans.

En route pour Suva, bonne navigation par temps variable et nous retrouvons notre mouillage devant le Royal Suva Yacht Club et sommes à nouveau membres de cette très sélect et très british institution.

Le musée est toujours intéressant et le marché offre toujours tout ce qui est plus ou moins comestible dans ce pays ; à l'extérieur les maraîchères mélanésiennes installées en plein soleil s'abritent sous leurs étals, ne sortant qu'à l'appel du chaland.

Nous attendons plusieurs jours une météo convenable pour descendre en Nouvelle-Zélande, nous pensons trouver le créneau « ad hoc », mais nous devons bientôt déchanter, le vent
sud-est tout à fait défavorable, pendant 4 ou 5 jours nous tirons des bords peu payants et nous recevons une météo peu engageante, les conditions sont mauvaises au sud du 35ème, j prends onc la décision de me dérouter vers la Nouvelle Calédonie.

Cette nouvelle destination n'est pas du goût de nos équipiers, Yann en prend rapidement son parti, mais Sylvie n'imagine même pas que son inefficacité, redoutable par beau temps, puisse être un facteur de risque par coup de vent.

A Nouméa, nous apprendrons que deux bateaux ralliant la Nouvelle Zélande pendant cette période avaient eu des malheurs, l'un avait démâté, l'autre avait déchiré ses voiles.
De nuit nous avons la chance d'avoir le courant portant dans le canal de la Havannah et nous amarrons au ponton de Port-Moselle, comme nous l'avions fait il y a déjà quatre ans.

Les douaniers sont matinaux, dès 6 heures du matin, ils nous donnent à remplir des rames de formulaires en anglais..., je croyais que la Nouvelle Calédonie était un territoire français... Vive la francophonie dont on nous rebat les oreilles.

Nous sommes ici pour 5 mois, nous courberons le dos pendant la saison des cyclones, avant de partir en avril pour la suite du programme.

Nos équipiers nous quittent, Sylvie a retrouvé sa famille et Yann part à Ouvéa avant d'accueillir son père. Peut-être le reverrons-nous à Cape Town pour la dernière étape ?

Mais en attendant cette lettre arrivera à temps pour vous présenter nos voeux pour Noël et la nouvelle année.


A bientôt.






























Nouméa, le 30 mars 1998


Bonjour,

Nous retrouvons la Calédonie que nous avions quittée voici 4 ans. Nous profitons de cette escale assez longue pour effectuer quelques travaux à bord, nous remplaçons notre réchaud, commandons aux Etats-Unis la Rolls du genre, l'acheminement depuis New-York prend 4 jours, la traversée de Nouméa autant, nous sommes en transit et les douaniers sont désolés de ne pas nous faire payer de droits.

Dix jours après notre arrivée, nous avons la chance de retrouver Henry-Philippe et
Marie-Joséphine, anciens membres du club de Deauville :
Souvenez-vous, il y a 13 ans vous aménagiez Alibi et nous étions voisins de ponton! Honnêtement, ils nous étaient un peu sortis de la tête, mais ce sont d'heureuses retrouvailles. Ils rentrent en France et Marie-Joséphine nous prête sa voiture pendant plus de trois mois. Dans une ville aussi étendue que Nouméa, cela nous change la vie, nous pouvons circuler dans l'agglomération et dans l'île.

Par leur intermédiaire, nous rencontrons de nombreux Zoreilles bien placés et ces rencontres sont souvent enrichissantes. Le Zoreille est le métropolitain qui n'est pas né sur le territoire, par opposition au Caldoche, né natif, sans oublier bien sûr les Kanak, natifs depuis 4000 ans...

Voici l'exemple d'un dîner en ville en forme de patchwork : Henry-Philippe directeur de banque est français, sa femme Mare-Joséphine est Burkina-Bé, Fidélia ingénieur des Télécom
à Genève est Béninoise, le pasteur est suisse, un autre couple est pour lui Papou de Nouvelle-Guinée, il travaille à la commission du Pacifique Sud, sa femme est irlandaise, nous sommes français et retraités ; j'oubliais l'employée de maison Western-Samoa.

Un directeur de banque en cachant un autre, nous sommes très bien introduits dans ce milieu, c'est peut-être le moment de contracter quelques emprunts avantageux. Mais ces diverses rencontres tant chez des particuliers qu'à bord ne concernent que des Zoreilles Nombre d'entre eux sont installés ici depuis 20 ou 30 ans, les fonctionnaires voient leurs traitements et retraites indexées à deux fois le tarif métropolitain.

A nos yeux, ils vivent dans un ghetto, sans doute doré, mais ils n'ont pratiquement aucun contact avec les autres ethnies qui peuplent le territoire. Pour eux, Nouméa est une ville blanche et certains n'ont jamais dû en franchir les portes, la brousse commence très tôt et il convient d'être prudent !

Et pourtant, si l'on peut tenter une brève et incomplète « calédoscopie », l'île est sans discussion terre kanak, on trouve 80000 mélanésiens, 40% de la population totale; agriculteurs très attachés à leur sol, ils eurent à souffrir de spoliations et d'humiliations innombrables du fait de la présence française et du fait colonial.

Ils vivent encore dans une économie rurale pour nombre d'entre eux. Ils sont regroupés en tribus qui réunissent des clans apparentés ; les rapports compliqués entre les individus sont réglés par des multiples interdits et obligations, qui ordonnent toute la vie, de la naissance au mariage et au deuil, rythmant l'année sur le cycle de la culture de l'igname, légume encore mythique aujourd'hui.

Les européens, pour simplifier, ont pris l'habitude de nommer ces pratiques complexes la « Coutume » ; on fait coutume en de multiples occasions.
Du nord au sud, des îles Belep à l'île des Pins et aux Loyautés, plus de 30 langues sont parlées, certaines en voie de disparition ne comptent plus que quelques dizaines de locuteurs. Le français est devenu la langue véhiculaire, indispensable aux mélanésiens pour prendre conscience de leur culture commune.

Cette prise d'identité s'est accompagnée d'une recherche de reconnaissance de leur dignité bafouée depuis des décennies, et bien sûr de mouvements politiques débouchant sur une revendication d'indépendance, avec les conséquences qui ont bouleversé le territoire ces 20 dernières années.

Il y a dix ans le point culminant de la crise était atteint avec l'affaire de la grotte d'Ouvéa et le massacre politique de 20 Kanak. Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Djibaou en signant les accords de Matignon, prévoyant un rééquilibrage entre les diverses provinces de la Calédonie, calmèrent les tensions.

Malheureusement, le leader de 88, Jean-Marie Djibaou a été tué en 89. Il n'a pas vraiment été remplacé et les dirigeants indépendantistes passent le plus clair de leur temps à faire de la surenchère et à s'excommunier les uns les autres. Nos partis politiques français ont fait école...

Et bien sûr, les Kanac ne sont pas seuls, les Caldoches sont bien présents, descendants des premiers colons, avant l'annexion française de 1853 de colons libres, mais surtout, bien que cela ne se dise pas des transportés libérés : plus de 22000 peuplèrent la Calédonie entre 1864 et 1894; L'afflux de ces hommes provoqua un métissage important, biologique, mais non culturel, là aussi sujet tabou !

Une bonne partie des Caldoches vivent en brousse, pratiquant l'élevage et la culture, menant une vie rude, assez voisine de celle des Mélanésiens ; ils parlent un français émaillé de locutions locales nécessitant parfois un lexique. Ajoutez à cela une verdeur de langage à faire rougir un corps de garde.

Une série de BD, « La brousse en folie » est éditée ici, elle illustre bien la vie du pays, les personnages sont :
Dédé : indigène, autochtone, mélanésien, canaque ou kanak
Tathan : « made in Asia », vend à tout ce qui bouge.
Jonville : métrofonctionnaire, a tous les diplômes. Il a tout vu, tout lu et il a touché la prime...

Tonton Marcel : éleveur, coup de chasse, coup de pêche, coup de coeur, coup de fête et coup de gueule.

C'est totalement inexportable.

Nous assistons à Paita à 20 kilomètres de Nouméa, à la fête du boeuf, c'est une descente en caldochie profonde : courses de chevaux, conduites de troupeaux et rodéos, (ce spectacle d'importation récente est lié à l'admiration des broussards pour les Américains depuis la guerre du Pacifique ; ils participent inconsciemment au cargo-culte répandu dans le Pacifique sud-est). Donc, rodéo classique, un jeune « stockman » (cow-boy sous d'autres cieux) est éjecté en quelques secondes de son cheval, c'est le jeu. Mais l'animal ne veut rien savoir pour regagner son paddock, il caracole sur la piste. Commentaires de l'animateur :
- Culé d'bourrin ! Il est con ! Y comprend rien ! C'est vrai, il est Noir ! Et tous les
Noirs sont comme ça !
Nous sommes consternés, ayant peut-être le tort de prendre le discours au premier degré, mais l'assistance, essentiellement blanche est pliée en deux.

Les Caldoches ont généré au fil des ans quelques familles rares, riches et puissantes. Familles qui tiennent le haut du pavé dan l'économie de comptoir qui régit encore le territoire, import-export, mines et toutes les activités lucratives sont sous leur contrôle. Si un malheureux métropolitain riche d'initiative tente la moindre entreprise, il aura toute la HSC contre lui (Haute Société Caldoche).

Nous n'apprécions pas cette atmosphère de combines et de magouilles si palpables, tout cela existe ailleurs, nous ne sommes pas tout à fait naïfs, mais Nouméa, avec ses 100000 habitants où tout se sait et se voit, est un village où nous ne planterons pas notre tente.

Outre les Kanaks, les Caldoches et les Zoreilles, on trouve bien d'autres ethnies vietnamiennes, Niaoulis (Javanais), Tahitiens et Wallisiens tous venus travailler comme mineurs pour le nickel et quelques pieds noirs.

La diversité est là, c'est une mosaïque de races, mais assurément pas un « melting-pot », pratiquement personne ne fréquente qui que ce soit d'un peu différent. Ainsi, nous ne connaissons aucun Caldoche, et si nous n'avions pas la chance de connaître un couple franco-mélanésien, nous n'aurions jamais rencontré de kanak intéressant :
Le Secrétaire Général de l Province des Iles, un magistrat mélanésien (le seul), un chef de service à RFO;

Un kanak de Lifou nous invite à aller déguster un bougna dans son île, les dépressions tropicales nous en dissuadent. Dommage !

Et d'une façon plus informelle, nous rencontrons sur le ponton, quantité d'amis de passage, des amis d'amis, des amis d'amis d'amis etc.

Le petit monde des tourdumondistes est très restreint et on retrouve souvent des connaissances plus ou moins directes, Radio Cocotier marche très bien.

Il y a 4 ans, nous avions eu à l'Eglise évangélique le désagréable sentiment d'être transparents, aujourd'hui, au contraire nous avons été accueillis. Grâce soit rendue à Bruno et Martine.

La situation de cette communauté est particulière, pluriethnique, elle rassemble Européens et Mélanésiens. Mais en 1978, l'Eglise évangélique s'étant prononcée en faveur de l'Indépendance, bon nombres de Caldoches l'ont quittée. Aujourd'hui les choses se sont décantées, et sans faire des prêchi-prêcha, je voudrais vous communiquer cette prière rédigée conjointement avec les catholiques pour la semaine de l'unité.



















Prière pour l'avenir de notre Pays


Seigneur, notre père a tous de l'incompréhension.
Tu as appelé tous les habitants de ce pays Ils ont appelé à plus d'écoute mutuelle
A te connaître et à t'aimer. Et nous avons fait des pas vers le pardon
Nous partageons le même Evangile
D'amour, de justice et de paix
Donné par ton fils Jésus-Christ Nous T'en supplions
Remplis-nous de ton Esprit de force
Merci d'avoir entendu nos prières Aide-nous de ton Esprit de force
En ce temps difficile Sans toi, nous ne pourrons rien faire
Merci d'avoir inspiré des hommes De durable et de solide
Qui ont su arrêter
Le processus de violence et de haine Que ton Esprit guide tous nos
Par eux, tu nous as ramenés responsables
Sur le chemin du dialogue et de la paix Que, dans le dialogue
Ils aient l'audace d'inventer un avenir
Apprends-nous à nous comprendre Qui tienne compte
A nous respecter, Des aspirations
A nous connaître les uns les autres fondamentales de tous :
A savoir partager nos richesses un avenir où tout homme sera un
Spirituelles, culturelles et matérielles homme debout.
Fais-nous découvrir que chacun de nous C'est ensemble, chrétiens de toutes
Et tous ensemble Confessions que nous tournons vers toi
Nous sommes concernés Notre prière
Par la construction de ce pays Parce que nous croyons que tu es
notre Père
Des événements A tous
Douloureux nous Et que nous sommes unis
Ont fat entendre En ton Fils Jésus-Christ, par l'Esprit
Le cri de la souffrance et Amen


Prière oecuménique composée à Nouméa, septembre 1996



En 88, J.M Djibaou avait dit parler sur l'intelligence, il y avait bien du mérite après la valse hésitation de Paris et toutes les couleuvres qu'il dut avaler, à savoir :

Les multiples ministres des Dom-Tom
Djoud, Emmanuelli : celui-ci disant manquant d'urbanité : « socialiste et franc-maçon, je ne peux faire confiance à un ancien curé ».
Lemoine, Pisani, Pons, Nainville les Roches, les événements, l'assassinat de Machoro, celui de dix Kanaks, dont deux de ses frères, (les Assises de Nouméa acquittant les coupables), Ouvéa et ses 25 morts...

A l'heure actuelle, les Kanaks, premiers occupants et les européens créateurs de la richesse de ce pays (souvent au détriment des premiers) sont condamnés à vivre ensemble. Souhaitons qu'ils prennent leur modèle à Johannesburg plutôt qu'en Yougoslavie. Privilégiant l'intelligence.

En même temps que nous, sont arrivés, mais pas sur le même bateau, 110 boat-people chinois et nous avons une belle démonstration du tango administratif : un pas en avant, deux pas en arrière. Localement les indépendantistes voulaient leur rapatriement immédiat. (Curieux de voir des gens de gauche tenir un discours lepéniste).
Le comité pour l'accueil réunissait le secours catholique et la ligue des droits de l'homme.

Pendant 4 mois, ces chinois étaient internés dans une ancienne caserne. En mars se tiennent à Paris des discussions Gouvernement-FLNKS, dès le retour des Kanaks en Calédonie, le Haut-Commissaire annonce sa décision, 100 CRS arrivent de France pour accompagner un charter chinois vers Canton.
Le chinois s'enchaîne sur le toit de la caserne. Le comité de soutien en fait autant devant la caserne.
Le haut commissaire est comparé à Maurice Papon, les gendarmes donnent l'assaut, il y a neuf blessés dont deux graves chez les chinois.

L'avion ne vient pas, l'ordre d'expulsion est ajourné, les chinois sont libres de circuler et remis au comité; Celui-ci les héberge dans des familles qui commencent rapidement à les trouver encombrants.

La suite du feuilleton dans votre quotidien habituel.

Sur le plan touristique, la Calédonie est une bien belle île. Elle est entourée d'un lagon magnifique, la chaîne montagneuse qui s'étend du nord au sud est superbe. Les mines étaient leurs carrières rousses sur un fond de verdure intense. Au bord de mer, les pins colonnaires et les cocotiers sont harmonieusement mélangés. Le réseau routier est de bonne qualité, toutes les rivières, et il y en a une à l'ouverture de chaque vallée, sont franchies sur des ponts, sauf au nord où subsiste un bac, sans doute pour le folklore.
Le revers de la médaille est l'hébergement, sauf à Nouméa et à l'île des Pins où se trouvent deux grands hôtels. En brousse, il n'existe que quelques rares établissements rudimentaires où l'accueil se fait en tribu, mais les Kanaks ne sont pas très chaleureux.
Quant à la restauration, deux exemples :
A Canala, nous trouvons un snack fermé. Passant par derrière, nous rencontrons une mélanésienne revêche qui nous informe que pour déjeuner il faut prévenir 48 heures à l'avance.
A Boulouparis, en province sud à 13 heures, nous sommes refoulés d'un restaurant. « On ne sert plus à cette heure-ci ! ».
Mais les locaux sont cependant extrêmement gentils et serviables, nous tombons en panne à 25 kilomètres du premier village ; Paulette fait du stop et revient avec trois Kanaks en 4x4 qui nous remorquent jusqu'au garage. La première voiture que Paulette avait arrêtée nous attendait pour nous raccompagner à Nouméa, elle était conduite par un jeune indonésien.

De novembre à avril, c'est traditionnellement la saison des cyclones, mais cette année nous ne subissons que quelques dépressions tropicales ; El Nino a épargné la Calédonie, mais a sévi beaucoup plus au Nord.

Nous adressons maintenant nos amis Michel et Gisela, ils nous rejoignent bientôt, nous partirons vers le Vanuatu, les Salomons et l'Australie.

Nous parlions tout à l'heure d'intelligence et nous en avons eu un exemple frappant avec Maurice Lenormand. Nous avons assisté à l'Université du Pacifique à la soutenance de sa thèse et à la présentation d'un dictionnaire français-drehu (la langue de Lifou). Ce jeune homme de 85 ans a été ingénieur au nickel, diplômé des Langues O et des Hautes Etudes, pharmacien à Nouméa et marié à une mélanésienne. Il a fondé dans les années 50 l'Union calédonienne dont la devise était “deux couleurs, un seul peuple”. Député, il s'implique énormément dans la vie du Caillou et fini par être déboulonné dans les années 60 ; ses idées dérangeant Paris et les gans en place en Nouméa.

Cette rencontre restera un des souvenirs marquants de notre séjour.

Après un an en Calédonie (en deux séjours), nous n'avons toujours pas compris grand chose à ce pays à la situation quasi inextricable. Nous sommes très envieux de ce voyageurs qui après huit jours sur place sont capables d'analyser et de décortiquer un pays.

A bientôt sous d'autres cocotiers.

Bien amicalement







































Darwin, le 6 juillet 1998

Bonjour,

Nos amis Michel et Gisela nous rejoignent à Nouméa pour faire un bout de route avec nous. Nous les avons connus en 92 au Venezuela, Michel effectuait son tour du monde sur son propre bateau, nous nous sommes retrouvés au fil des escales : Tahiti, Caims, la Réunion ; nous nous sommes retrouvés et nous nous réjouissons beaucoup de leur présence, Gisela est une charmante touriste et Michel est sûrement un bon équipier.

Nous refaisons avec eux un rapide tour de l'île, en 4 an de nombreux aménagements ont été effectués : routes, écoles, hôpitaux, électrification, centres culturels ; si ce petit pays accède un jour à l'indépendance aura-t-il les moyens de maintenir en état ces épuisements parfois somptuaires ?

Nous quittons Nouméa le jour de la signature des accords FLNKS-RPCR-ETAT qui doivent assurer la paix pendant 15 ou 20 ans en attendant l'évolution de la situation.

Nous attendons depuis 4 jours le bon vouloir de l'administration (cette institution que le monde entier nous envie) pour dédouaner des cartes et des documents nautiques commandés aux Etats-Unis.

Nous sortons par la Havannah et faisons route directe sur Port-Villa, nous mouillons à 8 heures
près de la bouée de quarantaine et y attendons les autorités qui ne nous libèrent qu'à 17 heures, leur radio est en panne et ils ont dû trouver un canot pour venir à bord.

Avec un mouillage au Yacht-Club de Port-Villa, nous sommes en centre ville et nous disposons d'eau, de gas-oil et de sanitaires.

Port-Villa, capitale du Vanuatu est une petite ville animée, au marché très vivant, aux magasins achalandés, avec toutes les banques et les restaurants que vous pouvez souhaiter.

Nous faisons le tour de l'île, la route déjà bien dégradée en 93 est aujourd'hui devenue une piste et ne sera bientôt plus accessible qu'aux 4x'4.

Nous trouvons une méthode de Bichlama simplifié (si c'est possible), cette langue artificielle est parlée du Vanuatu à la Nouvelle Guinée en passant par les Salomons, c'est comme l'anglais et le français une des langues officielles du Vanuatu, lingua franca indispensable dans ces îles où sont parlés plus de 200 dialectes.

Très pauvre en vocabulaire, elle compense cette carence par une poésie certaine et par des périphrases savoureuses quelques exemples :
- Bigfala bokis blong wet man, tut blong em sami black, sam i wet, taen yu kilim emi sing aot.
- Big european box, with some white and black teeth, when you strike it, it sing out.
- Grosse boîte pour le blanc, avec des dents blanches et des dents noires, tu tapes dessus et il chante.

Ne cherchez pas c'est un piano.

-Smol sista blong bigfala bokis sipos yu skrasem bel blong em i krae.
Little sister to the piano, if you scratch its stomach it cries
Petite soeur du piano, si tu lui grattes le ventre il pleure.

C'est évidemment un violon !

-Wanfala samting blong kaikai wud, i kam I go I kambak, brata blong tamick.
Something with eats wood, it comes and josback, brother to the axe.
Quelque chose qui mange le bois, il va et revient, frère de la hache.
C'est une scie, le mot tamick, tomahawk a été apporté au XIXème siècle par les traders américains.

Avec quelques réminiscences d'anglais, un peu d'imagination et une lecture à haute voix on peut deviner quelques mots, le parler ou le comprendre est une toute autre affaire.

Le grand classique est bien sûr : Basket blong titi = soutien-gorge !
Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer le Notre Père entendu dans une église.

Papa blong mifala, we yu stap long heven, nem blong yu I tabu,
Mifala i wantem we algeta man oh long yu,
Mo we yu kam king blong algeta man
Mo we olgeta man long oh ona long yu
Olsem we olgeta long heven oh stap mekem
Plis yu givin kaikai long mifala, i naf blong tede
Yu fogivim mifala tram olsin mifala blong mifala
Olsem we mifala I stap fogivim ol man we oli mekem i no gud long mifala
Yu no letem ol samting ali kam traem mifala tumae
Yu blokem Satan I no kam spolen mifala.


Le kaikai est le nom générique de la nourriture dans tout le Pacifique, il y a 150 ou 200 ans
les missionnaires eux-mêmes servaient de kaikai...

Nous quittons Efate pour Mallicolo et mouillons à Port-Sandwich (toujours le kaikai), nous y sommes très abrités, les natifs nous apportent des pamplemousses, des oranges, des bananes et du poisson. Ils nous déconseillent la baignade, un requin tigre a élu domicile devant la plage et plusieurs indigènes ont déjà servi de kaikai !

La sorte à marée basse dans une eau trouble est laborieuse, nous talonnons plusieurs fois sur le corail, sans mal, mais la sensation est fort déplaisante.

Nous nous dirigeons vers l'île de Pentecôte en évitant le sud où quelques tribus pratiquent et monnayent fort cher le saut du Gaul, plongée de 25 mètres, amortie par des lianes souples, les sauteurs à l'élastique n'ont rien inventé !
Nous préférons mouiller devant le village nord , « centre » administratif de l'île, nous y sommes très bien reçus en français, en anglais et en bichlama ; le curé mélanésien nous explique les rivalités qui existent entre son église et le national, lieu de réunion traditionnel pour les hommes.

Nous sommes également contactés par le « Toutist Advertiser » comme le proclame sa carte de visite, il tient aussi un restaurant, et nous organise un repas très quelconque, à base de poulets de course, avec pour attractions des classes guerrières et des chants bon enfant.

Nous quittons Pentecôte pour Luganville dans l'île d'Espiritu Santo, c'est une petite ville endormie sous le soleil et la poussière, la rue principale a des allures de Far-West.

Michel et Gisela nous invitent au restaurant, nous y dégustons un crabe de cocotier à s'en lécher les babines, cet intéressant animal se nourrit exclusivement de la pulpe des noix de coco tombées à terre, ce qui lu donne une chair particulièrement délectable, il est pourvu de pinces redoutables pour casser les noix.
Allez vite chez votre fidèle poissonnier en retenir un !

Départ pour Guadalcanal et traversée inégale par un temps mal établi, nous sommes dans la zone intertropicale de convergence (voilà qui nous change de l'anticyclone des Açores) et c'est assez normal.

Nous pêchons avec peu de succès mais nous entendons un matin le moulinet se dévider à toute allure, la ligne casse aussitôt et un magnifique marlin de plus de trois mètres de long effectue quelques bonds spectaculaires pour nous narguer ; un autre jour nous bataillons pendant 45 minutes pour amener le long du bord un thon, je me prépare à le gaffer mais il préfère choisir la liberté, dommage.

A vrai dire, nous avons mauvaise conscience de tuer un animal de 40 ou 50 kilos pour n'en consommer qu'une petite partie, nous devrions sélectionner des poissons portion !

Nous arrivons à Honiara, capitale des Salomons en même temps que les participants à la course Brisbane-Honiara ; nous avons nos premiers contacts avec les australiens, bons vivants, le chapeau de cuir vissé sur la tête et une éternelle boîte de bière dans la main ; 10% des concurrents participent à la course pour le sport, les autres pour le « Fun ».

Le Yacht-Club d'Honiara a une particularité, il compte 1100 membres qui possèdent une vingtaine de bateaux de pêche au tout-gros. Nous participons avec les australiens à une sortie barbecue pour monter ces braves gens comment marche un voilier et sans vent nous effectuons 50 milles au moteur !

Le climat des Salomon est particulièrement pénible nous avons souvent 36 ou 37 degrés dans le bateau, avec une humidité surabondante, ajoutez-y les moustiques (nous prenons régulièrement des antipaludéens).

Touristes consciencieux, nous suivons deux excursions organisées pour visiter les champs de bataille de Guadalcanal ; en réalité on ne voit plus grand chose, en 50 ans la jungle a repris possession du terrain, ne subsistent que des épaves d'avions, de chars et de canons, mais on peut cependant imaginer l'extraordinaire difficulté de ces combats acharnés dans un milieu aussi hostile ; la baie d'Honiara s’appelle désormais Iron Bottom Bay, en souvenir des 150 ou 180 navires, tant américains que japonais qui furent coulés en 42 ; pour les japonais cette bataille de Guadalcanal fut vraiment « the turning of the tide ».
L'habitat local est adapté à ce climat humide et chaud, les cases de bambou sont montées sur pilotis et très bien ventilées ; les ressources sont assez limitées : coprah, bois (mais la crise économique entraîne une mévente) et quelques cultures vivrières qui alimentent les marchés.

On commence à voir des chiqueurs de bétel ; nous nous approchons de l'Indonésie, la population, bien que démunie reste très souriante, ce qui nous change de la tristesse kanak.

L'artisanat est très riche, les sculpteurs traditionnels et leurs productions sont intéressantes, nous sommes loin des boutiques de curios « made in Taïwan »...

En route pour l'Australie, nous avions initialement pensé passer par la Papouasie, la Nouvelle Guinée et l'Indonésie, mais de multiples renseignements nous en dissuadent : la sécheresse provoquée par El Nino et les incendies de jungle en Nouvelle Guinée, l'instabilité politique et la piraterie en Indonésie et en Thaïlande amènent trop de risques pour un petit bateau ; et même pour des gros : un tanker de 130 mètres a disparu récemment entre Singapour et Ho-Chi-Minh ville.


Dès la sortie de Guadalcanal, nous avons le ciel le plus noir que nous ayons connu, nous courbons la tête pour affronter un vent de 15 noeuds ! Plus une pluie diluvienne que l'homme (ou la femme) de barre subit stoïquement (nous avons quelques problèmes avec Fidélo notre pilote électrique).

Arrivée sans problème à Caims, grande ville orientée vers le tourisme : au départ du port de multiples tours emmènent des flots de pèlerins sur la Grande Barrière où ils vont plonger, nager, se dorer au soleil (Caims, cité balnéaire n'a pas de plage). On peut visiter également des parcs animaliers, un vieux chemin de fer et une ferme de crocodiles.

Sans avoir épuisé ces multiples activités, nous remontons par petites étapes vers le Cape York.
Nous faisons route commune avec plusieurs congénères : un vieux chassiron mené par un couple baba-cool et leur fille de 14 ans.
Un ancien pilote de la Swissair qui semble très intéressé par les Thaïlandaises.
Un couple australo-allemand très sympathique ; lui, ressemble étonnamment à « Crocodile Dundee ».

Un extraordinaire catamaran italien de 21 mètres sur 9 est bourré d'électronique et de gadgets étonnants : caméras multiples pour voir sous l'eau, la nuit, tous les moyens de navigation possibles, un sous-marin téléguidé pouvant descendre à 300 mètres pour l'exploration sous-marine ; il est vrai que le skipper, aux allures de Laurent le Magnifique construit ces ustensiles en Italie, et enfin un ULM, qui est une annexe gonflable à fond rigide, supportant une structure métallique pour le moteur et l'aile delta ; c'est le fournisseur de James Bond et James Bond à la fois, il a même embarqué une poupée gonflable...

Nous mouillons plusieurs fois devant des plages magnifiques et désertes mais qui n'incitent guère à la baignade, nous avons vu souvent des crocodiles de 4 à 5 mètres de long y prendre leurs bains de soleil.

Ces eaux australiennes sont assez particulières : quand il n'y a pas de requins, c'est que les crocodiles les ont chassés ajouter à cela les méduses aux longs filaments urticants, souvent mortelles, et quelques serpents parmi les plus venimeux du monde !

Une nuit nous étions mouillés devant une flottille de pêche, le vent fraîchit, nous chassons et nous retrouvons à couple d'un pêcheur, sans mal aucun pour personne, ouf ! Le lendemain ils nous proposent d'échanger du poisson contre de la bière, excellente opération, le tout est d'avoir une introduction...

Nous avons bien du mérite à comprendre, comme le capitaine Cook lui-même l'Endeavour Stradt, et traversons le Golfe de Carpentarie et la mer d'Arafura plein pot, 25 et 30 noeuds de vent en permanence, c'est assez tonique !

Nous arrivons à Darwin et avons bien du mal à trouver une place dans une marina que nous avions connue déserte en 94, aujourd'hui c'est Port-Deauville en mieux, presque toutes les places sont occupées par les candidats de la course Darwin-Ambon.

Michel et Gisela nous quittent ici, pour Gisela le départ était prévu mais Michel est déprimé et fatigué, depuis 3 ans il n'a plus fait de bateau, la mer et la navigation ne l'intéressent plus ; sa seule passion est devenue le bridge, pendant 3 mois il a rafraîchi notre technique, nous regrettons son départ, la majeure par cinq commençait à rentrer, nous retiendrons qu'il ne faut ps tenter un contrat irréalisable quand il est vulnérable...


Nous embarquons un jeune suisse jusqu'à Durban, je ne siais pas si dans 4 mois, il parlera français ou moi « swisserdeutch ».

Hier, nous sommes interpellés par un couple :
- You are french?
- Yes, I'm
- Moi aussi, je suis française
Mariée à un néo-zélandais, ils vivent à Darwin et grâce à eux nous connaissons les joies d'un dimanche australien; nous visitons Darwin et sa banlieue, l'espace est infini, la ville se répand à l'horizontale en de multiples zones pavillonnaires.

Il est vrai que l'Australie a des méthodes d'urbanisme assez radicales : en 74 un cyclone a totalement détruit la ville, les maisons antérieures à cette date sont quasiment des monuments historiques ; la « vieille poste » aux allures de pavillon de banlieue de 1925 !

Ce dynamisme déteint, nous avons pris rendez-vous pour caréner Alibi.

Quand vous recevez ce courrier, vous serez sans doute en vacances (c'est ce qui manque le plus à des retraités) et nous serons en mer entre les Chagos et les Seychelles.


A bientôt !






























Richards'Bay, le 23 novembre 1998

Bonjour,

Arrivés à Darwin, nous avions prévu de descendre vers Alice Spring et Ayers Rock, la grande taupinière de grès rouge au centre de l'Australie, mais le manque de place convenable pour le bateau et la défection de Michel nous amènent à changer nos plans, et nous sortons Alibi dans un chantier pour le caréner ; nous trouvant devant de multiples couches de peinture, nous prenons la décision énergique de le faire sabler entièrement et aujourd'hui, Alibi, n'attend plus qu'un tampon métallique pour briller comme un sous neuf. La coque n'a pas pris une ride, merci les Garcia.

Notre équipier, « back-parker »suisse allemand de 24 ans est jardinier de son état, il a quitté Soleure; son canton natal pour parcourir le vaste monde. Il a passé 6 mois au Canada pour apprendre l'anglais dans une ferme, puis a visité les USA, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, c'est un charmant garçon, plein de bonne volonté. Mais il ne parle pas un mot de français !

Nous quittons l'Australie pour les Cocos Killing, 15 jours de traversée où nous trouvons des vents d'ouest non prévus par les Pilot Charts.

Les Cocos n'ont pas changé depuis 4 ans, les fonctionnaires australiens sur West Island ne sont pas surmenés par l'avion hebdomadaire et le bateau mensuel ; les malais d'Home Island sont pacifiques et vivent des subventions de l'Australie.

Les visiteurs, une douzaine, anglais, américains, australiens et français sont cantonnés devant Direction Island ; autrefois bien connue des navigateurs : c'était le relais de la Cable and Wireless Compagny, maintenant détrônée par les satellites.

Nous rencontrons un français solitaire, Yves qui tourne autour du monde à toute allure : Panama, Marquises, Samoa, Darwin, c'est un garçon très attachant et nous lui donnons la carte de Rodriguez que nous lui recommandons vivement.

Tous les soirs à 17 heures, les différents équipages disputent d'acharnées parties de volley-ball, je n'ai jamais particulièrement brillé à ce jeu et les années n'arrangent rien, heureusement Daniel sauve l'honneur d'Alibi.

Après 10 jours, nous voici en route pour les Chagos, bonne traversée, mais le « booster » de Ratafia ne résiste pas à une rafale.
Les Chagos sont un groupe d'atolls perdus dans l'Océan Indien, possessions anglaises, seule Diego Garcia est habitée, l'atoll a été loué voici 30 ans aux américains qui souhaitaient une base dans la région mais l'ensemble d'îles devant être désert les quelques douzaines de récolteurs de coprah furent évacués sur Maurice, bien sûr Diego Garcia nous est interdit, mais les autres îles, désertes nous sont ouvertes.

Désertes, mais pas tout à fait, nous sommes 5 bateaux dans un lagon de 60 kilomètres carrés ; la cocoteraie qui n'est plus entretenue depuis 30 ans est quasi impénétrable, quelques navigateurs anachorètes ont tenté de s'installer à terre, créant de petits potagers, c'est le rêve de Robinson... avec le moyen d'en sortir.

Nous avons un imposant voisin de mouillage : le « ketch Tarner II » (à prononcer à l'anglaise svp) a 38 mètres de long immatriculé à Djeddah. Il est la propriété de riches saoudiens ; le skipper et son équipage, 3 français, un italien, une anglaise et une hollandaise nous invitent à bord pour le dîner avec les autres bateaux de mouillage.

La visite est impressionnante, le grand mât de 42 mètres porte une grande voile de 180 m2, un génois de 350 m2, l'asymétrique fait 600 m2, le moteur est un MWM de 650 chevaux, 12 cylindres en V il y a deux auxiliaires de 100 Kva chacun et les dessalinisateurs produisent 1000 litres d'eau à l'heure.

Construit aux Pays-Bas, la réalisation est somptueuse et la table que nous apprécions, excellente, nous avons beau être sur un bateau arabe et musulman, nous ne remarquons pas que le tabou de l'alcool soit rigoureusement observé (alcool est d'ailleurs un mot d'origine arabe!).

Nous sommes dans un monde totalement étranger à celui de nos bateaux, ainsi un Swan de 56 pieds est mouillé derrière Tarner II et cette magnifique unité semble vouée au bassin des Tuileries.

Dans le lagon le « schnorkelling » est un peu décevant, les coraux sont beaux mais les poissons restent rares.

Nous avons également la visite des officiels anglais qui nous ponctionnent 55$ de droits de mouillage, ils n'effectuent cette collecte que tous les trois mois !

Après une semaine dans ce semi-paradis, une petite semaine de navigation calme, nous amène aux Seychelles, Victoria, capitale de cet état indépendant depuis 30 ans est une petite ville bien propre, très influencée par l'Angleterre, mais sans rien de bien notable, le palais archiépiscopal est grandiose, entouré d'une forêt de colonnes, la cathédrale voisine en semble indigente.

Les Seychelles furent d'abord une colonie française, au milieu du XVIIIème siècle, Pierre Poivre y envoya des colons et leurs esclaves pour cultiver les épices et la canne à sucre, mais en 1815, au traité de Vienne, elles devinrent anglaises comme toutes les Mascareignes.

Aujourd'hui indépendantes, ces îles à la démocratie balbutiante se cherchent des ressources essentiellement dans le tourisme.

La population est très bigarrée, blancs, noirs, indiens avec tous les dégradés de couleurs imaginables (plus quelques autres), l'influence des populations nilotiques donne des individus très élancés, et les jeunes seychelloises sont souvent ravissantes.

On retrouve le même kaléidoscope au niveau des langues, l'anglais, le français, le tamoul et un créole voisin de celui des Antilles sont également parlés.

Nous louons une puissante mini-moke et faisons le tour de l'île principale, plages, granit et cocotiers, c'est Ploumanach sous l'équateur, plus tard, une brève croisière vers Praslin et la Digue nous laisse sur notre faim.

Praslin a une grande spécialité ; c'est la seule île au monde où pousse le coco de mer ou coco-fesse, cette noix énorme de 12 à 30 kilos présente une ressemblance frappante avec l'anatomie féminine, d'où son nom ; maintenant assez rare, elle n'est plus produite que dans un secteur restreint de Praslin et le cycle végétatif est interminable : la noix tombée à terre ne germe qu'au bout de 4 ans, l'arbre ne commencera à porter des fruits qu'à 35 ans et ceux-ci ne seront mûrs que 7 ans plus tard !
Cette curiosité botanique d'un goût parfois douteux est commercialisée entre 2 et 4000 francs, l'aspect coquin ne justifie pas tout.

La vie dans ces îles est absolument hors de prix, nous pensions avoir atteints des sommets à

Tahiti et en Calédonie mais ici nous sommes dépassés. Le tourisme est la poule aux oeufs d'or, souhaitons qu'un marketing surfait ne la tue pas.
En plongée, les eaux ne sont pas très claires, la houle qui bat les plages brasse le sable et l'accueil est lamentable : mouillés à Praslin devant un restaurant nous ne pouvons débarquer pour
déjeuner ; je pensais naïvement que les roupies du navigateur en valaient bien d'autres (la roupie des Seychelles est proche cousine de celle du sansonnet).

Ajoutez à cela, une administration tatillonne : il faut une « clearance » pour quitter le port, les formalités de départ prennent deux ou trois jours, il y a cependant un progrès, les droits de mouillage étaient voici peu de 100$ par jour, ils sont revenus à 10$.

Nous quittons ces îles à la réputation surfaites pour Madagascar, nous touchons un vent de sud-sud-est tonique, nous avons perdu l'habitude du près par 25 à 30 noeuds de vent.

Nous arrivons à Nosi-Bé, zone relativement privilégiée du territoire, car le tourisme apporte quelques devises dans une économie déliquescente ; pour nous c'est cependant le choc du tiers-monde, contrairement à notre escale précédente, nous trouvons, avec nos revenus, la vie très bon marché, mais pour les locaux, les salaires sont tout à fait symboliques : nous rencontrons un médecin chargé du contrôle sanitaire des voyageurs, c'est pour lui une activité annexe, car après 10 ans d'études en France, il est stomatologiste de l'hôpital ; fonctionnaire, il travaille pour un salaire de 700000 francs par mois, la somme est respectable tant qu'elle n'est pas convertie en francs français, elle n'est plus alors que de 700 francs ! J'ai beaucoup d'admiration pour cet homme qui aurait pu faire carrière en France mais qui a choisi de revenir travailler dans son pays. De plus, il travaille dans un dénuement quasi complet, je lui laisse les médicaments qui nous restent ainsi que mes instruments dont j'ai peu de chance de me resservir.

Nous rencontrons également les pasteurs de Nossi-Bé, la population est pour moitié animiste et l'autre moitié a été christianisée à parts égales entre les catholiques et les protestants.

Ici leur grande affaire semble être l'ouverture d'une école où l'enseignement est donné en français (après 1970, tout l'enseignement a été malgachisé) ce qui handicape les étudiants souhaitant continuer des études supérieures.

L'histoire de Madagascar est pleine de bruit et de fureur, sans remonter aux origines avec les apports malais, africains et arabes, le XIXème siècle vit une succession de luttes entre les populations de l'intérieur et de la côte.

Le protectorat français changea les données en 1895, nous libérâmes 1 500 000 esclaves, qui furent bientôt soumis à l'obligation du travail forcé ! Réalisant de grands travaux, routes, ports, chemins de fer ; mais de multiples révoltes éclatèrent, la plus importante eut lieu en 1947, pour la réprimer (c'était encore la belle époque) le gouvernement envoya des troupes sénégalaises, le bilan fut de plus de 80000 morts.

En 1960, l'indépendance était accordée et la France garda une influence importante jusqu'en 70-72, époque où les dirigeants malgaches se tournèrent vers les pays de l'Est et ce jusqu'à la déconfiture de l'URSS.

Nos interlocuteurs ont plusieurs fois ce commentaire : à mesure que la France était éliminée,
le pays s'enfonçait. Ce qui relativise malheureusement l'action des grandes puissances.

A Nossi-Bé, les principales cultures sont la canne à sucre et les plantes à parfum comme l'ylang-ylang, nous visitons une usine sucrière qui date de 1923 : c'est de l'archéologie industrielle mais
pleine d'intérêt, nous y trouvons un rhum excellent à 7 francs le litre ! Nous hésitons à vider nos bacs à eau (800 litres) pour les remplir de ce nectar.
Sur le chemin de Mayotte, nous nous arrêtons à la Baie des Russes ; pendant la guerre russo-japonaise de 1905, un navire russe en avarie fut oublié et termina son voyage ici, la malaria, la
dysenterie décimèrent l'équipage dont le dernier membre mourut en 1934.

Aujourd'hui, une vingtaine de personnes survivent dans un minuscule village, ils pêchent et font sécher le poisson, attrapent quelques langoustes qu'ils vendent à Hellville (25 milles en pirogue à balancier ; leur dénuement est incroyable).

Bien sûr, les hameçons, le fil de nylon, les tee-shirts sont les bienvenus, nous nous sentons un peu Père Noël.

Nous avons aussi changé d'équipier, Daniel Weiss, notre charmant petit suisse nous a quitté pour embarquer sur un vieux « ketch » norvégien de 70 ans d'âge et de 25 mètres de long, toutes les manoeuvres se font à la loyale mais l'équipage a 30 ans de moyenne d'âge. Il est remplacé par Daniel, un vieil équipier d'Alibi (Islande, Portugal, Atlantique et Polynésie) qui rejoint le bord à Nossi-Bé.

En route pour Mayotte aux Comores, courte traversée au moteur pour attendre ce territoire d'outre-mer particulièrement surréaliste.

La France prit possession des Comores en 1840 et n'en fit jamais grand chose, les îles produisaient un peu de sucre et d'ylang-ylang et c'est sans état d'âme que le référendum de 1975 devait assurer leur indépendance, malheureusement l'une des îles qui ne s'étendait pas avec ses voisines choisit de rester française.

Mayotte où ne résidaient que quelques rares français nous oblige depuis cette époque à faire un effort considérable en routes, écoles ; santé et aujourd'hui 3500 à 4000 fonctionnaires s'efforcent d'administrer ce territoire et son économie artificielle.

Ajouter au tableau un régiment de la légion étrangère.

Il y a un an Anjouan, une des Comores indépendantes, a fait sécession et voulait rejoindre le giron de la métropole.

Nous sommes accueillis par des douaniers tatillons qui prétendent établir une liste de tout ce qui se trouve à bord, l'un d'eux tombe sur une méthode d'anglais. « Pensez-vous que je puisse apprendre cette langue avec cette méthode ? Certainement, je vous la donne et je mets le cachet d'Alibi dessus ».

La fouille approfondie s'arrêta là.
L'île est très jolie, c'est le dernier lagon de notre voyage mais les habitants, tous musulmans sont d'un abord difficile, leur rêve est de voir Mayotte devenir département ! Devinez pourquoi.

Nous quittons Mayotte pour l'Afrique du Sud, entamant une traversée qui me soucie un peu, nous sommes maintenant dans les zones où le temps est particulièrement I instable et incertain, nous aurons ainsi deux jours de moteur, du vent portant, du vent contraire dans le courant du Mozambique, une mer bouillante comme dans les tableaux d'Horace Vernet, 40 noeuds de sud-ouest, passés en cape, de la pluie et du brouillard ; c'est tout à fait par hasard que nous rencontrons un voilier américain en panne d'huile moteur, nous le dépannons un peu avant d'arriver à Richads'Bay, où les visiteurs sont maintenant très nombreux et nous avons du mal à nous faire une petite place.

Mais c'est avec un soulagement certain que nous sommes en Afrique du Sud, la traversée de l'Océan Indien n''est pas une affaire de tout repos : vents variables et contraires entre l'Australie et les Cocos, vent très fort vers les Chagos, bonne traversée sur les Seychelles, vent pointu pour Madagascar et cocktail assez indigeste entre Nossi-Bé et le Natal.

Nous avons explosé nos deux « boosters », l'un avant les Chagos, l'autre après Madagascar, ils étaient un peu fatigués et nos autres voiles demandent une révision, je crois que je vais investir ici.

Nous resterons en Afrique du Sud jusqu'au début de février et si vous souhaitez faire un peu de navigation hauturière (Cape-Town-Deauville, environ 8000 milles) nous serions très heureux de vous faire partager cette dernière traversée.


A bientôt et très joyeux Noël !





































Cape Town, le 11 mars 1999


Bonjour,

Nous nous sommes quittés à Richards' Bay au début novembre et nous sommes restés plus de 4 mois en Afrique du Sud.

Pour ne pas faillir à la tradition, nous louons une voiture pour aller nous balader dans le Zoulouland. Nous visitons d'abord Shakaland (Shaka était au début du XIXème siècle le Napoléon Zoulou, il unifia la majeure partie des tribus du Natal) c'est un village reconstitué, organisé pour les touristes qui débarquent par cars entiers, c'est intéressant malgré l'artifice, les petites zoulous « top-less » lèvent vigoureusement la jambe, c'est presque les Folies Bergères tropicales.

Nous avons retenu des chambres dans une lodge, sans trop savoir ce qui nous attendait. Nous arrivons dans ce qui devait être il y a 50 ans un magasin rural, entouré de hangars en ruine : « comment voulez-vous descendre dans vos chambres » ? Situées à 10 kilomètres d'ici ; nous avons le choix entre le cheval, le 4x4, le char à boeufs ou la voiture à ânes, Daniel choisit le cheval, nous plus prudents optons pour le 4x4.

L'hôtel est divisé en deux parties : les chambres ou plutôt les cases en paille cousue sont sans eau, sans électricité, la baignoire est remplie par une jeune zoulou, les bougies donnent un éclairage romantique.

La salle de restaurant est à 30 mètres de là, au pied d'une falaise où quelques grottes ont été aménagées en suite...
La salle à manger est éclairée par des torches et pendant tout le repas, les tambours accompagnent les danseurs et les danseuses, c'est plein de bonne volonté.

A 6 heures du matin, réveil en guitare, café au lit, rentrée du bétail, les vaches sont parquées au milieu du village dans un kraal de branches.

Le brunch est précédé par des explications et des démonstrations de la vie zouloue traditionnelle. Pour la remontée sur la route, nous choisissons cette fois la 2 ânes, les reprises sont encore plus inexistantes que sur la feue 2 chevaux.

Nous nous dirigeons ensuite vers le parc de Hluluhe et sa réserve. Daniel, notre équipier manifeste alors le désir de conduire (à gauche, nous sommes dans un pays qui a connu la perfide Albion) ; après 200 mètres, il encadre une pompe à essence (sans grand mal) et continue en frôlant dangereusement les multiples piétons (nous sommes terrorisés). Une demie heure se passe et nous laissons une roue dans le parapet d'un pont. C'était le moindre mal mais il est étonnant de constater combien 14 ans de mitterrandisme peuvent induire un dérive gauchiste...

Cet incident nous permet d'apprécier la qualité des services de ce pays : à 9 heures, arrêt de la
voiture, quelques babouins nous soutiennent le moral en attendant la dépanneuse qui nous remorque à l'hôtel, au milieu de l'après-midi, nous avons une autre voiture, quand nous la rendrons, aucun frais, aucun commentaire.



Sans perdre courage nous reprenons le lendemain notre visite interrompue et nous avons notre comptant de rhinos, de buffles, de zèbres, d'antilopes, malheureusement les lions et les éléphants ne sont pas de la partie.

Après trois semaines à Richards' Bay, nous continuons notre route sur Durban, nous y arrivons sous une pluie battante et une très mauvaise visibilité et nous retrouvons la place que nous occupions en 1995.

Le temps sur cette côte est caractérisé par ses changements extrêmement subits, avant d'atteindre Richards'Bay nous avions pris la cape pour étaler un coup de vent et nous avons appris en arrivant qu'un bateau de pêche avait coulé pendant ce mauvais temps avec 15 hommes à bord.

Les Yacht-clubs de Durban encouragent bien sûr la pratique de la voile mais ce sont surtout des clubs sociaux. On y pratique régulièrement le bridge et grâce à la mise àà niveau effectuée entre Nouméa et Darwin par Gisela et Michel nous ne sommes pas tout à fait ridicules. Les cadres ne sont d'ailleurs qu'un prétexte pour rencontrer des Sud-Africains blancs et anglophones (heureusement car je n'ai aucune notion de l'afrikaans, ce flamand abâtardi).

Il y a 4 ans, nous avions déjà rencontré ces gens ou leurs semblables et ils étaient alors subjugués par le miracle Mendela-De Klerk, par la fin de l'apartheid sans bain de sang et par un avenir qu'ils voyaient radieux en Afrique du Sud.

Aujourd'hui, nos interlocuteurs ont perdu beaucoup de leurs illusions ; la situation économique est difficile, en 95 le rand valait 1fr50, il est descendu à 0fr95.

Il y a 40% de chômeurs, 60% de la population a moins de 20 ans et l'enseignement des noirs pendant l'apartheid était, quand il existait de seconde zone (il y a 40% d'illettrés chez les noirs) d'ici à ce que les jeunes arrivent à des postes de responsabilité bien des années s'écouleront.

Les noirs des “townships” (banlieues éloignées où était parquée la main d'oeuvre, le plus connu étant Soweto mais il en existe partout autour des villes) pratiquaient la désobéissance civile, ne payant ni loyer, ni eau, ni électricité, leurs conditions de vie ne s'étant guère modifiées, ils continuent les habitudes prises.

Le chômage et les mauvaises conditions de vie, le salaire moyen de 800 ou 1000 rands engendrent une criminalité et une insécurité généralisée, tous les magasins sont gardés, bien des commerçants blancs sont armés. Les vols de voitures aux feu rouge sont classiques sous la menace d'une arme : « descend de là que je m'y mette ».

Notre ami Daniel après nous avoir quitté s’est rendu à Cape Town et a été agressé dans la rue.
A contrario, j'avis oublié mon portefeuille dans un musée du Natal et il m'a été renvoyé en France quelques mois plus tard.
Le jour du premier janvier, nous suivions une route assez déserte et devons emprunter un passage souterrain pour rejoindre le centre ville, à l'entrée de ce passage sont stationnés 7 ou 8 noirs, dans l'ambiance générale, nous nous attendons à être délestés de notre argent et nous fûmes salués d'un joyeux « Happy new year ».
Un certain nombre de blancs pensent quitter le pays pour l'Australie ou la Nouvelle-Zélande mais d'autres restent confiants et nous avons rencontré des jeunes cadres qui croient à l'avenir et sont fiers de le construire.


Tous attendent les prochaines élections qui verront la retraite de Mendela et l'arrivée de son dauphin Mkusi.

Pour nous français, la vie est facile, le taux de change nous est favorable, l'alimentation, les services, les locations de voiture sont très bon marché ; et cela coûte très cher, nous achetons 2 voiles neuves et faisons réviser ls autres, nous carénons avec des antifoulings interdits en France et en Europe mais efficaces !

Mais les fournisseurs blancs commencent à être pris dans l'ambiance du pays, les rendez-vous ne sont pas tenus, nous avons l'impression que l'Afrique du Sud devient de plus en plus l'Afrique, avec ses charmes ... et ses défauts.

Dans le port de Durban, nous avons rencontré pas mal de navigateurs d'origines diverses, nous retrouvons Yves, une connaissance des Cocos.
Un autre Yves navigue depuis 15 ans sur un Galapagos de 13 mètres qu'il a construit, il s'arrête dans tous les pays francophones pour regarnir la caisse du bord.
Son voisin Gérard a fait construire au Vietnam où il travaillait un bateau complètement dépassé, il navigue en solitaire et il faudrait un équipage musclé pour en tirer parti.

D'autres solitaires aspirent à ne plus l'être et les occidentaux étant de quasi nababs sous ces latitudes, trouvent pour réchauffer leurs vieux os, qui une philippine, qui une malgache ou une zoulou d'âge tendre, c'est une autre forme de tourisme sexuel ; nous sommes sans doute vieux jeu ou bégueules mais ces couples mal assortis nous semblent assez peu ragoûtants.

La démarche n'est d'ailleurs pas sans risque, au Natal le pourcentage des séropositifs est de 30%...et le niveau de vie des populations concernée et la politique des laboratoires rendent la trithérapie utopique.

Le 19 février, nous attendons nos amis Henry-Philippe et Marie-Joséphine ; nous nous étions vaguement connus à Deauville en 83, nous nous étions retrouvés à Nouméa en 97 et leur avions proposé à notre départ de nous rejoindre à Durban pour passer le sud de l'Afrique ; propos en l'air, pris au sérieux, une lettre nous attendait à Durban, ce rendez-vous du 19 février modifiait nos plans de retour en France courant mai 99.

Un des intérêts de notre vie actuelle étant la liberté, après Cape Town, nous filerons vers le Brésil et les Antilles, d'où nous ferons un saut en France pour ne rentrer à Deauville qu'en 2000.

Nous trouvons notre nouvel équipage un peu pâlichon, surtout Henry-Philippe car chez Marie-Joséphine, burkina-bé, l'absence de bronzage est difficile à observer !

Nous quittons Durban en courbant l'échine, le coin a une réputation détestable (il y a 4 ans les journaux nous avaient donnés « missing ») ; le premières 36 heures se passent bien, puis le vent passe au sud-ouest, scénario connu, nous rentrons à East London où nous retrouvons quelques bateaux qui comme nous attendent l'embellie pour continuer.

Nous croyons tenir la bonne météo, en route pour Port-Elisabeth ou plus loin, les derniers milles s'effectuent avec 45 noeuds de vent, 60 dans les rafales.

Nous profitons de cet arrêt forcé pour visiter Ado Elephant Park, ces charmantes bestioles sont cette année au rendez-vous et en quelques heures nous aurons la chance d'en admirer une centaine autour du point d'eau.

Le temps passe et l'avion de nos amis repart le 6 mars, la méthode Coué « il fait beau, il fait beau » est relativement peu efficace en navigation et en 250 milles de Port-Elisabeth, je préfère faire escale à Mossel-Bay, nos amis finiront la traversée en voiture, dommage, il nous a manqué deux jours !

Le club de Mossel-Bay semble compter une majorité de membres afrikaners et bien que s'appelant De Clek, Marie-Joséphine n'est pas très à l'aise...

Au revoir les amis, nous nous reverrons aux Antilles.
Le lendemain de leur départ, nous sommes repartis pour passer sans trop de peine le Cap des Aiguilles, le point le plus sud de l'Afrique et le Cap de Bonne Espérance que nous ne voyons pas dans la pluie et le brouillard ; par chance le temps se dégage et nous sommes à quai à 3 heures du matin au RCYC ; à 8 heures, un nouveau coup de vent souffle sur le port.

Ces coups de vent durent un jour ou deux, suivis par des calmes de même durée ; quand je tape cette lettre, le vent souffle à nouveau et la Montagne de la Table est ravagée par des incendies attisés par le sud-est ; le ballet des hélicoptères se poursuivra tard dans la nuit.

Nous avons fait un tour à French-Hoeck, c'est l'époque des vendanges et les noms des propriétés rappellent l'origine des propriétaires : La Motte, Provence, Cabrière, Bourgogne ; là aussi la sécheresse provoque des incendies sur les montagnes environnantes et la fumée descend parfois jusqu'aux vendangeurs.

L'ambiance de Cape Town est bien différente de celle de Durban, les blancs sont plus nombreux, et dans les services, les indiens et les zoulous sont remplacés par des cape-coloured, métis des premiers occupants khoisa et des hollandais qui ne pratiquaient pas encore la ségrégation...

Je ne reviendrai pas sur le temps dans cette partie du globe qui a été vigoureusement décrit par notre équipier en 95 : « Putain d'pays », rien n'a changé et aucun correctif n'est à apporter.

Nous partons avec un couple de jeunes belges très sympathiques.

A bientôt !

Deauville, le 15 août 1999

Bonjour,

Notre dernière lettre vous est parvenue de Cape-Town et nous voici à Deauville, nous avons quitté l'Afrique du Sud le 15 mars, après avoir embarqué deux équipiers belges fort sympathiques.

L'histoire (belge) de Michelle et de Jean-Paul illustre l'incompétence et la légèreté de certains skippers. Ils avaient rencontré en Belgique un compatriote propriétaire d'un bateau en acier construit en Afrique du Sud qui leur proposait le trajet Cape-Town-Rio de Janeiro-Canaries.

Débarquant un premier janvier, ils trouvent un bateau en chantier à Saldanna, petit port à 150 milles au nord de Cape-Town, ils travaillent un mois avec le skipper pour essayer de le rendre navigable et se rendent au Cap pour caréner la traversée est un peu difficile, il fait mauvais temps (normal dans cette région), la grande voile ne peut être réduite, le régulateur d'allure maison ne fonctionne pas, le moteur récupéré sur le chalutier est peu fiable : la galère !

Ils entrent à 3 heures du matin dans le port, sans carte, le skipper épuisé confie la responsabilité à Jean-Paul et déclare le lendemain : « je suis fatigué, le bateau n'est pas prêt, vous devez débarquer »...

Un peu refroidis, ils trouvent un embarquement sur un bateau canadien qui va à
Durban. Nos routes se croisent à East-London et ils nous rejoignent à Cape-Town au début du mois de mars.

Nous avons déjà embarqué des équipiers anglophones, voire germanophones mais jamais de belges, nous n'avons ni moules ni frites mais la traversée dans des zones faciles se passera bien ; Jean-Paul est un excellent équipier et Michelle fait l'expérience d'une grande traversée et ils sont tous les deux très bons cuisiniers.

Nous retrouvons un temps de rêve pour atterrir à Sainte-Hélène, le mouillage est toujours un peu rouleur mais nous avons la chance d'éviter la grande houle qui déferle parfois sauvagement sur la côte.
Nous retournons à Longwood tout pimpant après une couche de peinture, Napoléon aurait sans doute apprécié.

Les souvenirs napoléoniens sont rares et les seules productions de l'île sont d'excellentes conserves de thon et un café probablement le plus cher du monde : 900 francs le kilo, nous n'en achetons que 100 grammes !

Les habitants sont tout excités par une loi qui vient de passer à Londres : ils quittent le statut des sujets britanniques et deviennent citoyens britanniques, ils n'auront plus besoin de visa pour se rendre en Angleterre, cette mesure concerne moins de 200000 personnes dans le monde, les derniers habitants de ce qui fut l'Empire.

Après quelques journées calmes, nous reprenons la route vers Fernando de Noronha au large du Brésil.

Un alizé sur mesure nous déhale tranquillement à travers l'Atlantique, depuis Durban nous avons un nouveau « booster », la coupe en est très bonne mais les finitions sont toutes à reprendre à la main, l'Afrique du Sud n'est plus ce qu'elle était.

Quand la couture nous laisse quelques loisirs, nous pêchons, coryphènes et thonidés mais je me lasse de perdre les leurres du commerce souvent trop chers et je bricole avec un bout de nylon de 10 mm. des engins parfaitement efficaces. Pour l'anniversaire de Jean-Paul, nous attrapons un voilier (genre d'espadon à très grande nageoire dorsale) de 2m10, ce poisson a l'habitude d'assommer ses proies avec son rostre, il a pris la chevelure de nylon pour un poisson comestible et s'est emberlificoté le rostre dans les filaments, ainsi mené par le bout du nez, il a une réaction très humaine et se laisse embarquer.

L'espadon est particulièrement goûteux mais après 6 repas plus que copieux, nous rendons sa liberté à un nouveau candidat à la poêle, nous attendrons une dizaine de jours pour renouveler l'expérience avec un bestiau de 2m25.

Nous ne ferons qu'effleurer le Brésil, Fernando de Noronha est à plus de 100 milles du continent, autrefois son rôle militaire fut important mais aujourd'hui l'île n'est plus fréquentée que par les
touristes plongeurs. Le paysage volcanique est superbe et les plages sous le vent très agréables.

En débarquant nous rencontrons un jeune militaire qui téléphone aux autorités qui doivent nous contrôler incessamment après deux heures d'attente, il s'avère que nous ne les intéressons pas ! Fin des formalités d'entrée et de sorties, c'était bien la peine d'avoir un visa !

Nous nous préparons maintenant à une longue étape : 2000 milles jusqu'à Sainte-Lucie, nous espérons une traversée rapide, les Pilot Charts et tous nos documents nous promettent un courant portant de 2 noeuds. Hélas, pas de courant, vents évanescents, nous nous traînons longuement jusqu'aux Caraïbes, nous traversons l'extrémité ouest du Pot au Noir, moins spectaculaire dans ces longitudes qu'au milieu de l'Atlantique mais présent quand même.

Nous retrouvons avec plaisir Marigot-Bay, petite anse ravissante mais de plus en plus encombrée de bateaux de location, ce qui diminue passablement le charme de l'endroit.

Au Marin en Martinique, nous trouvons un vaste garage à bateaux, sans âme, dont le seul intérêt est de nous permettre de laisser Alibi pendant un mois, le temps de faire un saut en France pour une réunion de famille à ne manquer sous aucun prétexte, nous passerons 3 semaines chez nos enfants lyonnais. C'est épatant, nous découvrons leur superbe maison, animée par les multiples activités de chacun, ce rythme tourbillonnaire nous surprend un peu...

Je profite de ce séjour en France pour changer la tourelle de mon enrouleur de génois ; depuis Cape-Town un joint ayant lâché (après 100000 milles) les roulements sont lubrifiés à l’eau de mer, solution déconseillée par les meilleurs ouvrages ; une série de malentendus m'oblige à aller chez Profurl à Coignère, j'ai bien choisi mon jour : grève de métro, le tourisme pédestre dans la capitale manque d'agrément mais je rapporte la pièce défaillante.

Le retour en Martinique en vol charter est déprimant, ces avions sont de véritables bétaillères volantes, les poulets de batteries ont plus de place que les voyageurs, Brigitte Bardot devrait prendre notre défense.

Nous avions pensé rester une année entière aux Antilles et j'avais même lancé des invitations mais l'ambiance surpeuplée des Caraïbes, les relations parfois fraîches avec les locaux nous dissuadent de prolonger le séjour et le retour en 2000 est abandonné.

Donc, c'est décidé, nous partons maintenant.


Nous avions trouvé un équipier bien sous tous rapports mais il n'est pas là le jour du départ, tant pis, nous partirons sans lui !
Nous remontons un peu vers le nord jusqu'à Antigua, English Harbour est complètement vide en cette saison.

En route pour Horta aux Açores, 2400 milles parcourus calmement (un peu trop), mais les vents faibles sont de règle dans l'Atlantique en cette saison. Horta est saturée par les Européens rentrant d'un tour du laitier, les américains allant passer l'hiver en Méditerranée ; les bateaux sont à couple par 4 ou 5 ; mais les portugais ne se laissent pas impressionner, ils restent souriants et efficaces.

Notre petite fille Mare (17 ans) nous rejoint à Horta ; elle fera la dernière étape avec nous et se révèlera une excellente équipière, rapide et intelligente, graine de matelot, sinon de capitaine.

Nous sommes amarrés au milieu du port entre deux bouées et un jour nous retrouvons à couple d'Alibi Ster Wen, voisin d'Alibi à Deauville et Toani que nous connaissons depuis 94 à Nouméa !

Le monde de la voile est petit, nous rencontrons toujours quelqu'un qui nous connaît, c'est l'histoire de l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours.

Nous attendons que l'anticyclone des Açores (vieille connaissance) veuille bien nous permettre
de remonter vers le nord-est, nous sommes en retard et n'aurons pas le temps de passer aux Scilly, nous espérions monter à Marie les phoques devant lesquels sa mère trépignait à 10 ans : elle aura cependant l'occasion de parler anglais avec des voisins de ponton à Camaret, elle ira sans doute garder leurs petits-enfants pendant les vacances scolaires.

Une petite semaine dans la pointe de Bretagne comble le déficit de vieilles pierres dont nous souffrons depuis notre départ.
Nous remontons lentement vers l'Aber-Wrach, Guernesey et Cherbourg, dans la brume et le froid ; comment avons-nous pu, pendant plus de 30 ans naviguer dans des eaux aussi inhospitalières ?

Marie nous quitte pour rejoindre sa famille, est-ce qu'un mois à bord est un bon entraînement à la marche en montagne ?

Pour nous, escales à Saint-Vaast (huîtres obligent), Le Havre et Deauville où nous rentrons le 7 à 18 heures.

Les fidèles amis qui avaient largué nos amarres au départ sont là pour les tourner au ponton. Merci.

La boucle est bouclée. Deux fois.



Alibi est en vente... Si le coeur vous en dit... C'est un bon canot.









Si nous pouvons conclure


« Ah, la belle civilisation qui sait parler en termes si édifiants de dignité humaine et de droits de l'homme et qui en même temps bafoue et foule aux pieds la dignité humaine et les droits de l'homme chez des millions d'êtres, dont le seul tort est de vivre au-delà des mers, d'avoir une autre couleur de peau et de ne pas pouvoir se tirer d'affaire tout seul. Belle civilisation qui ignore son vide et sa misère, son verbiage et sa grossièreté étalés devant ceux qui traversent les mers et qui voient ses agissements là-bas, quelle autorité a-t-elle pour parler de dignité humaine et de droits de l'homme ? »

Albert Schweitzer, 1905

Après deux tours du monde, nous sommes assurément revenus transformés.
Nous sommes partis en essayant d'avoir les yeux et les oreilles ouverts, prêts à nous émerveiller devant les paysages et les hommes.

Aujourd'hui nous sommes peut-être un peu saturés de cocotiers, ces gigantesques plumeaux verts des tropiques se ressemblent tous et engendrent une certaine monotonie que nous regrettons sous le climat normand !

Mais nous n'avons jamais été lassé de rencontrer des hommes, de toutes races, de toutes couleurs, de toutes cultures et de toutes conditions et nous pouvons dire que certains d'entr'eux sont devenus des amis très chers.
Nous avons essayé d'abattre les murs que nous nous sommes construits autour de nous, pour notre confort et notre tranquillité.

Bien sûr nous avons revu les notions simplistes, arrogantes, ridicules et franchouillardes acquises à l'époque du certificat d'étude, glorifiant la colonisation française et les bâtisseurs d'empire.

Nous avons rencontré les séquelles de l'esclavage, les peuples méprisés, humiliés, exploités sinon exterminés, les atolls détruits par les essais nucléaires et pour couronner le tout l'insupportable et hypocrite bonne conscience qui permet d'asséner un discours moralisateur au monde entier.

Nous ne pouvons plus entendre ou lire, de quelque bord qu'il soit les déclarations redondantes, les slogans faciles et les promesses illusoires proclamées en langue de bois.

Mais pendant ces voyages, nous avons pris conscience de la « chance » extraordinaire que nous avions ; bien sûr, si nous avions appliqué le sacro-saint principe de précaution, nous serions sagement restés au coin de feu en savourant notre retraite.

Bien sûr, nous n'avons pas pris de risques inconsidérés, nous avons laissé aux acrobates les passages impossibles, nous avons toujours respecté la météo et nous courbions l'échine pendant les saisons cycloniques, ce qui bien sûr, prive le lecteur de quelques récits ébouriffants.

Le matériel ne nous a jamais causé de grands soucis, mais Alibi était un vrai bateau, bien préparé et scrupuleusement entretenu.

Nous nous sommes toujours efforcés de faire les bonnes manoeuvres au bon moment.


Et la mer a bien voulu.
Et aussi, pendant tous ces milles, nous avons consciemment ou non, fredonné le vieux choral « Befiehl du deine Weg » (Confie à Dieu ta route).
















































ANNEXE

Ma petite fille Marie a eu en 6ème à faire une rédaction sur le voyage et elle s'est inspirée de nos voyages pour faire sa copie :

Introduction

Depuis toute petite, j'ai toujours vu mes grands-parents faire du bateau. La mer, le vent, les voiles sont leurs passions.

Tout a démarré il y a quatre ans : un coup de téléphone et panique à la maison, mon grand-père a eu un infarctus. Heureusement, il s'en est très bien sorti, mais n'avait plus du tout envie de travailler; Et son rêve allait enfin devenir réalité.

Il s'arrêta de travailler à 61 ans, puis mes grands-parents vendirent tout, tout, tout, leur maison, leur voiture, leurs meubles... et s'installent sur leur bateau. Ils ont décidé de réaliser leur rêve !

Faire le tour du monde à la voile !!!

Et oui et oui, ils veulent faire le tour du monde en bateau !


1ère étape : Normandie-Les Canaries

Trois mois de préparation sont nécessaires avant le départ (révision complète, provisions...)
Alibi part de Deauville le 7 juillet 1991 en direction de la Corogne (près du Cap Finistère en Espagne). Ils partent en été pour éviter les coups de vent fréquents et forts du Golfe de Gascogne. C'est une traversée facile qu'ils ont déjà faite plusieurs fois.

Après l'Espagne, cap sur le Portugal, Lisbonne, le Porto est bon, les restaurants remplis de touristes et les additions élevées...

Les Canaries après Lisbonne, où Alibi, le bateau doit attendre, tel une moule sur son rocher, la fin du mois de novembre avant de se préparer à traverser l'Atlantique. Pourquoi fin novembre ? C'est pour trouver les alizés sur l'Atlantique (alizés = vents soufflant toujours dans la même direction et de force à peu près constante) et arriver aux Antilles après la saison des cyclones. Avant de partir, il faut faire le carénage (enlever les algues et les coquillages accrochés à la coque).


Traversée de l'Atlantique
Pour leur 39ème anniversaire de mariage, mes grands-parents s'offrent une traversée de l'Atlantique. Ce n'est pas la première. Ils partent avec deux équipiers le 10 novembre. A quelques kilomètres de la côte, ils sont salués par des dauphins. Une veille est assurée vingt quatre heures sur vingt quatre. Pour barrer (conduire le bateau) il y a le pilote automatique (heureusement, c'est une belle invention!). La mer est majestueuse, le 7ème jour, la pêche est bonne. Les poissons volants font leur apparition. La 16ème nuit, ma grand-mère est de veille, et au milieu de l'océan, il y a une odeur d'étable ! C'est une baleine qui souffle !!!
Comme dans Moby Dick. Mais heureusement, le bateau n'est pas allé lui chatouiller le nez ! Arrivée à Saint-Martin après 18 jours de traversée.



Mes grands-parents retrouvent mon oncle qui vit à Saint-Martin.

Pendant les vacances de Noël, nous le rejoignons. Le sapin a des airs de cocotier !


Les Antilles

Pendant six mois, mes grands-parents sillonnent les Antilles du nord au sud et du sud au nord avec divers équipiers et des amis venus les rejoindre.

Le soleil, la mer bleue, les coquillages, les fleurs, la beauté des paysages, tout y est...Même le commerce qui est partout. Tout se paye et l'accueil est un peu gâché par les relations d'argent.



Venezuela-Panama-Costa Rica

Changement de lieux. Paysages toujours aussi beaux. La vie est nettement meilleur marché qu'aux Antilles. Les gens sont très “relax”. Un des mots les plus utilisés : « Maňana », ce qui veut dire à la fois : demain, peut-être, pas de panique.

Pas de panique, il ne faut pas en avoir pour traverser le Canal de Panama. Ce Canal fait 80 kilomètres de long. Il commence par trois écluses de 32 mètres de large et de trois cent trente mètres de long pour arriver au niveau du lac de Gatun. La descente vers le Pacifique se fait également par trois écluses. Pour Alibi qui fait 13 mètres de long, passer derrière un cargo de 150 mètres est un peu impressionnant !

Les travaux du Canal datent de 1880 et après des morts (22 000) des conflits, des scandales, des coups d'état, le premier cargo est passé en 1914 !

A Colon, ville d'entrée du Canal, la différence entre la ville commerciale et les quartiers des pauvres est impressionnante.




Costa-Rica Galapagos

En principe l'accès aux Galapagos est interdit. Les lieux sont classés comme Patrimoine mondial de l'Humanité. Mais une halte de trois jours est autorisée. Il y a là des oiseaux, des otaries, des tortues, des iguanes, des raies manta ... C'est comme les émissions Cousteau, mais mes grands-parents nagent avec toutes ces bestioles.




Les Marquises

Vingt trois jours de traversée pour aller des Galapagos aux Marquises. Les Marquises, îles sauvages où les touristes ne sont pas encore arrivés. Le peintre Gauguin y a séjourné et le chanteur Jacques Brel les a chantées. « L'ambiance de sa chanson est bien celle des îles » dit ma grand-mère.



Tahiti

J'ai eu de la chance de partir rejoindre mes grands-parents l'été dernier.

Tahiti, Huahiné, Bora-Bora, Moorea, le Rêve ! Les paysages sont splendides, la mer est bleue, bleue des mers du sud ! Les poissons sont multicolores et les gens gentils, très gentils. La vie est très chère mais les sourires sont gratuits.

Nous avons mangé des ananas (bien meilleur qu'ici), des bananes et de la vanille fraîche qui parfume le bateau et du uru (fruit de l'arbre à pain, ce n'est pas très bon mais très important sur les îles).

J'ai vu des vahinés danser et pris du rêve pour des années.




Samoa Wallis et Futuna Fidji

Après la Polynésie, mes grands-parents continuent vers la Nouvelle-Calédonie en passant par les îles Samoa, Wallis et Futuna (il faut une carte pour les situer).

Les Fidji, îles du bout du monde. Tout est très beau, mais il y a de gros problèmes économiques. Il n'y a pas de travail pour les jeunes et les possibilités sont réduites. Pour les fonctionnaires, il faut bien travailler et les formalités administratives sont redoutables ! Entre 12 et 15 formulaires pour entrer et sortir d'une île !

Arrivés en Mélanésie, les gens sont différents, plus foncés de peau, les cheveux crépus. Jusqu'au XIXème siècle, ils étaient surtout occupés à faire la guerre entre les tribus et étaient cannibales.



Nouvelle Calédonie

Arrivés aux îles Loyauté où ils sont accueillis par des amis Kanak. Ils découvrent les difficultés politiques et économiques de ces îles. Le problème de la répartition des terres est difficile et bien compliqué pour moi.

Mes grands-parents attendent la fin de la saison des cyclones. « Lucie » est passé à 30 kilomètres de l'endroit où ils étaient, ils ont eu très peur. Mais heureusement, Alibi n'set pas abîmé.










Conclusion


Mes grands-parents sont partis depuis 3 ans. Ils ont traversé deux océans, il ne reste plus qu'à affronter l'Océan Indien vers le Cap de Bonne Espérance et de remonter vers l'Europe.

J'ai eu la chance de les rejoindre aux Antilles et en Polynésie, c'était très, très, très beau, en un mot magnifique.

Je ne les vois pas assez souvent mais leurs voyages et leurs histoires compensent leur absence.
Il me donne une part de rêve.